La semaine dernière la directrice de l’école et plusieurs instits dont moi-même avons été invités à diner par les parents d’un élève. L’élève, appelons-le Hugo, faisait son entrée au collège cette année et les parents souhaitaient remercier l’ensemble des enseignants ayant eu Hugo dans leur classe durant ses cinq années d’école élémentaire. Plutôt touchés par le geste, nous nous sommes donc rendus chez M. et Mme Hugo, où nous avons ma foi passé une excellente soirée.
Tu reprendras bien du gâteau ?
Ce serait exagéré de dire que j’ai toujours été à l’aise ce soir-là. Monsieur et madame Hugo sont charmants, drôles, excellents hôtes, attentionnés, mais je ne me suis pas senti complètement libéré, totalement moi-même, je ne suis pas entièrement parvenu à me départir de mon costume d’enseignant. Mais, après tout, il ne s’agissait pas d’être vraiment soi-même, peut-être, nous ne nous connaissons pas franchement, et c’est bien en tant qu’enseignants que nous étions là, tous, chez les parents de notre ex-élève. Pourtant, même si la conversation a porté sur l’école (la nôtre, puis l’école en général), il a aussi été question de vacances, d’origine des uns et des autres, des enfants, de cheminement familial, professionnel, bref, de sujets plus personnels. D’une certaine manière, on a quitté la sphère scolaire stricto sensu, et déplacé le curseur vers autre chose – mais quoi ?
J’ai noté comme nous avons réagi différemment à la proposition, d’emblée, de monsieur Hugo de nous tutoyer. Certains n’ont pas semblé trop gênés par le tutoiement, d’autres, comme moi, ont rusé pour ne pas avoir à utiliser de pronom personnel et, finalement, rester sagement dans un flou suffisamment artistique pour qu’il ne soit pas pesant.
Nous avons quitté les Hugo très tard ce soir-là, les yeux nous piquaient le lendemain matin.
Je crois que ce qui a rendu cette soirée possible, c’est aussi que Hugo n’est plus dans l’école, et l’hommage rendu par M. Hugo aux enseignants de l’école était sincère (et même ému) et ne pouvait en quelque sorte avoir lieu qu’une fois Hugo parti. En somme, les Hugo n’étaient plus à proprement parler des parents d’élève.
After
Dans le même ordre d’idée, il est arrivé plusieurs fois, à la fin d’un Conseil d’école – lequel se termine toujours chez nous par un verre et quelques gâteaux apéro partagés – qu’une partie de l’assistance, toujours à l’initiative d’un parent, poursuive la soirée au bar du coin, parfois jusque tard. Une dizaine de personnes, parents et enseignants, devisant alors en mode off-mais-pas-tout-à-fait : les sujets de discussion tournent souvent autour de l’école, de l’éducation, des enfants, et c’est au fond encore une manière de nourrir le lien de la communauté éducative que nous formons, de manière plus informelle. Nous sommes toujours dans nos rôles respectifs, parents, enseignants, tout juste peut-on dire que nous nous rapprochons de la ligne qui nous sépare, tout en restant chacun de notre côté.
Certains collègues ne viennent jamais à ces afters, considérant que ce rapprochement avec les parents d’élèves n’a pas lieu d’être, chacun chez soi et les vaches seront bien gardées.
Quant à moi les fois où j’en ai été, je ne me suis pas senti complètement à l’aise, là non plus. Question de nature, sans doute, animal pas si social que cela je suis, mais pas seulement. Chaque fois, en filigrane, se pose la même question : où est la limite, dans les relations avec les parents ?
Entendons-nous bien
Depuis près de 15 ans que j’enseigne, je n’ai jamais eu de souci avec un parent. Je m’entends généralement bien avec eux, même avec les plus difficiles à gérer. Je veux dire, je m’entends avec eux parce que c’est mon objectif, de bien m’entendre avec eux, et que je fais tout pour cela, parce que je veux établir un lien fort entre l’école et la maison dans le but de servir l’intérêt de mon élève.
Il est arrivé à tout enseignant de sentir davantage d’atomes crochus avec tel ou tel parent, au gré des rendez-vous et des sorties accompagnées. Je me dis régulièrement que je pourrais très bien m’entendre avec madame Machin ou monsieur Truc, il me semble qu’on partage certaines choses, le courant passe, comme on dit.
Certains m’ont déjà invité à un barbecue, à un pique-nique, à déjeuner, à un gouter avec toute ma famille même, toujours lorsque leur enfant n’était plus dans ma classe. J’ai chaque fois trouvé une excuse pour décliner poliment. Je ne sais pas pourquoi au juste. Peur de ne pas savoir comment me situer, quelle attitude adopter, peur de ne pas être totalement naturel, d’être un peu faux ? Peur de devoir me livrer, même un peu, peur de laisser voir l’homme derrière l’enseignant ? Peur de nouer des liens qui modifieraient le rapport avec le reste de la fratrie susceptible de passer un jour dans ma classe ? Peur que mon image d’enseignant soit égratignée, peur de désacraliser la fonction ?
D’autres que moi
J’observe, chez mes collègues, à peu près tous les comportements, sur ce sujet. Il y a ceux qui connaissent des parents parce que leur enfant est dans l’école et a pour ami leur enfant. Ces collègues fréquentent de facto les parents d’élèves dans des circonstances plus personnelles, mais quelque part chacun est alors parent, ce qui place tout le monde au même niveau – cela dit, c’est une des raisons qui expliquent que mes enfants ne sont pas dans mon école.
Il y a ceux qui ne fraient pas, jamais, avec les parents, la ligne tracée l’est au marqueur rouge, indélébile, on ne les a jamais vus parler à un parent d’élève en dehors de leur classe.
Il y a ceux qui, à l’opposé, font la bise aux parents de leur élève, les tutoient, parce qu’ils courent ensemble, parce qu’ils ont des amis communs, parce qu’ils habitent dans le même immeuble ou la même rue – cela m’étonne toujours, moi qui n’ai jamais habité à moins de 45 minutes de transport de mon école et qui me félicite de n’avoir point à croiser mes élèves et leurs parents au marché.
De toutes ces attitudes, au fond, aucune ne me choque vraiment, chacune est légitime, pour ce que j’en vois elles sont toutes saines, assumées, ne me semble pas s’accompagner d’attitudes professionnelles glissantes chez les enseignants. C’est bien l’essentiel au fond : que chacun s’y retrouve, reste naturel, vive les choses sereinement, et surtout, que cela n’influe pas sur son enseignement, de quelque manière que ce soit, ni n’ait d’impact sur ses relations avec ses élèves.
Et vous, parent, enseignant, qu’en pensez-vous ? Avez-vous été confronté à ces questionnements ? Avez-vous noué des relations personnelles avec les parents / l’enseignant de votre élève / enfant ?
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