Le Président Macron et l’éducation : dans l’attente d’informations complémentaires…

@François Lo Presti / AFP

Dès le premier tour de cette élection Présidentielle, une majorité d’enseignants a vraisemblablement plébiscité Emmanuel Macron (38% d’intentions de vote quelques jours avant le 23 avril), devant Jean-Luc Mélenchon (23%) et Benoit Hamon (15%). On peut imaginer que les enseignants, qui prévoyaient de  voter à 5% pour Marine Le Pen au 1er tour, auront également massivement voté Macron au 2ème. Comme François Hollande en 2012, le nouveau Président est donc globalement le favori des profs, ce qui ne présage en rien des relations à venir, c'est entendu...

Qu’est-ce qui attend l’école, si on se fie au programme éducation du candidat Macron et en attendant les précisions du Président ?

L’effort porté sur le primaire ?

Le candidat Macron l’a dit lors du débat d’entre-deux-tours : « le primaire est la mère des batailles ». Une belle formule, mais qui repose sur quoi, exactement, dans le programme du candidat Macron ?

- D’abord, sur la mise en place d’un bilan de début d’année de la maternelle au collège, informatisé dans un outil numérique national, « afin que les enseignants disposent d’une base fiable et utile pour mesurer les progrès des élèves, et qu’ils choisissent les meilleurs outils pour un enseignement adapté aux besoins de chacun ». D’accord, cela s’appelle une évaluation diagnostique, chaque enseignant le fait peu ou prou durant les premiers jours, afin de bien percevoir les élèves de sa classe. Une évaluation standardisée par niveau supposera de définir très précisément quels sont les attendus à la fin de chaque année, ce qui risque de ne pas être si facile que cela vu que cela va un peu à l’encontre de la logique actuelle des cycles. Par ailleurs, rien n’est précisé sur la suite à donner à ce bilan, la façon de l’utiliser, les outils dont on pourra se saisir.

- Le candidat Macron proposait aussi, afin de lutter contre « la déperdition des savoirs », la création de stages de remise à niveau en fin d’été entre le CP et le CM2, assurés par des enseignants volontaires rémunérés. Cela existe déjà pour les classes de CM1 et de CM2 ainsi que pour les classes de CE1 de REP, non seulement pour les vacances d’été mais aussi pour celles de printemps. Autant dire que la nouveauté n’est pas importante. Reste à définir le public ciblé par ces stages, sachant qu’actuellement l’enseignant propose et la famille décide.

- Le candidat Macron souhaitait aussi renforcer « l’individualisation des apprentissages », qu’on peut aussi appeler différenciation sur le terrain. Mais la seule proposition consiste à développer « des supports numériques et des applications adaptées pour faire évoluer les pratiques pédagogiques »… ce qui semble à la fois flou et lacunaire. Hors du numérique, pas d’individualisation des apprentissages ? Il faudra qu’un jour les politiques cessent de sortir le joker « numérique » de manière réflexe (sans compter que cela dévalue l’usage du numérique).

- Enfin, outre une place plus grande donnée à l’échange avec les parents, le candidat Macron souhaitait « mobiliser, en maternelle, des jeunes engagés dans le cadre du service civique, afin d’appuyer les professeurs, particulièrement pour la maitrise du langage ». Soit. On préfère quand même quand Macron fait référence aux associations comme « Lire et faire lire » ou l’AFEV, dont les compétences sont avérées.

Le paquet sur l’éducation prioritaire

En fait, le plus gros effort porté sur le primaire le sera essentiellement à travers les mesures destinées aux REP et REP+.

- La mesure emblématique du candidat Macron, s’agissant d’éducation, est la promesse de diviser par deux les effectifs des classes de CP et de CE1  en REP et REP+, annoncée comme la mesure « la plus importante prise en faveur de l’éducation prioritaire depuis la création des ZEP en 1981 ». De fait, ce n’est pas anodin, de passer de 22,7 élèves par classe comme aujourd’hui à 12 ! Sauf qu’il y a, comme souvent dans le programme du candidat Macron, du flou. D’abord sur le financement, notamment en termes de postes. Cette mesure nécessite 12.000 postes, qui seraient en grande partie (6.000 à 10.000) prélevés sur les postes créés par Hollande (Macron ne prévoit que 4.000 à 5.000 créations de postes au total), notamment une bonne partie de ceux dédiés au dispositif « Plus de maitres que de classes » (PDMQDC). Pour le reste des postes, mystère. «Nous ferons un audit précis, ce point n’est pas encore défini », répond-on chez En Marche ! Une chose est sûre : on s’apprête à déshabiller Paul pour habiller Jacques, une partie des classes bénéficiant du PDMQDC se retrouveront à nouveau avec un seul enseignant. Il y a aussi la question des locaux : si on divise les classes par deux, logiquement il faut deux fois plus de salles ! Réponse : «Nous avons préparé une enveloppe de 200 millions d’euros pour aider les communesLe temps des travaux, quand il n’y aura pas de solution, deux enseignants feront classe dans la même salle ». Outre que 200 millions risquent de fort de ne pas suffire, deux enseignants par classe, ce n’est pas tout à fait la même chose que des classes de 12 élèves. Se dirigerait-on vers une extension du PDMQDC, plutôt que vers un allègement réel des effectifs ? Ce n’est pas très clair pour l’instant.

- Afin de « stabiliser » les effectifs en REP et REP+, le candidat Macron prévoyait deux choses : d’abord, et on ne pourra que s’en féliciter, n’affecter plus aucun professeur (hors choix motivé) en zone prioritaire pendant ses 3 premières années d’enseignement. « Comment accepter que les enseignants les moins expérimentés soient chargés de faire réussir les élèves qui rencontrent les plus grandes difficultés ? », demande Macron. Deuxième mesure : offrir une prime annuelle de 3000 € nets aux professeurs enseignant en prioritaire. C’est le seul effort salarial promis par Macron, mais il est ciblé. Enfin, toujours dans la même logique, une certaine autonomie dans le recrutement est prévue en collège à titre expérimental afin d’attirer des enseignants sur des postes « à profil » dans les établissements qui ont du mal à recruter « à condition que l’établissement ait un projet construit ». La volonté d’attirer les enseignants volontaires et plus expérimentés en prioritaire est louable, mais seule la réalité dira si ce que propose Macron fonctionne : et si d’aventure la prime promise ne suffit pas à attirer suffisamment de profs (car l’argent ne fait pas tout, loin de là...) ? Il faudrait bien, alors, piocher dans le réservoir, ailleurs… En outre, cela demande de revoir au moins en partie le système actuel d’affectation.

Flou sur l’autonomie

En éducation, le terme d’ « autonomie » peut renvoyer à des concepts radicalement différents : parler d’autonomie des établissements dans la gestion de leur masse horaire ou de leur recrutement, ce n’est pas la même chose que de parler d’autonomie pédagogique des équipes enseignantes. Le programme du candidat Macron n’est pas toujours très clair sur ce sujet. Ainsi la formulation alambiquée de son objectif 6 : « Renforcer et encourager l’autonomie des établissements pour favoriser l’adaptation aux besoins de leurs élèves et aux situations locales et stimuler l’innovation ». On comprend tout de même que les collèges pourront en partie revenir s’ils le souhaitent sur la réforme du collège, en rétablissant les parcours bilangues et les parcours européens (le conseil d’administration de chaque établissement tranchera). Les collèges et les lycées seront aussi évalués tous les 3 ans sur l’enseignement, les progrès des élèves, les projets pédagogiques, les infrastructures… Ces évaluations seront rendues publiques (« mais sans classement ») avec le risque de voir les parents contourner davantage la carte scolaire et la mixité sociale se réduire. « De toute façon, aujourd’hui, la situation est pire puisque la réputation d’un établissement se base sur des rumeurs », se défend-on chez EM.

Pour le primaire, l’autonomie est à comprendre comme la possibilité offerte aux communes de sortir de la réforme des rythmes qui avait marqué le début du quinquennat Hollande. Chaque commune pourra adopter la semaine qu’elle souhaite : retour pur et simple à la semaine de 4 jours, maintien de la semaine de 4,5 jours, avec ou sans périscolaire. Un décret devrait être publié dès cet été. Autant dire qu’il signerait la fin du cadrage national (idem pour le collège) et accentuerait les inégalités territoriales, déjà l’un des effets néfastes de la réforme. Cela entrainerait une multiplicité de rythmes annuels sur le territoire, le nombre total d’heures d’enseignement restant inchangé (864 heures annuelles). Par ailleurs, revenir à la semaine de 4 jours supprimerait la 5ème matinée de classe (le gros point positif de la réforme) et rétablirait un important différentiel heures de classe par jour / nombre de jours annuels travaillés, incongruité typiquement française.

L’impression est, globalement, que la question des rythmes scolaires (quotidien, hebdomadaire, annuel) n’a pas été réfléchie.

Formation et baccalauréat

Ces deux sujets, abordés dans le programme du candidat Macron, méritent qu’on s’y attarde.

- La formation des enseignants : la candidat Macron parlait de placer « une formation ambitieuse au cœur du système éducatif », mais seules deux mesures sont proposées : l’extension de la formation en alternance dès la licence pour les étudiants qui se destinent aux métiers de l’enseignement (une bonne chose, a priori) ; la possibilité offerte à tout enseignant de bénéficier « d’au moins trois jours de formation continue adaptée aux besoins rencontrés en classe ». Quand on sait qu’actuellement le nombre de jours de formation est de 2,5 contre 8 dans le reste de l’OCDE, cela relativise l’ambition ! Surtout qu’il est précisé que « la moitié de ces heures de formation pourra être effectuée via des modules de formation en ligne » : il faudra sérieusement améliorer la qualité des modules en question ! Par ailleurs, on aimerait savoir comment les « besoins rencontrés en classe » vous définir le programme de formation de chaque enseignant. Là aussi, il faudra revoir les contenus de formation, les axer sur les préoccupations des profs, notamment la différenciation et les élèves à besoins spécifiques (dys, TED…). Globalement, il y a de quoi être très déçu, sur ce sujet pourtant décisif (les autres pays l’ont bien compris) de la formation initiale et continue des enseignants. Par ailleurs la question cruciale du recrutement (déficitaire dans certaines académies et certaines matières) n’est pas abordée.

- Le baccalauréat va changer : le programme du candidat Macron prévoyait la mise en place d’un format avec 4 matières obligatoires à l’examen final et le reste en contrôle continu. On souhaite bonne chance au nouveau Président sur ce sujet, ô combien symbolique et polémique. Le but est de gratter des sous (peu) mais l’affaire fera grand bruit, tant la France est attachée à cette institution. Outre qu’on criera à l’affaiblissement général, à la dévalorisation du diplôme, il faut s’interroger sur les modalités de la mise en place du contrôle continu et de l’équité entre candidats notés par leurs profs dans un cadre où les lycées seront plus ou moins mis en concurrence par l’évaluation triennale prévue (voir plus haut). De toute façon, c’est prévu pour 2021… au mieux.

« Doit préciser sa pensée »

Quitte à tomber dans le cliché du prof correcteur, voilà l’annotation qu’on est tenté d’écrire sur la copie éducation du candidat Macron, en attendant les premières mesures du Président Macron.

Si on ne peut, comme souvent, qu’être d’accord avec les objectifs généraux (« une école qui garantisse la réussite de tous et l’excellence de chacun », « face aux multiples défis auxquels la France et les français sont confrontés, l’école est le combat premier », « seule l’éducation pourra offrir la cohésion sociale et la prospérité de la France », blablabla), l’ensemble manque non seulement de dynamisme, mais plus encore d’une vision éducative globale et, cruellement, de précisions. On attendra donc les éclaircissements du Président et de son futur ministre de l’Education nationale, en espérant qu’ils sauront de surcroit se montrer pédagogues dans la mise en œuvre des réformes. Il faut tout de même noter le souci, plusieurs fois répété durant la campagne, de ne pas tout casser, tout détruire en arrivant au pouvoir. L’éducation a été trop souvent ballottée d’un mandat à l’autre, a souffert sans doute plus que tout autre domaine des revirements et des réorientations à chaque nouvelle majorité, ne permettant pas aux réformes de s’inscrire dans la durée. Ce dont l’éducation a le plus besoin, c’est de stabilité, et de temps. C’est en somme ce que dit François de Rugy, soutien de Macron : « La transformation de notre système éducatif suppose d'inscrire notre action dans le temps long. À chaque alternance ses nouvelles réformes, souvent davantage guidées par des préoccupations politiques que par des ambitions pédagogiques. Loin des tentations de "Grand soir", qui traversent l'Éducation nationale à chaque changement de majorité, Emmanuel Macron agira, au-delà des clivages partisans, et sans dire que ce qui a été fait précédemment était nécessairement nul et non avenu. »

Allez, au travail, maintenant.

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