Quatre quarts d’instit à part entière

AFP

C’est une réalité méconnue du grand public : plusieurs milliers d’instits travaillent sur quatre postes, avec quatre classes, dans quatre écoles différentes chaque semaine, de la petite section au CM2. Ces ¼ temps à compléter sont ceux des collègues qui sont à 80%, des directeurs d’école qui sont déchargés un jour par semaine. Bien sûr, ces postes fractionnés n’intéressent pas grand monde, mais l’administration doit les pourvoir.

« C’était ma première année, j’étais sans affectation après le 3ème mouvement (très jeune, aucun point...), j'ai donc été convoquée le jour de la prérentrée dans une circonscription près de chez moi. Une fois tout le monde arrivé, notre IEN s'est présentée. Après un petit mot de bienvenue, elle a demandé qui avait le permis et une voiture... Je suis une des deux idiotes sur les 15 qui ont levé innocemment la main... Cela tombait bien car elle avait 2 postes de TRS (des 1/4 temps à chaque fois sur 4 écoles différentes). » Comme Bénédicte, de nombreux jeunes enseignants se retrouvent sur ces postes de 1/4 temps. Ils y retrouvent d’autres plus expérimentés mais qui ne parviennent pas à décrocher l’école qu’ils voudraient, optent pour un choix géographique, et qui sont dans cette situation parfois depuis plusieurs années. Camille travaille en Charente Maritime : « Dans mon département, les postes proches de La Rochelle sont chers ! Et même à la campagne, puisque j'habite à 17 km de La Rochelle, il est difficile d'obtenir un poste au 1er mouvement donc d'être titulaire. Je tente toujours 30 vœux mais rien, donc me voilà au 2ème mouvement ; apparaissent ainsi les postes fractionnés. Avec mon barème (12 ans d'ancienneté), j'ai obtenu un poste fractionné à 4 et 7 km de chez moi. » Mieux vaut cela que d’être ballotté toute l’année sur des remplacements aléatoires. Certains ont moins de chance et se retrouvent sur des écoles de villages éloignés les uns des autres. « Il a fallu s’adapter à faire environ 400 kilomètres par semaine avec des trajets différents tous les jours. C’est pour moi un grand vecteur de stress et de fatigue sans parler de la perte de temps » confie Amanda.

Etre organisé

Ils sont unanimes : les qualités essentielles en 4/4 sont l’organisation et la faculté d’adaptation. « A la maison : un classeur par classe qui regroupe à la fois le cahier journal, les fiches de préparation, les documents élèves... Bien entendu, quatre classeurs de couleurs différentes. Et aussi une caisse en plastique par classe, contenant les manuels scolaires. Chaque soir, il faut penser à vider complètement le cartable et à le refaire avec les bons livres et classeur » explique Marie. « Au niveau pratique, j’ai un cabas pour chaque jour, que je trimballe tous les matins, et tous les soirs. On a toujours l’impression de déménager, on est des SCF (sans classe fixe) » raconte Aurélie. Il faut également s’adapter aux différents fonctionnements d’écoles : « je n’ai pas 2 écoles qui ont les mêmes horaires, explique Amanda. Ce n’est vraiment pas évident à gérer, tous les jours je commence à des horaires différents, je n’ai jamais les même heures et durées de récréations. Les horaires des pauses de midi sont toutes différentes ». Chaque classe a ses particularités, alors Flavie utilise « un carnet pour chacune des 4 classes dans lequel je note le fonctionnement des autres enseignantes (rituels, système de notation, règles de vie...) et les particularités de certains élèves (PAI, lunettes...) ».

Il faut être organisé sur la journée : « On ne peut pas se permettre de ne pas finir une séance en se disant : "on la terminera demain". On ne peut pas entraîner les élèves sur une notion nouvelle (surtout en maths et français) dès le lendemain, pendant que c'est encore frais. Il faut attendre la semaine suivante, et certains ont déjà tout oublié… Cela donne vraiment le sentiment d'enseigner de manière très hachée », regrette Marie. Tous profitent d’être sur les lieux pour boucler complètement leur journée / semaine, comme Alexandra : « A la fin de la journée, je m'oblige à avoir tout corrigé et à faire un petit topo à la collègue. Je prépare aussi au maximum la prochaine journée que je vais passer dans cette classe, je profite d'être encore « dans le bain » pour penser aux adaptations que je dois mettre en place pour certains élèves ».

Le cerveau divisé en quatre

Une des difficultés du 4/4 est de s’adapter à la manière de travailler de chaque enseignant. « Quand tu tombes sur un collègue qui a la même pédagogie que toi, c’est très facile. Si ce n’est pas le cas, tu n’as pas le choix que de t’adapter. Tu peux amener des choses bien sûr mais tout changer me semble compliqué » estime Brigitte. Géraldine confirme : « on se retrouve contraint à suivre la méthode des titulaires, leurs choix pédagogiques pour rester dans une continuité et ne pas perturber les élèves. On a rarement le choix sur ce qu'on va proposer aux élèves finalement et sur la gestion de la classe, ce qui nous oblige à constamment surveiller notre propre fonctionnement pour l'adapter à celui de la classe. » « Il faut à chaque fois se mettre dans les chaussons de quelqu’un d'autre que l'on ne connait pas, sans pouvoir avoir ses propres chaussures  » résume Eva. On ne choisit pas ses manuels, ni ses méthodes, ni ses cahiers, ni les affichages, ni la place des élèves, il faut aussi s’adapter à la configuration de la classe, au matériel.

Et puis, il faut s’adapter aux enfants et à tous les adultes rencontrés : « En début d'année, je dois retenir 100 prénoms, 100 noms de famille, 100 visages d'élèves et 200 visages de parents, et associer tout cela (sans oublier les différentes équipes enseignantes, AVS, animateurs périscolaires, Atsem...), je mets aussi beaucoup plus de temps à connaître chacun des élèves. Quand un enseignant pense connaître assez bien ses élèves en 1 mois, moi il me faut 3 ou 4 mois pour bien les connaître ! C'est difficile aussi de vivre toute une année scolaire avec un cerveau divisé en quatre » explique Marie. Pour Bénédicte la classe commence sur le trajet de l’école : « Je me mettais en conditions, je me récitais le nom de mes élèves, en essayant de me rappeler avec qui je devais être patiente, avec qui je devais être intransigeante, avec qui je devais être vigilante par rapport aux copains, ou par rapport aux apprentissages... ».

Passer d’un niveau à l’autre chaque jour demande une certaine souplesse, surtout quand on passe de la maternelle à des CM2 ou inversement : « passer de la division des décimaux à bébé chouette n’est pas toujours évident » confirme Véronique. « Ca m'est arrivé de dire "Bonjour les p'tits loups" à mes grands CM... Bah je rigolais et on expliquait et voilà !! » rigole Muse. « Parfois il faut 30 minutes d'adaptation quand la veille on avait des CM2 et aujourd'hui des PS ! Comment ça ils ne savent pas découper ? Pourquoi tant de bruit ? Ils ne comprennent rien à l'humour ou c'est moi qui deviens nulle ? » sourit Corinne.

Il faut savoir se montrer plus dynamique, plus maternant, plus ferme en fonction des niveaux et des âges. Il faut aussi savoir cloisonner les journées : « Je suis "conditionnée". Tel jour, j'ai tel public, j'aurais tel comportement. Je change de costume en fonction de la classe » explique Amélie. Même son de cloche chez Pauline : « Le lendemain, je m'efforce d'oublier la classe de la veille pour être 100% disponible pour celle du jour  ».

Matières rebuts et surdose de récrés

Les témoignages concordent : « En élémentaire, explique Ségolène, on se répartit les matières car c’est plus simple à gérer sauf qu’on se retrouve à faire la même chose partout : du vocabulaire, de la géométrie, de l’anglais, du sport, l’art visuel et de la géographie. Autrement dit tout ce qui peut se détacher du reste ou qui ne plait pas aux collègues. On ne peut donc jamais prendre de plaisir dans l’année à faire des sciences ou même de l’orthographe et j’ai trouvé ça très frustrant en tant qu’enseignante. Ce qui fait le plaisir de ce métier c’est la diversité des apprentissages ». Flavie confirme : Les directrices et enseignantes que je complète m'ont donné les domaines que je dois prendre en charge en fonction de ce qu'elles aiment le moins faire (deux me l'ont clairement dit). C'est assez réducteur surtout que j'ai choisi de ne pas enseigner au collège ou au lycée justement pour ne pas être limitée à une seule matière ». Marie parle aussi de « matières rebuts », Capucine pointe les « fameux 2G : géométrie / géographie ».

Autre point commun à beaucoup de ces instits en 4/4 : la surdose de surveillance de récrés. « Dans 3 de mes écoles, soupire Florence, j'ai été désignée d'office pour faire au moins 2 services de récré le jour de ma présence " parce que je n'étais là qu'une journée". Sauf qu'au final j'étais plus souvent de service dans ma semaine avec 4 quart temps que tous mes autres collègues sur un seul poste ». Amanda est ironique : « Etre de service tous les jours à toutes les récrés sans exception pour que les enseignants à plein temps puissent boire leur café et faire leur photocopies au chaud tranquillou en taillant la bavette ! ».

Sur ces points, de nombreuses écoles, de nombreux collègues doivent revoir leur copie.

Frustrations

Forcément, ce type de poste génère un certain nombre de frustrations. Le plus récurrent est l’impossibilité de mettre en place des projets. « Je suis frustrée, regrette Elodie, de ne pas pouvoir construire de projet (théâtre, danse, …) avec mes collègues des autres niveaux de l'école, de décloisonner. Monter un projet alors qu'on est présent un jour dans la semaine dans une classe c'est vraiment chronophage… Du coup mon envie de faire classe autrement, classe à l'extérieur, en apprenant par soi même autrement que devant des manuels est refoulée jusqu'à la rentrée prochaine, peut-être… ». Julie aussi regrette de ne pouvoir s’investir davantage dans chaque classe : « Ce qui me frustre le plus c’est le manque de projets perso. J’ai hyper envie de m’investir dans une école/une classe à moi et je regarde les autres faire…Ce qui m’agace prodigieusement c’est les instits en poste depuis des années qui en ont marre de leur boulot et qui ne voient que le négatif, alors que j’aimerais tellement être à leur place et qu’eux sont blasés et n’ont plus envie de bosser. »

De nombreux instits 4/4 déplorent le manque de communication dans les écoles, de devoir « aller à la pêche aux infos, découvrir des choses, ne pas être au courant de tout » (Florence). On se retrouve vite en porte-à-faux, comme le raconte Céline : « En janvier, une petite arrive en maternelle et s’installe dans la classe (elle est venue accompagner son frère à l’école). Pour plaisanter, je lance "tu es en avance, c’est l’année prochaine que tu viendras !". La maman me répond qu’elle vient à l’école déjà depuis 3 jours !!! La honte ! Je n’étais pas au courant que j’avais une nouvelle élève !! ».

Il y a aussi la frustration de ne pas participer à plein de moments de la vie de l’école ou de la classe, carnaval, classe de découverte. Ou, tout simplement, de « ne pas avoir son nom sur la porte de la classe ou de ne pas figurer sur la photo de classe », regrette Florence. « Le plus frustrant, ajoute Ségolène, reste de ne pas pouvoir enseigner tout ce que l’on aimerait à ses élèves. On adore les voir s’émerveiller, apprendre évoluer. Sur ce type de poste il est très difficile d’avoir cette vue d’ensemble. Il se passe tellement de choses en une semaine ».

Un statut à part

Construire sa relation avec les élèves est difficile, le rapport avec eux dépend beaucoup de « ce que laisse percevoir le titulaire dans la classe les autres jours de la semaine », estime Pauline. « Le rapport aux élèves se construit surtout avec l'aide du binôme que l'on remplace un jour par semaine, renchérit Séverine. Le binôme de profs doit faire comprendre aux élèves qu'il ne doit pas y avoir de différence de comportement entre les deux enseignants, qui eux doivent être cohérents et sur la même longueur d'onde. J'ai la chance jusque là d'avoir des collègues qui me considéraient comme maîtresse à part égale de la classe. Ca aide beaucoup je pense. Car oui les enfants testent beaucoup la maîtresse qui n'est la qu'un seul jour par semaine ».

Un jour seulement par semaine dans la classe, dans l’école, cela dessine un statut un peu à part. Pour Manue, « c'est difficile, on est "maîtresse Manue", pas maîtresse tout court, ou la maîtresse du <insérer ici un jour de la semaine> ». « Parfois on ne voit pas les élèves pendant plusieurs semaines, cela m'est arrivé le jeudi quand les 1er et 8 mai ont suivi les vacances de printemps... C'est compliqué d'établir un suivi dans ces conditions ! C'est frustrant d'avoir l'impression de n'être qu'un pion, un "bouche trou", c'est énervant de ne pas être "considérée" comme un "vrai" enseignant, parce que finalement c'est le sentiment que l'on a ! », regrette Caroline. A contrario, Elodie raconte que « les élèves savent que je suis une maitresse à part entière et ont conscience que j'ai 75 élèves. Alors ils disent que je suis "une super maitresse parce que sinon je n'aurais qu'une seule classe" ! Ils réalisent que ce n'est pas facile ce que je vis cette année. »

Avec les collègues, cela se passe globalement bien. « J’ai été bien accueillie, raconte Delphine, on m'a même surnommée Delphine Klein en référence à la série l'Instit' ! ». Chaf confirme : « Dans les 4 écoles où je suis passée j'ai toujours eu ma place. Mais j'ai fait attention à participer à certains conseils de maîtres et aux conseils d'école, à la kermesse pour entrer en contact avec les parents d'élèves  ». D’autres regrettent des relations fraiches et le manque de considération des collègues : « J'ai clairement le sentiment d'être un "bouche-trou" regrette Elise. Je ne me sens pas vraiment enseignante. J'ai plus le sentiment d'être une stagiaire à qui on laisse essayer la profession un jour par semaine dans chaque classe. Je ne suis pas consultée pour tout ce qui concerne la vie de l'école (date de réunions, sorties...). Je ne participe à aucun temps fort des classes (anniversaires, photo de classe, sortie à la bibliothèque). Je n'ai pas été consultée pour les commandes de matériel ». Sabine est encore plus amère : « Le statut de maitresse a disparu, c’est un statut de remplaçante… Dans l’école de mes Petite Section, même la directrice me fait sentir que je suis de passage et ne m’a pas mise sur les listes de diffusion. Je ne m’installe nulle part. J’ai un petit casier dans chaque classe, dans lequel je laisse des photocopies d’avance, et c’est tout. Finalement, avec ces ¼ temps, on se sent assez seul au quotidien. On n’appartient plus à une équipe. »  Il y a aussi le positionnement de l’institution. « J’ai l’'impression d'être un pion. "Il est temps que Mlle B. comprenne qu'elle est à disposition de la circonscription." A dit un jour l’inspecteur… » raconte Anne-Sophie.

Avec les parents, cela peut également être délicat, les instits 4/4 ne sont pas clairement identifiés et reconnus. Florence raconte : « Des parents arrivent et me demandent : "Madame je peux voir la maîtresse ? Je leur réponds : C’est moi. – Non, la vraie ! " Tout est dit ». En maternelle le contact avec les parents est plus régulier, mais le statut d’enseignant à part entière reste difficile à imposer : « Je remarquais que les parents, lorsqu’ils avaient une information à transmettre, s’adressaient à l’ATSEM qui finalement était un repère plus important que moi... », explique Jess. Vincent est un peu désabusé : « Pour résumer nous sommes des ERNI : enseignants remplaçants non identifiés par les parents, le substitut du titulaire pour les élèves (avec le maître c'est pas comme çà...) et au mieux le collègue salvateur pour quelques collègues au pire un bouche-trou pour les autres. »

Le quart noir

A la difficulté de ces postes 4/4, s’ajoute parfois celle d’une classe « terrible », de celles que, malheureusement, on rencontre fréquemment en début de carrière, tous postes confondus. Ces classes sont difficiles à tenir en temps normal, elles peuvent devenir ingérables pour l’instit en 4/4 qui ne la croise qu’une journée par semaine. « Ces élèves ont souvent besoin de stabilité, de repères, la difficulté a été de composer avec eux », explique Jess, consciente que la situation ne l’aide pas. Ce sont souvent dans les grandes classes que l’on rencontre ces difficultés : « Cette année j'ai un groupe difficile de 29 CM1 CM2, et là c'est plus compliqué. Eux profitent de cette situation (dernier jour de la semaine, donc le jour où tout le monde est fatigué...). Dans cette classe (groupe difficile depuis déjà plusieurs années), l'instauration d'un climat favorable au travail est très compliquée : ils cherchent en permanence les limites, l'ambiance de classe n'est pas géniale et je fais le "gendarme" », raconte Camille.

Même type d’expérience pour Sabine : « 12CM1, 17 CM2, 3 élèves avec AVS et un autre qui devrait en avoir une, beaucoup de violence, pas d’envie pour le travail, des élèves clairement hostiles : un enfer. A ce moment-là on parlait dans la presse de tous les enseignants qui démissionnent et je me dis que je serais peut-être la suivante car je refuse que ce système me détruise. Je crie dans la classe, ça ne sert à rien, je leur parle, ça ne sert à rien. Le fait d’être une journée dans la classe ne permet pas de créer de lien. Surtout, les scènes de violence avec un élève qui part en vrille à la moindre remarque, les autres qui le provoquent, les échanges agressifs et vulgaires, le manque d’intérêt… J’ai la tête qui explose et je me sauve de l’école dès que la cloche sonne. J’ai perdu le goût de me lever pour aller travailler, j’ai l’impression que ça tourne en boucle dans ma tête. L’estime de soi en prend un coup. »

Caroline est dans le même cas : « Le mardi, avec ma classe de CM2, ça a été l'horreur toute l'année ! Ils s'en foutaient royalement de moi, je n'avais clairement aucune prise sur eux. Heureusement que dans cette école, il y avait une équipe soudée, qui m'a beaucoup aidée, notamment en me prenant les élèves parfois quand cela était nécessaire. » Gaelle parvient à relativiser : « Le fait de changer tous les jours me permet de ne pas me focaliser sur des élèves (ou des parents) "difficiles": je fais ma journée en restant patiente, et le soir "j'efface le tableau": on se revoit dans une semaine. »

Avantages du 4/4

Si les difficultés des postes 4/4 sont nombreuses, il existe aussi des avantages. Pour certains, le principal avantage réside dans les points que cette année leur donne et la perspective, grâce à eux, de décrocher un poste plus avantageux (« en plus tu connais vite les écoles de la circonscription et c'est pas mal pour faire le mouvement pour l'année suivante » note Pauline). Pour d’autres, il y a également d’autres avantages : « J'apprécie beaucoup de statut de "maitresse qui change", explique Aurore. En effet, jusqu'ici mes élèves adorent me retrouver pour une journée différentes des autres jours de la semaine. Il est agréable de pouvoir programmer et préparer avec une semaine d'avance. Et le top de tous les avantages : la légèreté des obligations administratives !!! C'est moins de responsabilités et moins de pression. Je suis moins accroc à ma classe depuis que j'ai ce type de poste. J'ai moins le nez dans le guidon, la fixette sur certains points de gestion, la pression du programme... Ça oblige à prendre énormément de recul et à s'adapter ». Moins d’administratif, de coopérative à gérer, de fiches de renseignements, pas de commandes à faire, moins de rendez-vous avec les parents, aussi : « L’avantage principal pour moi, dit Delphine, c’est justement d’être éloignée de tous les problèmes liés à la gestion d’équipe dans une école. J’évolue dans un mode parallèle qui me convient tout à fait. Cela me permet d’éviter pas mal de réunion inutiles. J’évite aussi les rendez-vous interminables avec les parents. Je n’ai pas non plus la responsabilité de la classe, ça m’a enlevé pas mal de pression. Et en découvrant aussi ce que font les autres collègues, ça m’a redonné confiance sur la qualité de mon travail 😉 ».

Roxane se réjouit quant à elle de connaitre les programmes sur le bout des doigts : « J’ai appris à manier le BO avec une dextérité hors du commun ! Mon cerveau n’étant pas extrêmement flexible, donc pas le choix il fallait s’appuyer sur du concret : les textes. »

Et puis il y a toute cette diversité rencontrée, propre au 4/4 : « J’apprécie le fait de découvrir des niveaux différents dans des écoles différentes (zone rurale /REP/ petite ou énorme école….) avec des façons d’enseigner différentes, c’est très enrichissant » (Delphine). « On découvre plein de pratiques différentes, des populations et des collègues différents ; Il y a donc un aspect très enrichissant qui m’a été très utile quand j’ai eu ma classe. On garde toutes les bonnes idées et on les ré-exploite. D’ailleurs les écoles devraient échanger plus souvent leur pratique je trouve qu’il y a des idées fabuleuses partout et le fait d’aller d’une école à l’autre nous en fait prendre conscience. C’est un métier passionnant et qui le devient encore plus quand on enrichit sa pratique », relève Ségolène.

Expériences contrastées

Parmi les témoignages qui me sont parvenus, le bilan est contrasté. Pour beaucoup, les années 4/4 ont été douloureuses. Frustrante pour Eva : « J'avais l'impression de changer de casquette tous les jours et de ne rien construire au final ni avec les élèves ni avec les équipes. Cette année là vraiment je ne suis pas fière du tout du travail que j'ai accompli ». Traumatisante pour Mélissa : « Il faut sans arrêt s'adapter, être polyvalent, cela nécessite une énergie intense. Ce fut une année épuisante… J'espère ne plus jamais vivre cela !! L'année de l'enfer professionnel, à en dégoûter du métier. L'impression d'avoir passé un concours et de l'avoir réussi haut la main pour n'exercer le métier qu’un 1/4, 4 fois... ». Amanda est en colère : « J’aimerais juste ajouter que quand on débute surtout sur des postes particuliers comme ceux-là on est très vulnérables et pas du tout considérés par notre hiérarchie qui n’en a clairement rien à faire de nous. Je trouve ça vraiment dommage qu’en débutant nous soyons mis directement en difficulté de cette façon sur des postes fractionnés car cela émousse légèrement nos beaux idéaux sur l’éducation et notre envie de donner le meilleur de nous-mêmes… ».

Et puis, il y a ces témoignages finalement positifs. Camille : « J'aime ce type de poste, je le trouve très enrichissant en terme d'échanges de pratiques, de relations d'équipe. Je compare... je teste, et lorsque j'aurais MA classe, je pourrais profiter de toutes ses expériences  ». Elena : « Malgré toutes les difficultés, c'est 4 fois plus de variété, de diversité, de petits plaisirs... 4 fois plus d'albums, d’histoires offertes, de chansons, de productions visuelles à afficher fièrement. 4 fois plus d'élèves dans toutes leurs différences et relations variées. 4 fois plus de mini buts à atteindre, de thèmes à aborder, de choses à faire découvrir. Cette année-là, 4 fois plus de cadeaux et de mercis en fin d'année. Je garde un excellent souvenir de mon année de T1 et de ces voyages inter-écoles ». Roxane : « Vraiment, un recul et un lâcher-prise par rapport au boulot que je n’ai pas retrouvé depuis. Presque l’impression d’avoir un « métier comme les autres » ! Et puis une formation extraordinaire. J’avais quatre classes, mais 6 niveaux, dans 4 environnements très différents, de la petite école rurale, qui faisait penser à celle de la Guerre des boutons, avec son P’tit Gibus et son Lebrac, à qui il faut de temps à autre donner un petit déjeuner parce que c’est compliqué à la maison ; à l’école de ville, plutôt BCBG… Une diversité pareille, en si peu de temps… ça ouvre un tas d’horizon, ça donne un tas d’idées de projets, ça montre plein de façon de travailler, de choses à ne pas faire. Alors, oui, on tourne un peu zinzin, parce qu’il faut s’adapter à la pédagogie de quelqu’un d’autre, mais il faut en profiter pour apprendre. Et puis, j’ai appris de façon durable je pense, que l’ambiance de travail était primordiale. Alors, que ce soit un remplaçant pour la semaine, une stagiaire, l’enseignant spé, l’AVS, je m’efforce de ne pas les laisser déjeuner tout seul, de montrer la machine à café et toutes ces choses importantes qui font qu’on se sent à sa place dans un  établissement. On m’en remercie régulièrement, et je le dois à cette expérience. »

 

Un grand merci aux 92 collègues qui m’ont fait l’amitié de me confier leur témoignage. J’aurais aimé les citer tous, raconter chaque histoire. J’espère qu’ils se retrouveront dans cette synthèse.

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