On a fait l’exercice attentat-intrusion

@Jacques Risso

Cette semaine dans l’école, on a fait l’exercice « attentat-intrusion ». Depuis la rentrée on a déjà fait l’exercice anti-incendie (90 secondes pour descendre 350 élèves dans la cour et dans le calme, check), l’exercice de confinement en cas d’explosion d’usine ou de danger chimique (rester dans sa classe rideaux fermés en attendant les consignes, check), voici donc le troisième exercice de sécurité prévu dans le PPMS (plan particulier de mise en sécurité face aux risques majeurs).

A la base, je voulais juste enseigner, moi, je n’avais pas prévu de me retrouver agent de sécurité / vigile pour 30 bambins.

Préparation

Deux bonnes séances de Conseil des maitres sur le sujet : comment faire, concrètement, en cas d’intrusion d’un individu dans l’école ? Depuis le printemps, on a un vidéophone à l’entrée qui est censé prévenir les intrusions puisque la gardienne n’ouvre plus qu’à ceux qui n’ont pas de kalachnikov. Mais bon sait-on jamais, et puis de toute façon c’est la procédure, la directrice a eu une (in)formation sur ce sujet, on n’y coupera pas, c’est même pas la peine de discuter.

Le texte officiel est assez clair : « Le jour de l’exercice, une alarme est déclenchée. Chacun doit donc réagir en suivant une des deux postures identifiées en cas d’attaque: s’échapper ou s’enfermer. Dans une même école, les deux postures peuvent être adoptées en fonction de la localisation de chaque classe au moment du déclenchement de l’alerte. » Pour deux collègues, la question ne se pose pas, leur classe comporte des portes battantes, ils devront descendre deux étages et rejoindre le gymnase à 60 dans le silence total. Pour nous autres, vu que le gymnase est déjà plein, ce sera l’enfermement dans nos classes.

Là aussi le texte est précis : « Rester dans la classe ; verrouiller la porte ; se barricader au moyen du mobilier identifié auparavant ; éteindre les lumières ; s’éloigner des murs, portes et fenêtres ; s’allonger au sol derrière plusieurs obstacles solides ; faire respecter le silence absolu (portables en mode silence, sans vibreur) ; rester proche des personnes manifestant un stress et les rassurer. »

Le jour J, me voilà en train de scotcher des affiches sur les vitres de la porte de ma classe afin qu’on ne puisse plus voir de l’extérieur, je vérifie que la clé est bien sur la porte (à l’intérieur, vu que d’habitude je la laisse à l’extérieur, ce serait ballot de refiler le pass pour toute l’école au terroriste). Pour le mobilier qui doit barricader la porte, je suis embêté. Il y a bien l’armoire juste à côté, ce serait le plus simple, et je souhaite bon courage au terroriste pour la repousser, le problème c’est que moi non plus je n’arrive pas à la pousser, vu qu’elle est remplie de livres et de matériel pédagogique, si chargée que je suis étonné qu’elle n’ait pas encore traversé le plancher pour s’écraser sur la classe de dessous. Sinon il y a mon bureau, mais sur mon bureau il y a l'ordinateur de la classe branché au TNI et il me faudrait débrancher tous les câbles avant de pousser le bureau en silence, sans rien faire tomber, tout cela me parait assez aléatoire. Bon, il reste le bureau d’Allan, juste à côté, ça fera l’affaire, Allan ira se cacher ailleurs.

Je crois que je suis prêt. Je relis les consignes officielles une dernière fois, en me disant que qu’elles sont tellement officielles que si le terroriste a Internet et s’il sait lire, il sait exactement ce que je suis en train de faire.

Avec les élèves

Je présente l’exercice aux élèves. J’ai des CM2, c’est nettement plus facile que pour des petits, je plains les collègues qui doivent expliquer aux maternelles qu’il faut jouer au roi du silence pendant 5 minutes en s’allongeant sous les tables. Les miens, je leur explique qu’il existe un exercice anti-intrusion (vocabulaire : intrusion, mot de quelle famille ?, « intrus », oui, comme dans « barre l’intrus » –  si on seulement on pouvait juste le barrer cet intrus-là)  et que cet exercice nous prépare à une éventuelle mais très improbable entrée dans l’école de quelqu’un qui ne voudrait pas notre bien.

- Ouais, un terroriste, quoi !, résume Satie.

Je leur détaille ensuite le déroulement de l’exercice.

- Se taire 5 minutes, ça va être trop dur pour moi, maitre !

- Se cacher sous les tables ?! Heu, maitre, même si on se roule en boule, il va nous voir l’intrus, c’est hyper visible comme cachette ! Faudrait qu'il soit vraiment nul à cache-cache !

- Ben non puisqu’il peut pas voir depuis le couloir !

- Tu parles il va péter la porte vite fait…

- Mais non, il y aura la table d'Allan !

- De toute façon il peut facilement casser les vitres de la porte.

- Mais honnêtement, monsieur Marboeuf, même si on éteint la lumière et qu’on fait pas de bruit, c’est évident qu’on est dans la classe, non ? Dans une école, ils sont où les élèves ? Dans la cour ou dans les classes. Et comme la cour sera vide…

- En fait se cacher sous nos tables, c'est comme si on l'attendait ici ! On ferait pas mieux de partir en courant ?

- Et si on essayait plutôt de l’attaquer, le voleur ?

- Ouais c’est ça, avec ton stylo quatre couleurs et ton équerre ?...

- On peut se jeter tous sur lui en même temps !

- Et s’ils sont plusieurs ?

- Ou sinon, on fait bouillir de l’eau et on lui verse dessus quand il entre !

- Et si les terroristes arrivent pendant l’exercice ?

J’avais un peu peur de les inquiéter et qu’ils prennent les choses trop à cœur, voilà qu’ils rejouent « Maman j’ai raté l’avion ». Ils font les bravaches, à moitié parce que tout ceci est irréel, presque absurde, à moitié pour se rassurer et sentir qu’ils font corps.

C’est Lina qui a cassé l’ambiance.

- Moi, on peut faire tous les exercices qu’on veut, je sais que si ça arrive en vrai, je vais juste paniquer très très fort.

A ce moment-là la porte s’est ouverte d’un coup, c’était Tanis qui était en retard, on a tous sursauté et la moitié des élèves a hurlé.

Bilan

Quand mon téléphone a vibré, j’ai éteint les lumières, fermé la porte, poussé le bureau d’Allan derrière et tout le monde s’est mis sous sa table. Pendant les 5 minutes qu’a duré l’attente, les élèves ont essayé de trouver leur position et de tenir leur langue, mais ça n’a pas été facile. Au passage, j’espère que les terroristes nous attaqueront au printemps, pas en hiver, parce que la moitié de la classe tousse déjà, on fait mieux en matière de discrétion. Les élèves bougeaient sans arrêt, leur position était inconfortable, il faut dire qu’ils commencent à être grands et moins pliables ; de temps en temps l’un d’eux se cognait à la table, un stylo tombait, ceux autour avaient du mal à ne pas pouffer.

Nous voyant ainsi, camouflés comme le nez au milieu de la figure, j’ai revu ma fille de 4 ans en train de se cacher dos tourné dans l’angle d’un mur en se bouchant les yeux, certaine qu’on ne la voyait pas, puisqu’elle ne nous voyait pas. J’ai aussi pensé à son école qui, comme des centaines d’autres en France, donne directement sur la rue, certains parents regardent d’ailleurs à travers les barreaux pendant la récré, alors l’exercice anti-intrusion pour aller ensuite tranquillement dans la cour…

Je me suis dit que tout ceci était dérisoire, grotesque, absurde. Qu’on essayait de penser l’impensable, d’imaginer l’inimaginable, dans ce qui ressemblerait presque à une tentative de conjuration du mauvais sort façon vaudou, de maraboutage du destin.

J’ai bien compris que le but de tout ceci était essentiellement de rassurer les parents (d’ailleurs le guide à destination des parents d’élèves figure avant celui pour les directeurs d’école, sur le site du ministère) et si j’en crois les réactions des associations de parents d’élèves ça semble marcher, tant mieux, c’est déjà ça. « L’objectif est d’aboutir, par des exercices répétés et progressifs, à une posture adéquate dans le cadre de cet exercice, en veillant à éviter, dans les exercices de préparation, tout scénario anxiogène », peut-on lire dans le guide. Quelle posture adéquate ? Elle a raison, Lina. Ni mes élèves ni moi ne pouvons savoir comment nous réagirons. La seule chose qui soit sûre, c’est que cet exercice ne nous aura pas aidés en grand-chose, si ce n’est, peut-être, à établir une fois pour toutes dans nos têtes que nous sommes des cibles et qu’aucun lieu n’est un refuge.

 

Nota : on lira avec intérêt le post de blog de Jean-Roch Masson, « C’est bon chef, j’ai terrorisé mes élèves ». JR a des CP et l'exercice a duré 20 minutes, mais nos expériences se croisent.

Merci à Jacques Risso pour son dessin, à retrouver comme tous les autres ici.

 

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