Cette semaine s’est tenue la 4ème conférence nationale du handicap. L’occasion pour le Président Hollande et les 5 ministres présents de mettre en avant le bilan du quinquennat sur le sujet et de faire quelques annonces. L’occasion, pour nous, de dire aussi l’envers du décor : l’inclusion en classe ordinaire des élèves en situation de handicap, ce n’est pas si simple. On se dirige sans doute vers un nouveau modèle.
2005-2015 : la décennie des chiffres
Depuis la loi de 2005, tournant majeur dans la prise en compte du handicap, l’école a le devoir d’accueillir tout enfant handicapé. On parle alors d’intégration, un terme assez vite éclipsé par celui d’inclusion, une nuance maintes fois schématisée comme ceci :
De fait, durant cette décennie, et particulièrement durant ces dernières années, comme l’ont précisé le Président et la ministre NVB, le nombre d’enfants handicapés accueillis à l’école a fortement augmenté : de 134.000 en 2004, à 280.000 en 2015. Plus de la moitié des enfants handicapés sont en classe ordinaire, un quart dans un dispositif d’accompagnement collectif en milieu scolaire ordinaire.
Une réussite incontestable, si on s’en tient aux chiffres. La réalité du terrain, elle, dit autre chose.
Dans les faits : les difficultés
Le principalement changement, avec la loi de 2005, a été l’installation de rampes d’accès pour les fauteuils de handicapés moteurs dans les écoles où il n’était pas trop cher de se mettre aux nouvelles normes. Pour le reste, c’est comme si on s’était contenté de dire aux instits : « Voilà, vous allez avoir dans vos classes plus d’élèves en situations de handicap, des situations très diverses, des handicaps très différents, mais vous n’allez pas être formés pour les accueillir, ni sur la spécificité des handicaps, ni sur les adaptations pédagogiques à faire, on vous allouera avec parcimonie des accompagnants pour aider les élèves en question, mais ces auxiliaires de vie scolaire (AVS) ne seront pas formés non plus, ils auront un statut bâtard, un salaire misérable ; les intervenants médico-sociaux (médecins, psychologues, éducateurs, spécialistes divers) ne partageront pas avec vous leur expertise (ne comptez pas sur une information ou une formation de leur part) ni ne considéreront la votre, ne vous diront que ce qu’ils veulent sur l’élève (secret médical oblige). Il vous arrivera parfois d’avoir deux, trois, quatre élèves en situation de handicap, et bien sûr 25 autres et pour tous, vous avez liberté d’action, mais obligation de réussite ».
Depuis 10 ans, j’ai eu dans ma classe des enfants autistes ou à troubles autistiques divers, des enfants TED (Troubles envahissants du développement), des dyslexiques, des dyspraxiques, des dysorthographiques, des dysphasiques, des dyscalculiques, des déficients auditifs, des troubles bipolaires, des troubles sévères de l’attention, d’autres encore pour lesquels je n’ai jamais réussi à savoir quel diagnostic avait été posé par la toute-puissante MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées). Je n’ai jamais eu une seule heure de formation, personne ne m’a dit comment m’y prendre, quelles étaient les particularités de ces enfants, les recherches sur lesquelles je pouvais m’appuyer pour leur proposer quelque chose de cohérent et d’adapté. J’ai eu, quelques heures par semaine, la présence d’AVS qui m’ont bien aidé en accompagnant l’enfant comme ils pouvaient, mais ils pouvaient peu, parfois.
Je me suis débrouillé, j’ai cherché, sur le web, dans les livres, en observant, en travaillant encore et encore, je m’en suis tiré comme j’ai pu, mais pas toujours, j’ai parfois échoué et cela m’a hanté durant des jours. Je m’en suis voulu de n’avoir pas su, pas trouvé, de m’être contenté du minimum, à certains moments. Un sociologue a dit un jour que nous faisions, mes collègues et moi, du « bricolage héroïque », s’agissant du handicap. Héros, tu parles.
Dans l’idéal, l’inclusion des élèves en situation de handicap en classe ordinaire, c’est formidable. Dans les faits, et pour toutes les raisons évoquées, cela ne donne pas forcément le résultat escompté.
Prise de conscience officielle ?
On est longtemps resté sur la vision d’une inclusion en classe ordinaire à tout prix, faute de retours et d’études bilans, et il a fallu un certain temps avant que ce modèle ne soit questionné. Mais petit à petit, le constat fait sur le terrain que ce modèle ne fonctionne pas comme on le souhaiterait idéalement s’étend.
Pour Daniel Calin, grand spécialiste de l’enseignement spécialisé, "l’idéologie inclusive de la loi de 2005 a fait croire aux familles touchées par le handicap de leur enfant, même si ce n’est pas vraiment ce qu’elle prescrit, que tous les enfants et adolescents handicapés pouvaient fréquenter avec profit les classes ordinaires. Elle cultive ainsi des illusions ravageuses, qui menacent de se payer très cher à terme pour ces jeunes et leurs familles. Un des effets de cette priorité accordée à la scolarisation en milieu ordinaire est que l’orientation vers les classes et établissement spécialisés se fait presque systématiquement après un constat d’échec. Ainsi, les enfants handicapés voient de plus en plus souvent l’expérience de l’échec scolaire s’ajouter aux problèmes déjà lourds induits par leur handicap".
Dès 2013, le rapporteur au budget de l'EN écrivait : « la formation des enseignants est le premier point faible dans l’application de la loi », et insistait sur le fait que ces carences « peuvent mettre en difficulté non seulement l’enfant handicapé – les connaissances et les principes de base, notamment sur ce qu’il ne faut pas faire, font très souvent défaut –, mais aussi toute la classe ».
Ces derniers mois, les témoignages venus du terrain remontent, via les inspecteurs et les référents, jusqu’aux bureaux des rectorats et sont discutés dans les réunions entre conseillers techniques ASH (Adaptation scolaire et Scolarisation des élèves Handicapés) départementaux, auxquelles participent également le ministère. Ces retours disent tous la même chose : les équipes pédagogiques sont en difficulté, les conditions de l'inclusion sont telles qu’elles font peser une charge énorme sur les épaules d’enseignants esseulés et démunis qui se débrouillent comme ils peuvent pour gérer l’hétérogénéité de leur classe et la multiplicité des profils, l’accompagnement par AVS n’est pas forcément la panacée en l’état actuel, et au final le bilan est mitigé. L’enfant est scolarisé, certes, mais n’est-il pas possible de faire mieux ?
Dans le rapport rendu par le Cnesco (Conseil national d’évaluation du système scolaire) sur l’école inclusive de février 2016, on peut lire ceci : « En France, il existe peu de données fiables sur les conditions de scolarisation des élèves en situation de handicap, sur leur réussite scolaire et sur leur devenir ou encore sur la capacité des aménagements et l’efficacité des soutiens. L’éducation inclusive s’en trouve résumée statistiquement à un accès physique aux établissements scolaires. [Ce n’est pas moi qui souligne, c’est le rapport] » Le Cnesco pointe le « déficit de formation des agents, tant sur le plan de la compréhension des phénomènes de handicap que sur la dynamique inclusive (lien avec les parents, pédagogie de projet) qui les contraint à des « bricolages héroïques » ne s’inscrivant pas dans un dynamique institutionnelle », le « manque de coopération entre les acteurs du secteur éducatif et du secteur médico-social », le « déficit de moyens humains financiers et techniques, notamment le manque d’AVS et d’accompagnants à la scolarisation ».
Cette semaine, la ministre a déclaré : "Nous souhaitons, dans une approche partagée, développer la coopération entre le secteur médico-social et l'éducation nationale parce que, chacun le sait, l'école ne peut pas tout, toute seule. (...) L'Éducation nationale doit pouvoir s'appuyer sur les compétences professionnelles des acteurs médico-sociaux. »
Vers un nouveau modèle ?
Alors, pragmatique, la question vient à se poser : faut-il continuer l’inclusion en classe ordinaire dans ces conditions ? Plutôt qu’une inclusion immersive moyennement satisfaisante, peut-être est-il préférable de privilégier de petites structures pédagogiques dédiées, en milieu ordinaire ?
Un pays comme l'Italie, traditionnellement très en avance sur la France dans le domaine, est en train de revenir du tout-inclusif et crée de nombreuses classes spécialisées. En France, ces dispositifs spécialisés existent déjà : il y a l’Ulis (Unité localisée pour l’inclusion scolaire), une classe encadrée par un enseignant spécialisé accompagné d’un AVS collectif, à petits effectifs, où les élèves bénéficient, selon leurs possibilités, d’un temps de scolarisation dans une classe de référence dans le cadre d’un projet personnalisé de scolarisation (PPS) ; il y a l’Unité d’enseignement, une structure pédagogique au sein d’un établissement médico-social, qui accueille de petits groupes d’élèves (max 7) pour lesquels elle doit organiser, mettre en place, accompagner et réguler un parcours de formation individuel sur la base du PPS formulé par la MDPH. Ces deux dispositifs accueillent 45% des élèves handicapés, contre 53% pour les classes ordinaires. L’idée serait d’inverser ce rapport en multipliant la création d’Ulis et en favorisant l’externalisation des unités d’enseignement au sein des écoles. Cela permettrait en outre aux enseignants de bénéficier de l'expertise des personnes ressources spécialisées présentes au quotidien.
Dans leurs discours cette semaine, ce n’est pas un hasard, le Président et la ministre ont, à plusieurs reprises, mis l’accent sur ces dispositifs, : « Les dispositifs collectifs créés se sont développés : le nombre d'unités localisées pour l'inclusion scolaire (ULIS) s'est accru de plus de 16%. » « Il y a pour nous un enjeu fort de complémentarité entre l'École et les établissements médico-sociaux. C'est dans cet état d'esprit que nous nous sommes engagées à déplacer une centaine d'unités d'enseignements de ces établissements dans les enceintes mêmes d'établissements scolaires. Plus de 100 l'ont été au cours de cette année 2015/2016 et 100 nouvelles unités seront installées au cours de l'année scolaire prochaine ». « Nous sommes en train de créer 110 unités d'enseignement avec les plateaux techniques du secteur médico-social, au sein d'écoles maternelles ; 60 ont déjà vu le jour et 50 nouvelles ouvriront au cours de la prochaine année scolaire. Des enfants de 3 à 6 ans, présentant des troubles du spectre autistique (TSA), peuvent donc désormais être scolarisés dans ce nouveau dispositif. Présents à l'école comme les autres élèves, ils bénéficient de temps consacrés aux apprentissages et à l'accompagnement médico-social. »
Reste à faire passer ce nouveau modèle en douceur : les parents et les associations sont encore très attachés à l’idée d’inclusion en classe ordinaire. Leur faire comprendre l’intérêt d’un autre modèle nécessite de dire, aussi, pourquoi celui-ci ne marche pas comme il l'aurait du. Et donc de reconnaitre que tout n’a pas été mis en œuvre pour que cela fonctionne, notamment en termes de formation et d’accompagnement des enseignants et des AVS, les deux principaux rouages du mécanisme.
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Nota : je vous conseille le visionnage de ce magnifique film de 5 minutes réalisé par le père d'un petit garçon autiste. C'est ici.