Passer à la TV et souffler dans un violon

Lundi 31 août, donc, Jean-Jacques Bourdin m’avait invité pour parler de la prérentrée des profs, et aussi du livre. J’avais accepté avec plaisir tout en me demandant à quelle sauce je serais mangé : tout le monde connaît Bourdin, je le voyais déjà me planter au fond des yeux un « M. Marboeuf, les français veulent savoir, dites-nous pourquoi les profs passent leur temps à se plaindre ? ». J’avais beau avoir fait quelques enregistrements radio pour la sortie du livre, les jours précédents, là c’était du direct, c’était la matinale, c’était la TV, et les médias, ce n’est pas mon métier, mon métier à moi c’est instit et je pensais, en arrivant à RMC, à ma réunion de prérentrée à laquelle il faudrait que je file ensuite et à tout le travail qui m’attendait ce jour-là.

L’assistant de Bourdin m’avait tout de même légèrement détendu, la veille à 22 heures, quand il m’avait appelé pour me poser quelques questions : « Il n’y aura pas de question piège, ne vous inquiétez pas ». N’empêche. Maquillage, attente, plateau, caméras partout, et bibi, à faire un peu de respiration ventrale, discrètement.

L’assistante me pousse en m’indiquant un siège, là, à gauche de Bourdin. Ca a donné ça (vidéo de l'interview : 7 minutes).

... Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais moi je suis sorti plutôt content de RMC, après avoir enlevé les deux pouces de fond de teint à coups de lingette démaquillante - histoire de bien avoir l’air d’aller au travail et non pas d’en revenir. Bourdin a été plutôt sympa (pas de question piège, en effet), j’ai pu dire à peu près ce que je voulais, même si je n’ai pas placé les deux phrases que j’avais préparées à propos du livre. J’ai l’impression, alors que je repasse le fil de l’interview en attendant le tramway, que j’ai donné une image plutôt bonne de l’enseignant, du métier – malgré un ou deux tics, signes d’une gestion imparfaite du stress.

Si j’ai accepté de passer chez Bouvard, sur RTL, ou chez Bourdin, à RMC, c’est précisément pour aller à la rencontre de leur public qui n’est, a priori et pour faire court, pas particulièrement sensibilisé aux choses de l’école ou au métier de prof (bon d’accord, France Inter et France 5 ne m’ont pas appelé). Ce livre, je ne l’ai pas écrit que pour les instits ou les connaisseurs de l’école, mais aussi (surtout ?) pour les autres, les parents d’abord, pour leur ouvrir la porte de la classe, et plus généralement le grand public, afin, comme le résume le bandeau en bas de l’écran de l'émission de Bourdin, « d’abattre les clichés ».

Je monte dans le tramway en ouvrant mon compte Twitter et, en guise de clichés abattus, voici sur quoi je tombe.

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… une vingtaine de messages comme ça, et un dernier pour la route, inspiré par l’actualité (le migrant, nouveau point Godwin du troll ?)

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Autant vous dire que le trajet en tram a été agréable. Je me suis repassé un fois de plus l’interview mentalement, en me disant que j’avais peut-être été un peu vindicatif sur les salaires, me demandant même si j’avais abordé le sujet moi-même, mais non, la vidéo est très claire : c’est Bourdin qui me demande, et je ne me plains pas, je fais juste allusion au déséquilibre du salaire des instits français relativement à celui des profs de l’OCDE ou du secondaire (-349 € mensuels). Bref, rien de très nouveau, on en a déjà parlé maintes fois sur ce blog.

Que dire, que répondre à ces tweets ? Qu’il faut comparer ce qui est comparable ? Redire une fois encore qu’un instit touche 72% de ce qu’il toucherait ailleurs avec le même niveau d’étude ? Que la faiblesse relative des salaires des instits est une des raisons de la crise du recrutement ?... Que se préoccuper de son salaire n'empêche pas d'avoir conscience des réalités et de ses privilèges, aussi ? Non, je n’ai pas envie d’entamer la discussion. Il n’y a pas de discussion possible, c’est évident. J’ai juste envie de dire au taxi que, quand il a fait grève contre Uberpop, j’étais plutôt de son côté, c’est sans doute ce qui fait la différence entre lui et moi, je suis capable d’empathie pour d’autres professions que la mienne, capable de dépasser les clichés et de chercher à comprendre en m'informant.

Car ce que trahissent ces tweets, au fond, c’est l’ignorance totale de ce qu’est le métier et la vie d’un instit, une vision archaïque et caricaturale et l’incapacité à remettre en question ses représentations :

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Le premier ne peut accepter ce que je dis sur les salaires, pour lui je mens ou suis forcément à mi-temps, je gagne évidemment plus. Le deuxième croit que l’état paie mon loyer (indemnité de résidence : 68,75 € bruts faisant partie des 1900 €). Le troisième trouve un peu louche mon peu d’ancienneté (un âge respectable, moi ?!), manifestement il pense qu’à 40 ans on est nécessairement enseignant depuis 20 ans, comme jadis, il ne lui vient pas à l’esprit qu’on ait pu faire autre chose, avoir une autre vie professionnelle avant, que le monde a évolué.

Et, à la fin, ce tweet, perplexe :

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Le passage sur les salaires ne dure que quelques secondes mais il a tout balayé, le reste de l’interview n’existe plus. Du moins pour certains. Je me dis que décidément, j’ai bien fait de venir, que c’est vraiment là que le combat est à mener : pour quelques énervés, combien de milliers d’auditeurs et de spectateurs auront entendu, malgré tout, ce que j’avais à dire ?...

Pour ce qui me concerne, j’ai d’autres chats à fouetter, déjà, une réunion qui m’attend au bout du tramway, du travail pour la journée entière : c’est que demain, c'est le 1er septembre, mes nouveaux élèves arrivent.

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