On corrigeait un exercice de grammaire, du grand classique, encadrer le verbe en rouge souligner le groupe nominal sujet en bleu, aux crayons de couleurs s’il vous plaît – et à la règle, jeunes gens.
J’avais glissé une phrase plus complexe dans le lot, histoire de voir qui réfléchit vraiment et applique ce qu’on a maintes fois vu, d’une part, et de rappeler une fois encore, à la correction, les questions à se poser dans ce genre de situation, d’autre part.
« Au chaudron antique succède un four à micro-ondes ultramoderne ».
- … oui Taly le verbe, c’est bien "succède" infinitif succéder, 1er groupe. Et le GNS est ?...
- "un four à micro-ondes ultramoderne".
- Très bien Taly. Et oui, les enfants, "qu’est-ce qui succède au chaudron antique ?", c’est "un four à micro-ondes ultramoderne" qui "succède au chaudron antique". Le sujet est ici placé derrière le verbe.
Bref, de la tambouille grammaticale assez standard. C’est ici que Léïa (oui je sais, moi aussi ça m’a fait bizarre au début) a demandé, sur un ton ôtez-moi-d’un-doute :
- Monsieur Marboeuf, pourquoi vous avez écrit "micro-ondes" ?
Je n’ai pas compris sa question. J’ai regardé les autres élèves de la classe, pour voir si eux avaient saisi. Non seulement ils avaient saisi mais ils semblaient attendre la réponse avec grand intérêt, Léïa avait manifestement posé la question que tous se posaient.
- Et comment veux-tu que je l’écrive ?
- Ben, « microndes », comme ça se prononce !
Assentiment général. Et moi qui tombe des nues.
- Oui maître, on dit « microndes », vous vous êtes trompé !
- Dites, les enfants, je voudrais savoir qui dit « microndes », parmi vous ?
Tout le monde lève la main. Sans exception.
- Très bien. Alors, sachez, mes chers élèves, que non seulement on écrit micro-ondes, mais qu’on dit micro-ondes !
Bruissement et moues sceptiques dans l’assistance – moues sceptiques, je vous assure ! Kevin a même osé :
- Vous dites micro-ondes, vous les adultes, mais nous, on dit microndes !
- Un four à micro-ondes, Kevin, c’est un four qui fonctionne avec de minuscules ondes, des micro-ondes.
La lumière, soudain, sur mon assemblée de récalcitrants.
- Ahhhh, d’accord !! Mais oui, c’est vrai, c’est des micro… ondes !
Heureusement qu’il y avait une explication logique, sans quoi je ne suis pas sûr que mes élèves m’auraient cru.
… Une autre fois, un autre exercice, une soucoupe volante en guise d’exemple.
- Maître, vous avez fait une faute au tableau, vous avez écrit « soucoupe ».
- Heu non, je n’ai pas fait de faute.
- Ben si, c’est « secoupe », pas « soucoupe » !
- Ah non on ne dit pas « secoupe », souriais-je.
Je n’avais pas fini ma phrase qu’une voix s’élevait, depuis le fond de la classe, pour prendre mon parti.
- Mais oui, c’est vrai, on dit même pas secoupe, on dit socoupe !
- Mais non, c’est secoupe, même mon père il dit secoupe !
Et voilà ma petite troupe séparée illico en deux camps, celui des secoupes et celui des socoupes, dissertant et arguant à tout va, tentant de convaincre l’autre camp du mieux fondé de sa proposition. J’aurais pu aller boire un café qu’ils ne s’en seraient pas aperçu.
J’ai tapé deux fois dans les mains.
- Pas de jaloux, les enfants ! On ne dit ni secoupe, ni socoupe, on dit et on écrit soucoupe, et à partir de maintenant vous ne direz ou n’écrirez plus que soucoupe, parce que c’est ainsi, je suis là pour vous apprendre notre belle langue, ne me remerciez pas c'est mon rôle et celui de l’école...
Quelques-uns ont vaguement haussé les épaules, plusieurs bouches muettes tentaient de prononcer soucoupe sans conviction.
… Encore un exemple, un dernier.
- Maître, ça veut dire quoi « C’était un genre de maisonnette » ?
- Cela veut dire « une petite maison ».
- Oui, mais « genre » ?
- Ah. C’est une sorte de maisonnette. Tu peux utiliser le mot genre pour dire aussi, par exemple, « je n’aime pas ce pantalon, ce n’est pas vraiment mon genre ».
- Ah d’accord, c’est pareil que « jore», quoi ! Mais alors pourquoi faire deux mots différents pour dire exactement la même chose ?
- Il n’y a pas deux mots différents ! Vous dites jore, peut-être, mais ça n’existe pas, le mot correct c’est genre !
…
De ces quelques exemples qui colorent la vie de la classe et qui sont l’occasion de séances de vocabulaire improvisées (parfois ces séances sont des échappées belles, de purs moments de bonheur pédagogique collectif), plusieurs réflexions me viennent que je livre telles quelles, non dégrossies :
- les élèves qui prennent les propos du maître comme parole d’évangile, c’est fini : il nous faut convaincre, en toutes circonstances ; le maître ne sait pas a priori, il doit démontrer ;
- le groupe a, par défaut, l’avantage sur l’individu, le poids du nombre constitue en soi un argument ; être suffisamment nombreux à croire quelque chose tend à prouver la réalité et la véracité de ladite chose (sur le sujet, voir cette vidéo relatant l'expérience de Asch, bien connue en psychologie, merci Philippe Watrelot pour le lien) ;
- langue orale et langue écrite entretiennent un rapport de plus en plus distant : il y aurait la langue écrite, langue des adultes, langue scolaire par excellence, et la langue orale, langue des enfants, langue de la vie, qui n’est que partiellement corrélée à la langue écrite et a sa vie propre ;
- l’appauvrissement de la langue écrite procède donc aussi de l’appauvrissement de la langue orale ;
- les enfants n’ont pas croisé suffisamment souvent certains termes dans leurs lectures, ces termes n’ont pas été explicités correctement, les élèves ne demandent pas le sens des mots qu’ils rencontrent ;
- une majorité de parents, et plus largement d’adultes, laisse les enfants utiliser des mots tordus, sans les corriger, sans leur donner leur plein sens ;
- plus que jamais, c’est le rôle de l’école de donner la règle, la norme, de corriger, d’amender, de rétablir, d’établir, d’instituer, en douceur, en souplesse, avec bienveillance et souci constant du commun, et ce rôle croît en importance, à cause et malgré tout ce qui précède.
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