C’est le Café Pédagogique qui a attiré notre attention sur cette étude américaine relayée dans la presse canadienne : les parents de milieux défavorisés apprennent à leurs enfants à ne pas demander d’aide à leurs professeurs. Or les élèves qui posent des questions sont ceux qui progressent le plus…
Se débrouiller seul
Tout enseignant a pu vérifier dans sa pratique que, dans la très grande majorité des cas, un enfant de milieu défavorisé participe moins à la classe et sollicite moins l’enseignant qu’un enfant issu de la classe moyenne ou favorisée. Ce que démontre l’étude* de Jessica McCrory Calarco, sociologue à l’Université de l’Indiana, c’est que « ce comportement est bel et bien transmis par l’éducation parentale ». En effet, en transmettant à leur enfant des lignes de comportement face à l’école, au savoir et à l’enseignant – un véritable habitus scolaire – ces parents induisent chez l’enfant un positionnement peu favorable à sa progression, alors même qu’ils visent l’inverse.
Quand on demande à des parents de la classe moyenne ce que doit faire leur enfant s’il a des difficultés à comprendre une consigne ou un énoncé, la réponse est claire : il doit aller chercher de l’aide auprès de l’enseignant. Ce n’est pas la réponse donnée par les parents de milieu défavorisé, dit la sociologue, qui donne l’exemple d’une mère d’élève : « Jason devrait essayer de répondre par lui-même du mieux qu'il le peut. Je dis toujours à mes enfants de travailler fort, et ils ont tous appris en agissant ainsi. Comme avec Shawn, mon fils, il lit mieux qu'avant. Donc il ne me demande plus de l'aider autant qu'avant. Je veux dire, il peut faire ses devoirs par lui-même ». Il faut essayer de s’en sortir seul, du mieux qu’on peut, ne pas déranger et trouver la solution par soi-même, c’est en quelque sorte le message plus ou moins consciemment envoyé par les parents à leur enfant : un bon élève, c'est un élève autonome, qui n'a besoin de personne pour comprendre.
Ces parents se fondent « sur leur propre expérience scolaire, parfois limitée, à une époque où poser des questions n’était pas forcément bien vu » et pouvait être stigmatisant : poser une question, c’est signaler à tout le monde qu’on n’a pas compris, il vaut mieux faire illusion et ne pas risquer l’étiquetage.
Reproduction des inégalités sociales
Or, les systèmes éducatifs actuels, dans leur grande majorité, valorisent la prise de parole, le questionnement et la référence à l’enseignant comme procédure prioritaire en cas de difficulté. De ce fait, c’est la parole des élèves issus des classes moyennes et favorisées qui est reçue par les enseignants, lesquels adaptent leur attitude et leur pédagogie majoritairement en fonction d’eux : non seulement les profs répondent directement aux sollicitations de ces élèves, leur permettant d’avancer plus vite, mais ils reconnaissent aussi mieux, par récurrence, les besoins de ceux-ci et moins ceux des élèves ne les sollicitant pas, ce qui creuse encore l’écart.
C’est ainsi que, cercle vicieux, tout le monde, parents, puis élèves et enfin professeurs, participe inconsciemment à reproduire les inégalités sociales, alors même que chacun croit faire pour le mieux !
Favoriser la prise de parole
On sait depuis plusieurs années, notamment grâce à PISA, que la France est un des pays où l’école participe le plus à reproduire, voire à renforcer les inégalités sociales. Une étude comme celle de Jessica McCrory Calarco – dont on attend une publication française qui nous permettra de mieux en cerner les contours et les nuances – parce qu'elle décrypte les causes, peut être source de réflexion, pour nous enseignant : si nous sommes conscients de ces phénomènes de prise de parole des élèves et de leurs effets sur les apprentissages, mais aussi des ressorts qui les empêchent chez certains publics, sans doute pouvons-nous adapter notre attitude afin, d’une part, de favoriser cette prise de parole, en l’encourageant, inlassablement, grâce à un climat de confiance et de coopération (multiplier les occasions d’échanges et les espaces de paroles, varier les modalités, petits groupes, grand groupe, interactions et discussions entre pairs…) ; d’autre part, d’orienter notre manière de faire et nos réponses en fonction d’un public moins visible dans la classe, plus silencieux – notre capacité à écouter ce silence, à créer et anticiper des solutions est sans doute déterminante.
Par ailleurs, il serait intéressant que nous soyons régulièrement tenus informés, au titre de la formation continue par exemple, de ce type d'apports venus de la sociologie, de la psychologie, de l’ethnologie, des sciences cognitives…
*l’étude est lisible sur le site de l’American Sociological Review, moyennant un abonnement payant
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