Après « le niveau baisse », rengaine abordée la semaine dernière, en voici une autre, entendue mille fois dès que les difficultés de l’école française sont évoquées : la priorité des priorités serait de « revenir aux fondamentaux » (français et maths, donc). Une idée pleine de bon sens, que seul un idiot pourrait contester. Sauf que la France est un des pays qui consacre le plus de temps aux fondamentaux, et que leur place n’a pas varié depuis des décennies…
La France, vice-championne du monde des « fondamentaux »
En juin dernier, l’OCDE livrait ses Regards sur l’éducation 2013, et on y découvrait entre autres la répartition par matière du temps total d’instruction dans l’enseignement primaire dans les pays de l’organisation économique. Voici le graphique.
On voit que la France est le deuxième pays à consacrer le plus de temps à la lecture, la littérature, l’expression écrite et aux mathématiques, qui représentent 58% du temps d’enseignement en primaire (langue 37%, maths 21 %). Seul le Mexique consacre plus de temps aux fondamentaux, mais moins de temps à la langue, la Hongrie étant la seule à consacrer plus de temps à la langue, mais moins aux fondamentaux au total. La moyenne des pays de l’OCDE est de 43% du temps d’enseignement consacré aux fondamentaux, 26% pour la langue et 17% pour les maths.
Autrement dit, un écolier français passe près de 50% de temps supplémentaire à travailler sur sa langue que la moyenne des écoliers de l’OCDE sur la leur !...
Et encore, il s’agit de pourcentages sur le temps d’enseignement global. Or, l’écolier français est parmi ceux qui passent le plus de temps sur les bancs de l’école, la durée hebdomadaire d’enseignement des fondamentaux est donc largement supérieure à la moyenne de l’OCDE !
A titre de comparaison, deux des pays qui caracolent en tête des classements internationaux, la Finlande et la Corée, consacrent très nettement moins de temps aux fondamentaux : 40% du temps en Finlande (24% et 16) et même 37% en Corée du Sud (23% et 14%). Bref, on voit bien qu’il n’y a pas de rapport direct entre temps consacré aux fondamentaux et réussite scolaire…
La même place qu’en 1969
Encore plus intéressant : si on consulte la répartition horaire hebdomadaire des enseignements à l’école primaire, on s’aperçoit qu’entre 1969 et aujourd’hui, les « fondamentaux » occupent exactement la même place.
Voici les répartitions de 2008 :
Pour le CP et le CE1 :
"Français : 10 heures
Mathématiques : 5 heures
EPS, langue vivante, pratique artistique, découverte du monde : 9 heures
TOTAL : 24 heures"
Pour le CE2, CM1 et CM2 :
"Français : 8 heures
Mathématiques : 5 heures
EPS, langue vivante, sciences, culture humaniste : 11 heures
TOTAL : 24 heures"
Voici maintenant la répartition de 1969 :
"Français : 10 heures
Calcul : 5 heures
Disciplines d’éveil : 6 heures
Education physique et sportive : 6 heures
TOTAL : 27 heures"
On constate immédiatement que depuis 35 ans, le volume horaire dévolu aux fondamentaux que sont le français et les maths n’ont pas bougé en CP et CE1, à peine en CE2, CM1 et CM2. Et même, si on considère que 3 heures de classe ont été enlevées depuis 1969, la part dévolue aux fondamentaux est passée de 55% à 62,5% entre 1969 et 2008 pour le CP et le CE1 (aussi appelé cycle des apprentissages… fondamentaux, depuis 1989). En fait, c’est le sport qui a fait les frais de la diminution du temps officiel de classe.
Ce même Arrêté (7 août 1969, B.O.E.N. du 28 août) qui instaure la répartition des temps d’enseignement s’accompagne d’une circulaire (n° IV 69-371 du 2 septembre 1969) qui, déjà, « insiste également sur l’importance des disciplines fondamentales (français et calcul) qu’il conseille d’enseigner le matin, de préférence ».
Le retour aux fondamentaux, c’est bien pratique
On voit que le « retour aux fondamentaux » n’a pas de sens historiquement en terme de volume horaire dédié, pas plus qu’il n’a d’incidence unilatérale sur la réussite scolaire des élèves, comme le montre la comparaison internationale.
Le « retour aux fondamentaux » se révèle in fine être un cliché, un mauvais réflexe, une fausse bonne idée, du bon sens à rebours, il s’agit d’un slogan plus que d’une solution, d’une croyance plus que d’une alternative réfléchie. Pourtant, cela reste dans l’imaginaire collectif, y compris celui d’un certain nombre de profs, comme LA solution, LE remède aux difficultés des élèves, donc de l’école.
Il faut dire que ce serait si simple, que c’est tellement tentant ! Hop, il suffit de travailler un peu plus en français et en maths, et tout ira mieux ! Si l’école ne parvient plus à enrayer la difficulté scolaire, c’est parce qu’on y fait plus suffisamment de dictée ou de calcul mental !... Comme souvent, à un problème infiniment complexe, on propose une solution excessivement simpliste.
Politiquement, c’est très pratique : plutôt que de se pencher sur les causes réelles de l’échec scolaire, sur ses dimensions sociétales notamment, il est bien plus commode d’en appeler à revenir aux fondamentaux. C’est ce qu’avait fait Xavier Darcos dans ses très décriés programmes de 2008, qui voulaient se « recentrer sur l’essentiel » en instaurant par exemple 10 heures de français en CP et CE1 (on vient de voir que c’est le cas depuis 1969, et c'était aussi le cas dans les programmes de 2002…). Darcos avait bruyamment accompagné la sortie de ces programmes en appelant médiatiquement les instits à faire de la conjugaison, des dictées et du calcul mental… Ce faisant, il donnait à croire que ce n’était plus le cas, que les enseignants ne pratiquaient plus ni dictée, ni conjugaison, ni calcul mental, comme s’il s’agissait de coquetteries, d’enseignements optionnels ! Depuis que j’enseigne j’ai toujours fait et vu faire des dictées, sous toutes ses formes, fait et vu faire du calcul mental, sous d’innombrables formes également, et de la conjugaison itou.
En usant de cette vieille ficelle du retour aux fondamentaux, si populaire, Darcos faisait mine de présenter une solution, sans s’attaquer aux véritables problèmes.
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