3 saisons de menus désagréments dans une école primaire française

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Le diable est dans les détails, dit-on. Des petits détails, en voici quelques-uns parmi d’autres, tous véridiques, tous anecdotiques, tous disant quelque chose des conditions dans lesquelles élèves et enseignants travaillent au quotidien dans les écoles primaires, aujourd’hui en France (ce qui arrive dans mon école arrive dans bien d’autres, y a pas de raison). Bien sûr, il n’y a pas que ces aspects-là, il y a aussi plein de choses qui fonctionnent, plein de trucs qui marchent, plein de détails positifs – je cherche, et je vous dis. Mais en attendant, il y a aussi ça.

AUTOMNE

En caverne salle des maîtres

L’automne s’est bien installé, les lumières mordorées de septembre / octobre sont loin déjà et ont laissé la place aux froides fadeurs de novembre. Les arbres sont nus depuis quelques jours, Il fait froid, il fait sombre, il pleut de cette bruine fine qui vous flingue le moral à l’usure, un ou deux degrés de moins et il neige. Le top. Je viens de me taper une heure de service de surveillance dans la cour, je suis frigorifié quand j’entre dans la salle des maîtres avec mon plateau « repas » (j’arrive pas à enlever les guillemets, désolé) avec pour unique objectif de rendre à mes orteils leurs sensations et à mon nez sa couleur d’origine. Je suis surpris de découvrir qu’il y a déjà du monde en salle des maîtres : personne n’a allumé la lumière, je croyais la pièce vide. Je comprends vite pourquoi personne n’avait allumé la lumière : elle ne fonctionne pas. Bon. C’est pas grave, on va se contenter de la lumière naturelle, celle qui passe par les deux vitres de la porte, vu qu’y a pas de fenêtre dans cette salle. Autant vous dire que tout le monde mange à quinze centimètres de son plateau, histoire de voir ce qu’on met dans la fourchette. On a du mal à voir le visage des collègues qui sont au bout de la table – et la table n’est pas grande. Franchement, j’ai vu mieux en matière de luminothérapie.

Bof, un simple problème de lampe à changer, vous dites-vous ? Comme on n’a pas le droit, nous enseignants, de nous en occuper, que la mission revient à je ne sais quel service technique de la commune, ça a duré rien moins que deux semaines. A la fin, j’y allais même plus, en salle des maîtres, je mangeais dans ma classe. Là, au moins, y a de la lumière. Enfin, par intermittence.

Néondertal

Parce que dans ma classe, comme dans la plupart des classes de France, il y a des néons. J’y connais pas grand-chose en luminaire industriel de collectivité, mais il me semble quand même qu’on a fait de gros progrès ces deux dernières décennies, dans ce domaine, non ? Les néons blafards d’antan ont disparu, aujourd’hui un néon produit un éclairage homogène et pas désagréable à défaut d’être joli. Le seul problème, c’est que quand un néon ne fonctionne plus, il ne fait pas comme les autres lampes, pshiit, paf, noir. Trop simple pour un néon. Le néon, lui, ne meurt jamais tout à fait, et certainement pas d’un coup, ça non. Vous voyez ce que je veux dire : il saute, frétille, fibrille, avec son petit bruit caractéristique de grésillement sporadique, semble agoniser en râlant, paraît renaître, s’éteint à nouveau, etc.

Ce son et lumière des plus crispant, en entreprise on se dépêche de vous arrêter ça vite fait, sinon le chef fait un mail d’insulte au responsable technique. Dans l’éducation nationale, pas de mail d’insulte, une demande de plus au service de la mairie. Et priez pour qu’il ne faille pas changer tout le bloc lumière. Pas de bol, c’est ce qui m’est arrivé, dans ma classe. 4 semaines d’attente, pendant lesquelles l’alternative était : pas de néon, donc travail des enfants dans la pénombre, le nez collé au cahier ; ou néon claudiquant, donc suprême agacement de tous au bout d’un quart d’heure. Youpi.

HIVER

Turkish bye bye

Retour de vacances. C’est la reprise, celle d’après Noël. Je monte à mon étage, manque de me vautrer dans le virage tant ça glisse dans le couloir – c’est super quand les dames de service ont le temps de vraiment tout laver ! Dire que dans une heure ce sera aussi dégueu qu’avant.

Ma classe sent bon, une légère odeur citronnée, mon bureau est nickel. C’est agréable de travailler dans du propre, sur du propre, au milieu du propre ! Dire que je n’en profiterai que quelques jours, et qu’après il faudra attendre la prochaine reprise.

Avant d’aller chercher mes élèves, je passe aux toilettes. O surprise ! O merveille ! Je n’étais pas au courant ! C’est à croire que le père Noël est passé ici aussi ! Une magnifique cuvette en émail immaculé trône à l’exact emplacement où, la dernière fois encore avant les vacances, n’était qu’un trou précédé de deux patins au sol : on nous a enfin enlevé les toilettes turques, remplacées par un gogue des plus modernes !!! Je suis si content, je pourrais faire pipi debout, mais je ne résiste pas au plaisir de m’asseoir, de sentir la surface délicieuse sous mon séant ! Extase !... Quel bond dans le futur, dans la modernité ! Au revoir, 19ème siècle, et bonjour, 20ème, l’école française arrive ! Pour le 21ème, on repassera plus tard : il n’y avait pas de papier ce jour-là dans le dérouleur.

Fonte... de glace

Bon, c’est vrai, c’est plus difficile de savoir qu’un radiateur ne fonctionne pas en été. Forcément, c’est quand arrivent les grands froids qu’on se rend compte que les deux radiateurs en fonte de la classe semblent avoir rendu l’âme. Je ne suis pas le seul, on est trois classes à avoir de la fonte glacée, au moment même où les températures extérieures sont passées sous les 5 degrés. On se débrouille comme on peut, à coup de convecteur électrique pour réchauffer un peu l’atmosphère. On parvient tant bien que mal à atteindre les 18°c, plutôt grâce à la chaleur humaine dégagée par les élèves que par le biais du convecteur, d’ailleurs. 18°c, c’est pas l’idéal pour bosser, mais c’est mieux que 16°c, la température quand je suis arrivé ce matin. 16°c, je veux pas faire mon chieur, mais c’est froid. Pas assez pour l’administration, cependant : on peut, je crois, exercer son droit de retrait à partir de 15°c…

Pendant les deux semaines d’attente de réparation des radiateurs, toutes les classes se retrouvaient néanmoins à égalité le jeudi. Ben oui, vu que l’école est pas chauffée le mercredi, tout le monde se caille le jeudi matin, le temps que la température remonte.

Tiens, voilà un effet positif de l’école le mercredi matin : l’année prochaine, on aura moins froid le jeudi.

PRINTEMPS

Travaux, mode d’emploi

L’hiver est enfin parti, de toute façon il a largement dépassé son quota de nuisances, voici enfin le printemps ! Finis, la pénombre perpétuelle, le froid, les soucis matériels à l’école !... Vous regardez vos élèves travailler, un sourire aux lèvres, heureux de voir qu’ils peuvent se concentrer sans être emmerdés par les contingences matérielles extérieures… quand tout à coup, un délicat bruit de perceuse, là, juste au-dessus de la pièce, résonne et vrille les tympans de toute la classe, laquelle lève les yeux d’un même élan. Pas de panique, ça va s’arrêter, c’est sûr. D’ailleurs, ça s’arrête. Pour mieux laisser la place à une perceuse plus costaud, genre percuteuse, vite accompagnée de grands coups de masse. Ma voisine de classe ouvre la porte mitoyenne et me jette un regard genre « putain, mais c’est quoi ce bordel ?? » que je lui renvoie illico. On continue à bosser comme ça quelques minutes, le temps de constater l’entrée d’autres instruments dans l’orchestre – scie circulaire, marteaux, limes, je dirais à vue de nez.

J’y tiens plus, je monte – au-dessus de ma classe, il y a un appartement de fonction. Quand j’arrive à l’étage, j’hallucine : nuage de plâtre, ouvriers avec des masques, des outils partout, des trous dans les murs, des morceaux épars. Devant mon air ahuri, l’un des ouvriers enlève son masque et me demande ce que je veux.

- Ben que vous arrêtiez ce bordel ! On est dans une école, je sais pas si vous êtes au courant ! 60 gamins essaient de travailler sous vos pieds, les gars !

Les types sont sympas, ils comprennent bien, ça les embête, d’ailleurs. Mais ils doivent refaire tout l’appart et ils ont moins de deux semaines devant eux.

- Quoi ?? Vous voulez dire que ça va durer 15 jours ??

- Ben on doit livrer pour le début des vacances…

Je leur dis de venir avec moi, qu’ils voient qu’on peut pas bosser dans ces conditions. Ils me croient sur parole, ils veulent bien faire un effort, on trouve un terrain d’entente : ils essaient de faire le moins de bruit possible et mettent le paquet pendant les récrés et la pause de midi (tant pis si ce sont les heures où je bosse à fond dans ma classe, au moins les gamins n’auront pas trop à subir). Je leur dis merci, et file dans le bureau du directeur lui expliquer la situation.

… On a su au bout de trois jours que rien ne changerait. Les Affaires Scolaires de la commune avaient planifié les travaux, ne pouvaient pas changer les dates. La directrice de l’école maternelle d'à côté devait  entrer dans son appartement de fonction au début des vacances de Pâques. Vous pensez comme moi que les travaux auraient pu être faits pendant les vacances ? Ben non, visiblement. Pendant deux semaines, on a fait ce qu’on pouvait, en classe, les élèves avaient mal à la tête à midi, parfois ; on sortait faire du sport dans la cour, histoire de se détendre ; on allait en salle informatique, un peu plus que d’habitude…

Il paraît que l’appart est somptueux.

ETE

Heureusement, il reste une saison pour profiter, enfin, d'excellentes conditions de travail. Le problème, vous en conviendrez, est qu'il n’y a plus d’été depuis longtemps dans ce pays.

 

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