Il avait dit que ce serait l’un des thèmes phares de sa campagne. Jeudi à Orléans, François Hollande devait donc convaincre le monde de l’éducation de la pertinence de sa vision programmatique, du bienfondé de ses propositions, et esquisser les contours de sa méthode. Il y a beaucoup à dire, sur les mesures annoncées, ou pas, les non-dits, l’implicite de ce discours (lisible ici), les lignes de tensions qui se dégagent…
DES MOTS POUR REDONNER CONFIANCE
Confirmant meeting après meeting son talent d’orateur à travers des discours ciselés et pour tout dire plutôt bien écrits, moins lyrique qu’au Bourget mais toujours enthousiaste et fédérateur, Hollande a d’emblée affirmé la nécessité de tourner la page éducative du quinquennat qui s’achève. « Le quinquennat qui s’achève aura été celui de la discorde, de la division entretenue, du désordre ». « L’école a été dégradée. L’éducation est devenue une variable d’ajustement sur le plan budgétaire ». « Nous héritons d’une dette éducative. Au même titre qu’il existe une dette financière, une dette budgétaire : eh bien, il y a une dette éducative ». « Rythmes scolaires, pédagogie, formation, mission et même moyens, il faudra tout reprendre ».
Le début du discours est patriotique, républicain, et « la première promesse de la République, c’est l’école. » Prenant le contrepied d'une vision réduisant l'école à un coût, nocif pour les finances publiques, qu'il faut impérativement diminuer, Hollande déclare que « la connaissance, le savoir, l’école : ce ne sont pas seulement des dépenses, ce sont des investissements. En France, il n’y aura pas de reprise économique durable s’il n’y a pas un investissement dans l’école ». « En faisant des économies sur l’école, on l’affaiblit. On ampute le potentiel de croissance du pays. Je ne peux pas l’accepter ! »
Aussi Hollande propose-t-il un « pacte éducatif » entre la nation et l’école. « Je veux une refondation. Pas une restauration : une refondation de l’école. »
Hollande parle de valeurs, d’effort, de respect, de laïcité, d’autorité « fondée sur les qualités morales et intellectuelles reconnues, et sur l’exemplarité de celui qui la détient. » Et glisse dans le même paragraphe redressement moral, savoir, culture et allusion au Président : « Je ne néglige pas, non plus, le redressement moral. Le savoir doit être valorisé. L’école est faite pour transmettre de la connaissance. Personne ne doit être jugé indigne de lire La Princesse de Clèves, au prétexte que l’un d’entre nous – j’espère qu’il n’est pas présent ici ! – a eu des difficultés pour accéder à cette lecture ! […] La culture n’est pas l’apanage d’une catégorie sociale ou de quartiers ! La culture est à disposition de tous les élèves. Il n’y a pas de culture élevée et de culture qui le serait moins. »
Renvoyant au discours de Sarkozy à Latran en 2007, Hollande marque sa différence : « Pour enseigner cette morale, je fais confiance aux enseignants. Car, moi, je ne les considère pas comme inférieurs aux hommes de religion. »
Hollande poursuit son hommage aux enseignants, ces 800 000 électeurs souvent dénigrés depuis 5 ans. « Je veux ici rendre hommage à ces professeurs, à ces métiers de l’école, à ceux qui se dévouent pour l’éducation de nos enfants et qui ne reçoivent pas toujours la récompense, au moins symbolique, de la Nation et de celui ou de celle qui la représente au plus haut niveau ». Hollande en appelle à l’union de la nation autour de la communauté éducative : « Je demanderai, si les Français m’en donnent la responsabilité, à tous les citoyens de se tenir aux côtés des enseignants. Parce que pour former des citoyens libres, il faut des professeurs libérés de toutes les tutelles, de toutes les influences ». Le candidat socialiste cherche à rassembler, à réunir face à celui qui divise. « Je veux, pour la France, l’unité, le rassemblement, la réconciliation, la concorde. Tout ce qui manque, aujourd’hui ».
DES PROPOSITIONS ET DES POSITIONS
La création de 60 000 postes.
Le candidat est revenu sur les fameux 60 000 postes. Ce sera l’un des points d’achoppement du débat sur l’éducation, inévitablement. Il pourrait embarrasser Hollande, d’un point de vue idéologique (la crise), mais aussi budgétaire car le coût de cette mesure pourrait bien en empêcher d’autres. « Je connais nos contraintes. […] Mais, en même temps, je considère que s’il y a une priorité, c’est pour l’éducation. On me dit : ça coûte cher, 500 millions d’euros par an, rendez-vous compte ! L’allégement de l’impôt sur la fortune, c’est 2 milliards… ».
Priorité au primaire
Alors que l’effort en matière d’éducation s’est porté durant 5 ans (à l’exception d’une pseudo-réforme de l’école primaire en 2008) sur le secondaire et surtout sur l’enseignement supérieur, Hollande annonce que la priorité sera donnée à l’école primaire. « Chacun le sait : les premières années de scolarité sont déterminantes. Lorsque des difficultés ne sont pas traitées dès les premiers apprentissages, il est très difficile de les corriger ensuite. Les élèves qui peinent à la fin du CP ou du CE1 éprouvent des problèmes tout au long de leur scolarité. […] Il faut commencer par le commencement. Il faut investir là où l’arme éducative est la plus efficace. »».
Je suis assez concerné par la chose : c’est évidemment là que se situe l’effort à faire, notamment en termes de postes. J’ai parfois le sentiment qu’en CE2 c’est déjà trop tard, les retards sont très difficiles à rattraper pour ceux qui sont en difficulté. A 8 ans, leur scolarité est d’ores et déjà compromise. Je rêve de classes de CP ou il y aurait un enseignant pour 10 élèves, démultipliant les possibilités de décloisonnement, de mise en groupe, d’aide individualisée, d’adaptation enseignante au plus près des difficultés des élèves… Est-ce cela que promet Hollande quand il parle de « plus d’enseignants que de classes aux moments clés de la scolarité » ?
Toute sa place à la maternelle
S’appuyant sur les études internationales comme PISA, qui posent la scolarité précoce comme critère de réussite, Hollande veut redonner sa place à l’école maternelle en allant à rebours de ce qui a été fait pendant 5 ans. « Certes, la France dispose d’écoles maternelles qui nous sont enviées dans le monde entier. C’est une invention française, la maternelle. Celle-ci a été attaquée, depuis cinq ans et peut-être même davantage ». Le taux d’encadrement (nombre de professeurs pour 100 élèves) sera remonté, de même que le taux de scolarisation chez les enfants de moins de trois ans. Il y aura une obligation d’accueil pour le service public à partir de 3 ans (on se souvient à ce sujet d’une vive polémique à l’automne).
Fin des évaluations nationales
S’appuyant aussi sur des rapports nationaux (celui, abondamment commenté, du Haut Conseil de l’Education), Hollande annonce la suppression des évaluations nationales de CE1 et de CM2, peu fiables, « qui aujourd’hui accablent les professeurs et qui ne produisent que des statistiques » et leur remplacement par « une évaluation indépendante et incontestable » (CEDRE ?).
Défense du collège unique
Le candidat est aussi revenu sur un sujet qui devrait cristalliser les passions au printemps : le collège unique. Pour Hollande, il faut le maintenir, le renforcer, garder le plus longtemps possible les élèves sur un tronc commun, c’est une question d’équité. « Contrairement à ce qui est dit ou prétendu, le collège unique permet aussi la diversité des parcours. Ce n’est pas un système où tous les élèves passent sous la toise. Nous avons besoin d’une structure commune à tous les élèves » ; « l’orientation ne peut pas être trop tôt – sinon, nous savons bien qu’elle sera un déterminisme social » ; « lorsque nous regardons ce qui fonctionne le mieux en Europe et dans le monde, eh bien le système éducatif qui a le plus de performance, les meilleurs résultats, c’est celui où il y a une importance et une durée du tronc commun. »
Formation des profs
Hollande annonce également la refonte totale de la formation des profs, dossier et échec majeur du quinquennat (la veille encore, la Cour Des Comptes rendait un rapport terrible en forme de réquisitoire contre cette « masterisation » faite par Darcos et Chatel).
« Les systèmes éducatifs les plus performants sont ceux qui assurent une formation initiale et continue des professeurs, de grande qualité. L’actuel gouvernement a détruit cette formation. Pour des raisons idéologiques. Pour des raisons budgétaires, surtout. Pour des raisons, aussi, d’incompréhension sur ce qu’est le métier. Mesurons la gravité de ce geste qui a été accompli. La Cour des Comptes vient de livrer son rapport : il est accablant sur cette réforme, cette suppression de la formation des enseignants – qui n’a rien rapporté au budget de l’Etat et qui a découragé les vocations. Donc, je rétablirai la formation initiale et continue des professeurs.
Hollande annonce la création d’Ecoles Supérieures du Professorat et de l’Education. « Je souhaite que tous les professeurs, quels que soient leurs niveaux de recrutement, qu’ils se destinent à enseigner en maternelle ou qu’ils se destinent à être à l’université, partagent un moment de formation commun dans ces écoles supérieures. C’est cela, la République ! C’est l’échange entre la théorie et la pratique, la recherche pédagogique, l’expérience et les niveaux de formation. L’année de stages sera donc rétablie ».
Ecole type IUFM, pédagogie, voilà qui constituent pour toute une frange d’enseignants, élitiste et « anti-pédagogiste », une raison de plus pour aller voter ailleurs.
Par ailleurs, ce que Hollande ne dit pas sur ce sujet, c’est comment il compte financer le retour de cette année de formation et de stages, qui avait justement été supprimée pour faire des économies…
Orientation, nouveaux programmes
Hollande annonce également une réforme de l’orientation, où le choix premier des élèves devra être respecté. Louable, car l’orientation est un énorme problème trop peu souvent relayé en France. Mais il faudra songer à former plus sérieusement les conseillers d’orientation en les maintenant au fait des évolutions du marché du travail, et articuler davantage les relations entre entreprises et école.
Dernière annonce, celle d’une loi programmatique pour l’automne. Des nouveaux programmes ? Depuis 10 ans que j’enseigne, ce sont les 4ème… Les éditeurs de manuels scolaires se frottent les mains…
Hollande ne fait l’impasse sur personne, il promet « un Grand plan pour l’éducation artistique », cite la culture scientifique, remet de l’histoire en terminale S, parle de sport et met l’accent sur les nouvelles technologies (grand plan de formation pour les enseignants sur les nouvelles technologies).
Enfin, il confirme la création d’un nouveau métier de médiation afin de sécuriser les élèves dans le secondaire.
On le voit, Hollande présente un projet cohérent, de nature à rassurer un monde enseignant un peu traumatisé par le quinquennat finissant.
Si certains points restent flous, si on ne sait pas toujours les modalités de mise en œuvre des mesures annoncées, c’est aussi que le candidat Hollande entend laisser toute sa place à la concertation et aux négociations. « La méthode, c’est la concertation puis le vote d’une loi ».
Ce ne devrait pas être le plus mince des changements…
ENTRE LES LIGNES, DE LA PLACE POUR LES TENSIONS
Dans ce discours habilement rédigé, il faut aussi considérer « l’implicite du texte », comme on dit dans notre jargon, c’est-à-dire lire entre les lignes.
Car le candidat Hollande laisse tout de même planer, sans s’appesantir pour l’instant, l’ombre de quelques débats assez houleux pour les mois suivants son éventuelle élection, et qui sait, la campagne présidentielle.
Le statut de 1950 ?
On retiendra particulièrement la formulation oxymore concernant l’évolution du métier d’enseignant. « Refuser d’entrer dans la discussion du statut des enseignants, ce n’est pas pour autant considérer que le métier ne doit pas évoluer, que ses missions ne doivent pas être discutées ». Hollande ne dit pas qu’il n’y aura pas de réforme du statut de 1950, il dit qu’il refuse d’entrer dans cette discussion (pour l’instant ?)… Car dans la discussion sur le métier, ses missions, sur ses évolutions, on va vite se retrouver au pied du mur de 1950… La question de la réforme du statut est également présente en filigrane dans la question des rythmes scolaires.
Les rythmes scolaires
« Les rythmes scolaires seront réformés, en allongeant le temps sur l’année et en diminuant les surcharges journalières, sans diminuer bien sûr le temps passé à l’école. »
Cette simple phrase est très claire et très lourde conséquences : Hollande annonce que l’école primaire va repasser à 4 jours ½. Personnellement, je n’ai rien contre : le passage à 4 jours est un autre gros échec du quinquennat, et je retrouverais ainsi 3 heures hebdomadaires de plus pour tenter de boucler un programme dément (je préfèrerais qu’on me rende mon samedi matin, plutôt que le mercredi…). Des journées plus légères, ce ne sera pas plus mal. Mais allonger la pause du midi, c’est une bêtise : les élèves la trouvent déjà longue.
Mais la vraie mine est ailleurs : en annonçant que l’année va être rallongée, Hollande prévient les enseignants que les vacances d’été vont être raccourcies… La question est particulièrement sensible chez les enseignants, pas parce qu’ils ne veulent pas travailler, mais parce qu’ils veulent être payés pour ce travail ! Les gens l’ignorent souvent, mais les enseignants sont payés dix mois annualisés. Logiquement, si une partie de ces deux mois de congés se transforme en travail, il faudra rémunérer ce travail…
On en revient au statut de 1950, qui devra être modifié pour permettre le travail des profs sur des périodes de vacances actuelles sans augmentation.
L’augmentation, tiens : pas un mot. Durement touchés par le baisse de leur pouvoir d’achat (-10% en 10 ans), de nombreux profs veulent être augmentés. Ce ne sera pas le cas, ce qui peut se justifier vu la crise. Mais les profs français étant parmi les moins bien payés de l’OCDE (et malgré les annonces trompeuses du ministre Chatel), il ne faut pas sous-estimer la grogne sur ce sujet. Peut-être qu’ici également, le budget des 60 000 postes à créer joue-t-il…
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