Salaire des enseignants : opération poudre aux yeux

On se doutait bien que le salon de l’Education fournirait cette semaine l’occasion idéale au ministre Chatel de communiquer « positivement » : on ne se rend pas à un salon pour rencontrer des professionnels et les insulter (non, ça on le fait de loin). Imaginez un ministre de l’agriculture venir au salon éponyme dégoiser sur les agriculteurs… Mieux vaut « flatter le cul des vaches », vous pensez bien.

Pour la communication positive, on n’a pas été déçu ! Il faut même reconnaître que Chatel a réussi une jolie passe politique. En annonçant, dans une véritable tribune, une revalorisation salariale pour les jeunes enseignants, le ministre a réussi un coup à plusieurs ricochets.

Peu importe si cette annonce repose entièrement sur une manipulation éhontée, le ministre a atteint ses objectifs.

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Il a éteint la polémique de la semaine dernière

Ainsi va la vie politique actuelle, qui se nourrit de l’instant et bat au rythme de l’immédiat : la semaine dernière la publication non officielle d’un projet de décret sur l’évaluation des enseignants avait suscité de vives réactions dans le monde éducatif. Une épine dans le pied du ministre, obligé de souquer par vent contraire. Dix jours plus tard, tournicoti tournicota : exit la polémique, le ministre a repris la main.

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Il redonne de l’attractivité à la profession (à première vue)

On sait les soucis de recrutement que connaît l’Education nationale (20 % des postes non pourvus au CAPES) et le peu d’attractivité d’un métier dont l’image s’est profondément dégradée ces dernières années. La profession d’enseignant n’attire plus grand monde : quitte à faire 5 années d’études après le bac, les jeunes préfèrent logiquement se diriger vers d’autres domaines, plus valorisants et mieux payés. Avec cette annonce, Chatel envoie un message fort aux jeunes : « Venez, ici vous serez bien payés ! » (warf !).

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Il discrédite les revendications des enseignants

En annonçant au grand public que les enseignants vont entrer dans le métier à 2000 € (brut certes, mais bon), Chatel décrédibilise toute tentative à venir de revendication sur le terrain des salaires. Les enseignants sont mal payés, ça commençait à se savoir parmi la population, qui n’était pas loin d’un début de compassion pour un métier dont elle sent bien que l’exercice ne doit pas être facile tous les jours. Plus question désormais pour les enseignants de dire qu’ils ne sont pas assez payés !

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Il permet de justifier les suppressions de postes

Le gouvernement a toujours dit que les enseignants seraient « moins nombreux mais mieux payés ». Pour ce qui est du « moins nombreux », on avait bien remarqué, avec les 80 000 postes en moins. Il fallait impérativement montrer que l’autre partie du contrat était respectée. C’est chose faite : puisque « l’ordinaire » des enseignants est amélioré avec cette revalorisation, les suppressions se justifient pleinement a posteriori…

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Il jette une pierre dans le jardin du PS

Derrière le ministre Chatel c’est tout l’UMP présidentiel que l’on aperçoit en ordre de bataille : l’annonce de cette revalorisation salariale est à prendre comme une réponse politique à la promesse du candidat Hollande de créer 60 000 postes dans l’Education Nationale. Une manière d’occuper le terrain et de dire aux enseignants : « Vous voyez, moi aussi je pense à vous, mais en mieux ! ». La semaine dernière, le candidat PS plaçait l’école en haut de ses préoccupations  ("La préparation de l’avenir par le renforcement des moyens de l’école est un devoir qui s’impose à moi au même titre que la réduction indispensable de la dette ", c'est ici), il fallait donc réagir et le clamer haut et fort : le (futur-mais-déjà-bien-présent) candidat UMP aussi prête attention à l’Education, que ça se sache.

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Les petites manipulations de l’annonce

Pour servir ses objectifs politiques, le ministre Chatel a choisi un chiffre éminemment symbolique : 2000 €, pour la plupart des français c’est le passage à une catégorie favorisée. Sauf qu’on parle bien de brut, et pas de net, comme certains médias peu regardants l’ont dit… En net, ça fait un peu plus de 1600 €, rien d’extravagant pour un bac +5 qui débute. Surtout vu ce qui l’attend. Et sur les 107 000 enseignants concernés par la revalorisation, près de la moitié sera augmenté de ... 20 €.

Il faut aussi revenir sur les propos du ministre Chatel dont le cabinet a, une fois de plus, tordu les chiffres à son avantage en déclarant : « Nous nous concentrons sur les jeunes enseignants, car ils font partie des plus mal payés de l’OCDE, alors que les plus âgés sont au contraire parmi les mieux payés ».

On se contentera de citer un rapport de l’OCDE datant de septembre (Regards sur l’Education 2011) : "En France, le salaire moyen des enseignants du primaire ou du secondaire est inférieur à la moyenne de l'OCDE, aussi bien pour les enseignants débutants, que pour ceux qui ont 10 ou 15 ans d'expérience professionnelle. Seuls les salaires en fin de carrière sont légèrement au dessus de la moyenne des pays".*

« Légèrement au-dessus de la moyenne » ne signifie pas « parmi les mieux payés », vous en conviendrez, monsieur le ministre.

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En fait, cette annonce est une escroquerie !

L’annonce de Luc Chatel repose sur deux mensonges : le premier frôle la malhonnêteté intellectuelle et fonde le second, mensonge par omission.

En effet nous avons ici-même démontré la semaine dernière comment le gouvernement, en modifiant la grille d’avancement des enseignants (qui vont progresser beaucoup moins vite financièrement), va économiser chaque année plusieurs centaines de millions d’euros sur le dos des profs, dont le pouvoir d’achat va sensiblement diminuer.

L’argent qui va servir à augmenter les jeunes enseignants est directement issu des économies ainsi réalisées, pas de celles faites grâce aux suppressions de poste comme le déclare le ministère.

Le gouvernement s’est contenté de prendre plusieurs centaines de millions d’euros aux enseignants la semaine dernière, pour en redistribuer une petite partie cette semaine (72 millions) aux jeunes débutants dans le métier. Les jeunes enseignants qui vont bénéficier de cette mesure vont certes toucher plus d’argent que leurs prédécesseurs à leur entrée dans le métier (et c’est tant mieux), mais ils vont ensuite se retrouver avec le même salaire qu'eux et stagner bien plus longtemps, puisque la grille d’avancement a été modifiée !… Plus que de l’ironie, il y a du cynisme dans cette annonce : on va vous augmenter avec l’argent que vous ne toucherez pas par la suite !

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… Non, vraiment, monsieur le ministre, plus j’y pense plus je me dis que vous avez fait un joli coup de billard à trois bandes…

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P.S. : je vous recommande cet article du Figaro, un modèle de propagande gouvernementale...


*Le salaire statutaire – c'est-à-dire le salaire sans les primes et les heures supplémentaires - des enseignants ayant 15 ans d'ancienneté s'établit, en moyenne en 2009, à 24 422 euros dans l'enseignement primaire, contre 28 507 dans la moyenne des pays de l'OCDE. Il est de 26 267 euros dans le premier cycle de l'enseignement secondaire alors que dans la moyenne des pays il se monte à 30 549. Les professeurs de lycée, eux, ont un salaire de 26484 euros contre 32 030 en moyenne ailleurs.

En Allemagne, la rémunération des enseignants, qui est plus forte qu'en France (+ 38 % dans le primaire, + 42 % dans le secondaire), représente 83,4 % du budget global de l'éducation. En France, c'est 41,5% !", indique aussi cette étude .

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