Les journalistes spécialisés qui s’étaient déplacés, hier, pour entendre le ministre Chatel parler de l’enseignement des langues n’ont pas été déçus. D’enseignement il a été peu question car Luc Chatel, cheval de Troie éducatif du candidat Sarkozy, était venu pour autre chose : présenter deux projets pour la présidentielle, annonçant directement la refonte du métier de prof ; et prévenir le monde éducatif que ça allait barder au printemps.
Les deux projets en question sont un peu techniques :
- la globalisation des heures d’enseignement permettrait aux collèges d’organiser les masses horaires comme bon leur semble ; en fait, elle permettra aux établissements de diminuer les coûts en supprimant des postes d’enseignant ;
- l’annualisation permettrait de considérer le volume horaire du par un prof, non plus d’un point de vue hebdomadaire, mais annuel : X heures à faire en fonction des besoins, par exemple sur 6 mois de l’année, voire sur les vacances (une logique qui rappelle une autre mesure du candidat : l’accord compétitivité emploi permettant de moduler le volume horaire au sein de l’entreprise)… Ici aussi, grosses économies en perspective (on parle de dizaines de milliers de postes), les profs travaillant plus pour le même salaire ; mais surtout, comme le dit le ministre, "derrière l'annualisation il y a la question du statut des enseignants, c'est un sujet très sensible... Il va être abordé dans les semaines qui viennent lors du débat des présidentielles". Nous y voilà.
Autant le dire tout de suite, il y aura peu d’enseignants de l’école républicaine publique pour défendre ces projets. La colère risque même d’être grande. Et c’est précisément ce que recherche le candidat Sarkozy : ainsi qu’il l’avait montré lors de ses « vœux » à l’éducation, il sait qu’il ne doit rien attendre de l’électorat enseignant. Il a donc prévu de se positionner frontalement sur les thèmes de l’éducation, face aux enseignants, en prenant l’opinion à témoin. Le "débat" se fera contre eux, certainement pas avec. Le café du commerce pense que les profs travaillent 15 heures par semaine ? Peu importe que cela soit faux, on va s’appuyer là-dessus pour demander haut et fort qu’ils travaillent plus, surtout en période de crise, il en va de l’intérêt de la nation. Profitons-en pour modifier leur statut et continuer à supprimer les postes pour faire des économies.
Le deuxième étage de la fusée consiste à renforcer le clivage en plaçant le débat sur un plan « idéologique ». Ici, le candidat Sarkozy compte beaucoup sur les 60 000 postespromis par le candidat Hollande, formidable levier d’une opposition « gestion-responsable-et-de-bon-sens-en-temps-de-crise » (moi, N. Sarkozy) contre « irresponsabilité-gauchiste-et-suicidaire-en-période-de-restriction-budgétaire » (l’autre, là-bas).
Cliver, diviser, jouer sur les clichés et les trappes du bon sens populaire, miser sur le simplisme contre la nuance, renvoyer surtout l’adversaire socialiste sur un terrain glissant en attendant la faute : la méthode 2012 est au point. « Je sais où je vais, depuis le début, je le sais, faites-moi confiance ! », ne cesse de répéter Sarkozy aux députés UMP inquiets…