Les anti-vœux de Sarkozy à l’éducation


 

Jeudi à Poitiers, le Président Sarkozy faisait ses vœux « aux acteurs de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche ». Drôles de vœux que ce discours-programme très libéral, adressé à une population enseignante qui se méfie et qu’il défie. Étrange discours, qui présente un bilan étonnamment positif du quinquennat et fait mine d’oublier les promesses non tenues de 2007.

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Pas de vœux, mais un candidat

Les traditionnels vœux de début d’année prononcés par le Président (14 discours cette année) sont censés marquer une forme de proximité cordiale et respectueuse avec une profession, occasion de donner le ton des relations courtoises pour l’année à venir.

Bon, pour la bise sous le gui, on repassera. Le discours de Poitiers (si vous avez 38 mn devant vous, la vidéo est ) ne ressemble pas franchement à une tentative de rapprochement avec le monde enseignant, au contraire : les sujets abordés, les positions prises, le ton même du Président ont montré un positionnement très clivant, selon le mot à la mode. Sarkozy a plutôt creusé le gouffre entre les acteurs de l’éducation et lui-même, un peu comme s’il s’était dit : « je ne compte pas trop sur vous pour ma réélection, je vais même sûrement perdre les enseignants qui avaient voté pour moi en 2007, donc je vais me positionner face à vous, en prenant la nation à témoin ».

Si on n’a pas vraiment eu de vœux présidentiel, c'est peut-être tout simplement parce que ce n'est pas le Président qui s'exprimait mais le candidat ! Il n’a en effet échappé à personne, à l'écouter jeudi, que le Président est candidat à sa succession. On pensait qu’il souhaitait rester dans l’ombre le plus longtemps possible et n’annoncer officiellement sa candidature que vers le mois de mars, afin de jouer une guerre éclair, mais s’il cache aussi bien son jeu qu’à Poitiers, le roi sera vite nu.

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Un programme franchement libéral

Pour l’essentiel, le candidat Sarkozy reprend le programme présenté par l’UMP lors de sa Convention sur l’Education de novembre dernier.

Changement de statut des profs (« les professeurs doivent accepter de nouvelles manières de travailler »), autonomie des établissements libres de recruter qui bon leur semble, mise en concurrence des écoles sur la base des évaluations nationales, personnalisation des parcours scolaires des élèves, voici les points majeurs. Seule  demi-nouveauté (mais vieux serpent de mer) : la fin du collège unique. Il s’agit d’ailleurs d’une question hautement idéologique, elle aussi très clivante, sur le terrain et en politique : faut-il proposer autre chose aux élèves en difficulté au collège (droite) ou tout faire pour remédier à leurs difficultés (gauche) ? On met une petite pièce sur quelque débat enflammé sur le sujet.

La position du candidat Sarkozy dans ce domaine comme dans d’autres se veut pragmatique et trahit une vision très utilitariste de l’école : « Accepter enfin de dire que la première mission de l'école est de préparer à la vie active. (...)  Si un diplôme ne débouche pas sur un emploi, mérite-t-il son titre de diplôme ? ». A ceux qui pensent que l’école doit former des citoyens éclairés, la réponse est claire : elle doit former des travailleurs, fournir de la main d’œuvre aux entreprises.

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Oublier les promesses de 2007

On n’a pu réprimer un sourire lorsque le candidat Sarkozy a déclaré, l’air convaincu, un « il faut oser le changement » bien paradoxal pour un président sortant. D’abord parce qu’il a eu cinq années pour l’oser, le changement ; ensuite parce qu’il faut faire attention, les français pourraient bien oser le changement, eux ; enfin parce que le changement, ce serait que Sarkozy tienne ses promesses… de 2007, dont Claude Lelièvre rappelle opportunément que « leur degré de réalisation s'avère le plus souvent évanescent voire parfois inexistant; ou, pour le moins, discutable », avant de citer le Sarkozy de février 2007 :

« Si je suis élu, je m'engage à ce que l'on débatte de nouveau des programmes scolaires et du projet éducatif devant le Parlement et devant le pays [...]. Je m'engage, si je suis élu à rendre aux enseignants la considération qui leur est due, à revaloriser leur carrière si dévalorisée depuis un quart de siècle [...]. Je m'engage à ce que ceux qui voudront travailler davantage puissent gagner plus. Je m'engage à ce que les gains de productivité qui pourraient être réalisés leur soient redistribués pour moitié. Je m'engage à ce qu'ils soient mieux formés, mieux accompagnés, mieux soutenus et par conséquent moins isolés […]. Le même candidat Sarkozy disait aussi : "Dans les quartiers où s’accumulent tous les problèmes de l’exclusion et du chômage, je propose de créer des classes de quinze élèves dans les collèges et les lycées ».

- en primaire, le débat sur les programmes scolaires a été une parodie de concertation, le fameux recentrage sur les fondamentaux a essentiellement débouché sur des changements de terminologie, comme souvent (« production d’écrit » est redevenu « rédaction », en gros), et sur l’enseignement de l’histoire des arts. Alors, quand Sarkozy prend pour exemple « la réforme capitale de l’école primaire », j’avoue que je ne vois pas bien à quoi il fait référence… Peut-être à la semaine de 4 jours, qui nous prive de 3 heures d’enseignement hebdomadaire, ce qui n’aide pas beaucoup à se recentrer sur les apprentissages fondamentaux.

- pour ce qui est de la considération due aux enseignants, et depuis le discours de Latran qui posait la supériorité du curé sur le prof, on a vu pendant cinq ans de déclarations dénigrantes ce que les ministres sarkozyens pensaient des profs, de Darcos et ses propos sur les changements de couche en maternelle à Coppé et sa nostalgie des temps « où les instituteurs et leur école savaient répondre à leurs missions ».

- sur la revalorisation des carrières, et malgré les manipulations langagières du ministre Chatel, il suffit de rappeler que moins de 10 % des profs ont été augmentés ces dernières années (et encore, ce sont les jeunes profs, qui ont perdu une année de salaire avec la suppression de l’année de formation)  et que les profs français sont globalement très mal payés eu égard à leur niveau d’étude et en comparaison de leurs collègues étrangers.

- sur la formation, l’accompagnement et le soutien des jeunes profs, on a vu : la masterisation, qui a supprimé les IUFM, son année de formation initiale et une entrée graduelle dans le métier, est une véritable catastrophe, au point que la réforme va être revue sur proposition d’un rapport… UMP.

- enfin, en guise de classes à 15 élèves, on a surtout vu des effectifs gonfler partout en France, ce qui est assez mathématique si le nombre d’élèves augmente et le nombre de profs diminue.

 

Pour croire aux promesses sarkozyennes de 2012 et à sa méthode éprouvée cinq années durant, il faudra vraiment faire abstraction du passé…

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Sarkozy défend son bilan

Dans un édito du Café Pédagogique, François Jarraud tentait cette semaine de faire un bilan du quinquennat, en distinguant action politique et résultats concrets : « Sur de nombreux sujets, son action est réelle mais contestée. C'est la mise en place d'un type de gestion du système éducatif marqué par la montée de l'autonomie des établissements et du rôle du chef d'établissement, d'évaluations nationales appelées à piloter le système, de l'abandon de la carte scolaire et la mise en concurrence des établissements. Incontestablement le quinquennat a changé l'Ecole et continue à le faire avec le nouveau décret sur la gouvernance académique. Sans le dire, touche après touche, le paysage change, le métier enseignant aussi.

Il y a les sujets de plantage. L'OCDE a dressé un réquisitoire terrible [cf. ici]. Baisse du niveau des élèves faibles, inégalités sociales croissantes, salaires enseignants parmi les plus bas des pays développés, sorties massives sans qualification. Durant le quinquennat l'Ecole a régressé. Pour les enseignants, du LPC à la nouvelle évaluation des enseignants, le quinquennat laisse la trace d'une transformation douloureuse du métier. »

 

Luc Chatel l’a expérimenté ces derniers temps : vanter un bilan positif du quinquennat oblige a des arrangements avec la réalité… Le candidat Sarkozy, essayant de défendre son bilan à Poitiers, en fait de même : lorsqu’il tente de faire croire que son action a entraîné une hausse du niveau des élèves, par exemple. « Il n'y a pas de déclin inéluctable. (...)  Le nombre d'élèves ayant des connaissances insuffisantes a fortement régressé en français (-13%) et s'est stabilisé en mathématiques ». Les chiffres cités sont ceux des évaluations nationales de CE1 pour l’année 2010, ces mêmes évaluations nationales tant décriées par les profs sur le terrain, longuement critiquées ici-même, tellement peu sérieuses que le HCE (Haut Conseil pour l’Education) a rendu un rapport accablant cet automne : ces évaluations sont des indicateurs « pas satisfaisants », « peu exigeants », « trompeurs », « peu fiables », qui ne permettent pas « d’évaluer avec précision ». La conclusion du rapport était très claire sur ces évaluations : « Etant donné son caractère très partiel et son niveau d’exigence très insuffisant, cet indicateur devrait être rapidement supprimé ». C’est ce même indicateur qu’utilise pourtant Sarkozy pour arguer d’une progression du niveau…

 

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On aura compris que ces vœux n’en étaient pas, que ce discours ne s’adressait pas aux enseignants : ils connaissent la réalité du terrain, savent que la crise de la profession s’est aggravée en cinq ans, ne sauraient accepter tels quels des argumentaires qu’ils savent tronqués.

Les propos du candidat Sarkozy s’adressent à son électorat, et les enseignants n’en seront manifestement pas. Cet électorat-cible se compose, si on comprend le geste que constitue le discours de Poitiers, de deux groupes : les libéraux purs et durs, qui seront certainement ravis des orientations contenues dans le programme sarkozyen ; et une frange de la population pas trop proche de la réalité de l’école (sans quoi elle verrait…), prompte  à tomber dans le panneau du clivage, sur le mode « ces profs privilégiés devraient venir voir en entreprise comment ça se passe » : ce sont eux que le Président prend à témoin lorsqu’il déclare : « Si nous augmentons le nombre d'enseignants, est-ce que vous croyez que la société française aura les moyens de faire l'augmentation du nombre d'enseignants et la revalorisation des enseignants ? Personne ne peut croire une minute que ce sera possible ».

 

Voilà, la campagne de l’éducation est lancée. Et s’il y a un sujet où il sera difficile de dire que « droite et gauche, c’est la même chose », c’est bien celui-ci.

 

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