Pourquoi je ne fais pas grève aujourd’hui


Aujourd’hui mardi 31 mai a lieu un mouvement de grève national dans la fonction publique, à l’appel des syndicats, afin de « condamner la politique d’austérité salariale » menée par le gouvernement. Concrètement, il s’agit de protester contre le gel des salaires et la perte du pouvoir d’achat enregistrée depuis des années.

Soyons clair : je suis 100 % d’accord sur le diagnostic des syndicats, c’est celui de toute âme sensée qui a fait un peu de maths ou qui sait lire sa fiche de paie. Depuis 8 ans que je suis instit, mon pouvoir d’achat a baissé, point.

Pourtant j’ai décidé de ne pas faire grève, pour la première fois de l’année. Il y a eu d’autres grèves ces derniers mois, et j’en étais. Il y en a eu également pas mal ces dernières années, j’y ai participé, souvent. J’ai perdu des journées de salaire sans un remords pour dire mon désaccord, mon opposition, ma colère, ma révolte ; pour affirmer d’autres positions, contre-argumenter, dénoncer les erreurs, les calculs à contre-sens, le manque d’ambition, l’absence de concertation, les vues courtes et basses allant à contre-courant de tout ce que le terrain suggère.

J’ai vu la semaine passer à 4 jours, sans que les programmes ne diminuent, au nom du sacro-saint weekend enfin complet.

J’ai vu des Programmes en forme de trompe-l’œil imposés après une caricature de concertation.

J’ai vu démanteler des réseaux spécialisés dans l’aide aux élèves en difficulté, laissant ces derniers encore plus en difficulté.

J’ai vu des postes sauter par centaines et des classes fermer et d’autres encore.

J’ai vu débarquer dans les écoles des jeunes instits sans formation, je les ai vus se fracasser sur les arêtes les plus tranchantes de ce métier, seuls, impuissants. Et je les ai vus repartir, écœurés.

J’ai vu bien d’autres choses.

Et pour dire ce que je voyais ou prévoyais, j’ai fait grève. Parce que j’ai cette possibilité. En espérant contribuer à attirer l’attention sur des problèmes qui relèvent de l’intérêt général, du bien commun. Des questions centrales pour une société qui décide chaque jour du sort de ses enfants, de ce qu’elle va leur proposer, de ce qu’elle construit pour eux. En me disant qu’on pourrait porter à la connaissance du plus grand nombre des éléments que notre métier nous donne à voir au quotidien comme autant d’évidences. Qu’ainsi tous sauraient, verraient et comprendraient.

Et qu’ai-je entendu, finalement ?

J’ai entendu que nous prenions les usagers en otage.

J’ai entendu qu’au lieu de nous plaindre nous ferions mieux de nous occuper des enfants.

J’ai entendu que nous sommes des privilégiés.

J’ai entendu congés énormes, peu d’heures de travail.

J’ai entendu fonctionnaire tu endettes la France.

J’ai entendu viens donc en entreprise découvrir le monde du travail.

J’ai entendu qu’il s’agissait de corporatisme, d’intérêts personnels.

J’ai entendu qu’on se battait toujours pour notre pomme, égoïstes.

Alors aujourd’hui qu’il m’est donné la possibilité, pour la première fois depuis longtemps, de revendiquer quelque chose pour nous, pour moi ; que pour une fois je ne me bats pas pour les enfants des autres mais pour les miens ; qu’exceptionnellement, il ne s’agit pas d’évoquer les conditions de travail et d’enseignement, mais les conditions de ma petite vie… et bien je décide de ne pas faire grève, de ne pas manifester, de ne pas mettre en avant l’homme et de le laisser derrière l’instit.

Aujourd’hui encore, j’apprendrai des choses aux enfants, comme tous les jours, du mieux que je peux et avec toute la conviction, le professionnalisme, l’envie qui sont les miens qui sont les nôtres.

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