Dans quel contexte se tiennent les assises sur le harcèlement à l'école?


Comme prévu, en ouverture des assises nationales sur le harcèlement à l’école, le ministre de l’Education nationale Luc Chatel a annoncé ce lundi 2 mai les premières mesures qu’il compte mettre en place contre le harcèlement, s’appuyant sur le rapport de préconisations d’Eric Debarbieux suite à l’étude préliminaire menée en élémentaire auprès de 12 000 élèves de CE2, CM1, CM2 et dont les conclusions ont été rendues il y a quelques semaines.

Mais au fait, dans quel contexte se déroulent ces assises ?

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Un rapport d’enquête pas si alarmiste que ça

Je redis ici ce que j’ai déjà dit dans mon précédent post sur la question : il faut prendre le temps de lire le premier rapport d’enquête sur le harcèlement d’Eric Debarbieux, sans se contenter des dépêches Reuters reprises en boucle et réductrices : en effet, on y constate des chiffres bien moins alarmistes que l’impression laissée à la lecture des journaux (mais qui a LU le rapport ???) ; le rapporteur lui-même écrit : « Loin du catastrophisme affolé qui s’est emparé des représentations communes de l’école française, notre enquête livre un regard très positif des élèves sur leur établissement, leurs enseignants et les relations avec leurs camarades. A cette perception d’un bon climat scolaire correspond une victimation somme toute assez restreinte. En bref notre première approche est plutôt revigorante ! Si bien sûr nous nous attarderons sur les enfants victimes il n’en faut pas moins garder en toile de fond cette donnée rassurante et qu’il est étonnant peut-être de rappeler : oui les enfants sont le plus souvent heureux dans leur école. »

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Un calendrier savamment orchestré

C’est une litote : ces assises représentent une bouffée d’oxygène pour un ministre de l’Education Nationale plutôt habitué ces derniers temps à ferrailler : au beau milieu du pataquès généré par les fermetures de classes, les suppressions de poste, la catastrophique réforme de la formation des enseignants, ces assises sur la lutte contre le harcèlement ont quelques conséquences bienfaitrices pour Luc Chatel :

1. On ne parle plus de ce qui fâche, en vertu du principe d’autocombustion permanente de l’actualité ;

2. Le sujet redore illico le blason du ministre qui retrouve là figure humaine, tant il est vrai qu’on ne trouvera pas grand monde pour s’élever contre cette lutte, et fédère dans son sillage toute la communauté éducative rendue au silence sur les autres sujets (d’ailleurs, voici les syndicats logiquement aux côtés du ministre) ;

En plus, ça permet au ministre de faire des belles phrases et de citer Platon : "L'homme libre ne doit rien apprendre en esclave" ou Saint-Ex : "Si je diffère de toi, loin de te léser, je t'augmente". Franchement, ça claque. Ça fait cultivé et littéraire, très « enseignant », quoi.

… Que ces assises aient été planifiées début mai, soit quelques jours après l’annonce programmée des suppressions de classes, c’est franchement bien vu : on sait que la maîtrise du calendrier est décisive aujourd’hui en politique.

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Un réel enjeu pour Chatel

Si le bilan gestionnaire du ministre Chatel est bon, c’est qu’il se limite à la mise en pratique du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux déjà amorcée sous Darcos. De ce dernier Chatel doit par ailleurs supporter en plus le legs de la « masterisation », ce qui doit pas être marrant tous les jours…

Autant dire que ce plan de lutte contre le harcèlement revêt une importance certaine pour Luc Chatel, s’il veut que son nom soit associé à quelque chose de positif et constructif, et non à une vision négative et destructrice de l’Education comme ça en prend le chemin. Sur un sujet consensuel comme celui-ci, il ne rencontrera pas d’obstacle majeur, pas d’opposant crédible, à lui de jouer.

On regrettera que la même énergie et la même attention que celles déployées pour cette question du harcèlement ne soit pas dirigée par ailleurs sur d’autres chantiers de l’école sans s’étonner pour autant que le ministre de l’Education Chatel, fidèle des gouvernements de Sarkozy depuis 2007, tente de briller et de s’imposer sur le versant sécuritaire de l’Education…

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Des assises qui s’assoient sur le secondaire

On s’étonnera en revanche que les assises aient lieux alors même que les premières conclusions ont été rendues seulement pour ce qui concerne l’école élémentaire. Ce n’est pas le cas pour le collège et le lycée, où l’étude est bel et bien lancée mais pas terminée, et dont le rapport n’est pas encore rendu. Il semble pourtant que les discussions aux assises soient engagées sur tous les fronts : si on peut évidemment commencer à réfléchir sur la question du harcèlement dans le secondaire (assez différente me semble-t-il du primaire), attendre une vue plus précise de la situation spécifique au secondaire aurait sans doute aidé à réfléchir en connaissance de cause. Ce ne sera pas le cas.

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Les pistes annoncées

Les assises s’achèvent mardi midi, on attendra de voir de quoi tout ceci va accoucher. Mais selon toute vraisemblance, les grandes lignes tracées par le second rapport Debarbieux devraient être suivies :

-  formation accrue des équipes éducatives (on peut enlever accrue vu que pour l’instant y a rien sur ce sujet dans notre formation !)

- sensibilisation du grand public avec campagne en direction des parents et des élèves à l’automne et ouverture d’un site web dédié (le grand truc de Chatel, qui dans son Pacte de carrière propose déjà aux enseignants un site dédié à la mobilité)

- mise en place d’enquêtes tous les deux ans pour recenser les actes de harcèlement

- mise en place d’un numéro d’appel permettant aux enfants de dénoncer des actes dont ils sont victimes ou témoins

- mise en place d’un volet répressif avec des sanctions disciplinaires d’intérêt général

- mise en place d’un plan de lutte spécifique contre le harcèlement sur Internet

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De quoi être un peu sceptique

Pour avoir feuilleté ledit rapport, et en attendant de le lire plus méthodiquement, je le trouve très ambitieux et quelque peu… illusoire. Deux exemples :

1. Pour lutter contre le harcèlement sur Internet, Debarbieux prévoit de responsabiliser les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) et les médias… On craint de comprendre qu’il s’agit de moraliser les FAI et la sphère médiatique et d’attirer leur attention sur un problème dont ils n’ont franchement rien à cirer (je suis curieux de les voir autour d’une table ronde sur ce sujet !). Debarbieux propose notamment une « diffusion gratuite négociée au niveau des réseaux sociaux, mais aussi des fournisseurs d’accès de messages positifs et de messages d’alerte quant à l’utilisation de ces réseaux. » Demandons à Facebook de se tirer une balle dans le pied, Zuckerberg sera sûrement d’accord.

2. Concernant la formation des personnels « amenés à jouer un rôle central dans le développement de cette écoute [des élèves harcelés] », Debarbieux se montre particulièrement joli cœur quand il parle des  « personnels existants qui doivent recevoir une formation spécialisée de très haut niveau à cet égard et être confortés dans leurs missions : les membres des RASED, les infirmières et médecins scolaires… »… Belle tentative pour sauver les RASED, rappelons juste que ceux-ci sont déjà quasiment éradiqués !

De même, l’une des clés du succès de la lutte contre le harcèlement est sûrement « une hyperspécialisation des personnels surnuméraires dans les écoles », mais Eric, le personnel surnuméraire est le premier traqué par les services de suppression de postes !

Bref, si Debarbieux fait des propositions allant à contre-courant de la politique actuelle, on doute qu’il soit suivi et donc que tout ceci débouche sur des mesures efficientes…

df

Luc Chatel à donf

Luc Chatel, grand prêtre de l’éloquence, hier dans son discours d’ouvertures des assises : « Je ne remettrai pas ce sujet sous le tapis et je n’en demeurerai pas à l’incantation. Mon engagement en ce domaine est total ; ma détermination à y apporter des réponses efficaces et diverses l’est tout autant. Ce à quoi nous allons travailler pendant ces 2 jours relève d’un enjeu de civilisation : c’est un travail d’humanisation que nous allons mener, dans le creuset de notre Nation ».

Mazette.

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Pour suivre les assises , c'est ici. Programme, mais aussi interventions en vidéo. Je n'ai pas eu le temps de les regarder, mais il y a des gens comme Marcel Rufo qui causent.

SI vous avez envie de vous éclater : voici le discours d’ouverture de Chatel à ces assises... Vous avez le droit de passer votre tour.

On relira aussi avec intérêt la tribune de Hubert Montagner, de l’INSERM, dans le Café Pédagogique du 26 avril : c'est l'un des rares à s'être élevé contre le bienfondé du rapport Debarbieux, avec des arguments intéressants.

Et aussi une ITV d'Eric Debarbieux dans l'Expresso du Café Pédagogique du 2 mai.

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Note du 6 mai : en guise de compte-rendu des assises, qui ont comme prévu accouché d'une souris, je vous recommande celui du Café Pédagogique, ainsi qu'une analyse plus axée sur l'accord passé avec Facebook sur le blog de P. Watrelot.

Note du 11 mai : en fait, il semblerait qu'aucune discussion n'ait débuté avec Facebook, d'après numerama ! Je m'disais aussi...

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