J'ai bien relu l'interview de Luc Chatel au Figaro

Lundi, Le Figaro publiait un entretien avec Luc Chatel. Une fois mes livrets du 2ème trimestre achevés, j’ai pris le temps de bien lire les propos de mon ministre de tutelle. J’ai bien fait. De cette interview, on a essentiellement retenu et commenté l’appel à recruter des profs remplaçants via Pole Emploi (question déjà abordée ici-même il y a plusieurs mois). Faire cet appel quelques jours après avoir présenté un Pacte de carrière censé « revaloriser le métier d’enseignant », vraiment, on est en droit de glousser. Gloussons.

Mais il y avait bien autre chose dans cette interview, et comme vous n’avez peut-être pas pris la peine de lire la totalité de l’entretien (comme je vous comprends), voici un petit résumé commenté.

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L’enseignement de l’anglais

Le ministre est clair, « les Français ne sont pas bons en langue étrangère. Je pense que le temps est venu de réinventer cet enseignement ». Chatel propose notamment une épreuve orale au bac, arguant avec un incontestable bon sens qu’ « une langue est un outil de communication, il faut savoir la parler ». Une épreuve orale de langue au bac ? Heu je me souviens en avoir eu une, personnellement, et pas au rattrapage ! Elle a été supprimée depuis en faveur d’une simple épreuve écrite, probablement bien moins coûteuse à évaluer.

Au sujet des petites classes, voici ce que répond le ministre quand on lui dit parle de la suppression des postes d’intervenants étrangers : « Nos jeunes enseignants parlent désormais davantage l'anglais, ils peuvent l'enseigner. Je pense surtout qu'on peut utiliser les nouveaux modes de communication. On peut apprendre l'anglais à Paris par visioconférence en dialoguant avec un enseignant basé à Londres. Nous allons mieux travailler avec les collectivités locales chargées de financer les équipements des écoles primaires, en vidéoprojecteurs ou ordinateurs. » J’ai failli avaler mon chapeau ! J’ai consacré un post à cette question de l’enseignement de l’anglais, une belle imposture selon moi : nous ne sommes pas formés correctement, parce qu’il n’y a pas de crédits, on nous donne une habilitation fantoche, le niveau de l’enseignement en primaire est donc globalement médiocre en langue et essentiellement écrit puisque les instits ne savent pas plus parler anglais que la moyenne ! Alors la visioconférence avec Londres, les vidéoprojecteurs, laissez-moi rire.

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Les remplacements.

Quand on aborde le sujet qui fâche, Chatel nous ressort l’épisode 22 de la bataille des chiffres : « 96,2% de ces absences sont remplacées. Le remplacement s'améliore. Le taux de mobilisation des professeurs titulaires sur zone de remplacement est passé de 76,53% en octobre 2009 à 85,76% en février 2011. La situation dont vous parlez est d'ailleurs très marginale. »

Tellement marginale que tout le monde monte au créneau : les parents d’élèves, les inspecteurs de l’Education Nationale et même les maires multiplient les prises de position. Et je ne parle pas des profs. Rappelons tout de même que si la question des remplacements est un vrai problème, c'est avant tout parce que les corps de remplaçants ont été durement touchés par les suppressions de poste et sont aujourd'hui décimés.

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Chiffres et (dés)information

A propos de chiffres, il doit y avoir à la dir' com’ du ministère un type (genre fan de sudoku) chargé à plein temps de trouver des stats conciliantes, de les tordre si elles ne sont pas assez dociles et de présenter ensuite au ministre les chiffres valorisant et justifiant la politique gouvernementale.

« Nous avons 35.000 postes d'enseignants de plus qu'il y a quinze ans alors que nous avons 500.000 élèves de moins. Nous restons l'un des pays de l'OCDE qui investit le plus dans l'éducation. »

Bataille de chiffres, épisode 23 : 66 000 postes en moins depuis 2007, et pour la rentrée prochaine 8 967 suppressions de postes pour 8 300 élèves supplémentaires. Et puisque le ministre cite l’OCDE, il aurait pu citer aussi cette stat édifiante : la France est le pays de l’OCDE qui a le taux d’encadrement le plus faible, avec 6,1 profs pour 100 élèves.

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Evaluations nationales

« La réforme de Xavier Darcos a sacralisé l'évaluation en CE1 et CM2. C'est un outil pour le professeur qui, grâce à l'aide personnalisée, peut remédier aux difficultés. D'ailleurs, les derniers résultats portant sur l'examen de CM2 datant de janvier montrent un léger frémissement en mathématiques. 38% des enfants ont des acquis «très solides» dans cette matière, contre 35% l'an dernier. Et ils ne sont plus que 7% à avoir des acquis «très fragiles» contre 10% l'année dernière. […] C'est bien la preuve que notre recentrage sur les fondamentaux, français et mathématiques, à l'école primaire est en train de payer. »

Comme le dit le Café Pédagogique : « Ainsi le ministre n'a pas tardé à trouver une utilisation à ces évaluations en leur faisant dire ce que chaque administration productrice de données souhaite entendre... »

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Pour ma part j’ai déjà dit ce que je pensais de la supercherie que constituent ces évaluations nationales : sur le fond elles peuvent être un outil intéressant pour l’enseignant (qui dispose de bien d’autres outils intéressants), mais dans les faits le système de notation, la culture du résultat et la pression du chiffre engendrent des comportements tout au long de la chaîne (ministère, inspections, écoles, classes) qui faussent les évaluations et rendent leur utilisation caduque à moyenne et grande échelle. Quand le ministre cite les académies de Lille ou de Créteil comme exemple de progression, il ferait bien de se méfier : de telles progressions (+ 10 ou 12 % entre 2009 et 2010) sont pour le moins suspectes quand elles sont isolées…

http://www.dirlo.fr/jac/

Allez, pour se redonner un coup de fouet après cette belle interview de com’, retour à la réalité : une intéressante étude vient de paraître sur la préparation des jeunes profs au métier, c'est juste .

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