Une semaine à (ne pas) oublier



La semaine dernière a été la plus mauvaise dans ma classe depuis le début de l’année.


On n’a pas beaucoup avancé, particulièrement en maths et en français, chaque session de travail paraissait longue, pénible, semée d’embuches et de revers, les élèves ont commis beaucoup plus d’erreurs que d’habitude, de fautes d’inattention n’en parlons pas, les plus en difficulté ont carrément paru distancés en moins de deux, il a fallu reprendre plusieurs notions sans que les résultats en paraissent meilleurs. Seules les séances de sciences et d’histoire ont à peu près fonctionné, fragiles oasis dans ce désert.


Comme par hasard, les « loulous » de la classe se sont réveillés. Sans être des terreurs, plusieurs de mes élèves sont arrivés dans ma classe en septembre auréolés à divers degrés et divers titres d’une petite réputation de casse-pied. Parmi eux deux sont plus particulièrement à surveiller si l'on en juge leur « activité » des années précédentes. L’un est un garçon qui a des problèmes de socialisation et oscille quoiqu’il arrive entre fatigant et franchement pénible. L’autre est une fille au très gros caractère qui voulait venir dans ma classe depuis l’année dernière, qui est ravie d’y être et qui en conséquence me fiche une paix royale. Enfin, jusqu’à la semaine dernière, où je l’ai sentie frémir, s’agiter légèrement puis de moins en moins légèrement.


Parallèlement, les autres élèves à potentiel-chiant, qui s’étaient parfaitement tenus jusque-là, sont aussi sortis de leur tanière… Oh, trois, quatre élèves, tout au plus. Mais me voilà à régler des histoires de récréation, de coups, d’injures, de forfaits plus ou moins pendables. Et à punir.


De mon côté j’ai bien perçu tout ceci, avec une acuité qui ne m'empêchait pas de me sentir totalement impuissant. Côté enseignements, je sentais bien que les choses ne passaient pas mais je ne trouvais pas comment inverser leur cours. Chaque essai pour reprendre la main se soldait par un échec d’autant cuisant qu’il succédait à un autre. Chaque tentative d’explication personnalisée, de guidage dans la difficulté, de reformulation sensée éclaircir les choses semblait s’écraser en silence dans le gouffre de nos incompréhensions mutuelles. La correction des cahiers était un calvaire de plus qui renvoyait à des élèves absents à leur travail autant qu’à un enseignant incapable de les y ramener.

Côté comportements les essais de mise au point les yeux dans les yeux, les mises en garde froides, les grondements de voix, les regards noirs et les mots rouges, tout ne paraissait aboutir qu’à de nouveaux écarts, de nouvelles idioties. Contreproductif.

Le soir, sur le chemin du retour au foyer, le moral dans les chaussettes mais trop fatigué pour y voir vraiment clair, je misais sur la journée du lendemain comme on fait tapis avec une paire de trois dans la main: en espérant que les autres n’auront pas de jeu.

Mais le lendemain avait de furieux airs de la veille, et c’était à nouveau des élèves perplexes face au tableau, hagards devant leurs cahiers, c’était de nouvelles histoires de récré et d’autres problèmes à gérer. C’était le même sentiment de gâchis, la même impression que les choses m’échappaient.


Oh que je n’aime pas ça !!! Oh que ces moments me sont difficiles ! Comme je sais que l’équilibre d’une classe est quelque chose de précaire, d’éternellement instable, et qu’une semaine comme celle-ci balaie facilement les précédentes et peut laisser de sombres traces…


La peur me prend alors que ces quelques jours laissent les élèves en grande difficulté sur le bas-côté : ce sont toujours eux les premiers débiteurs. Point aussi l’angoisse que les loulous prennent un pli et que leurs nouvelles extensions ne deviennent lot commun.

Chaque jour qui passe est un jour perdu qui compromet les suivants.

Alors je cherche. Je cherche des explications. Je cherche des solutions.


Des explications ? C’est vrai qu’on est au creux de l’année scolaire. La période entre les vacances de Noël peu reposantes et celles de février est traditionnellement difficile et la météo grise et le froid n’arrangent rien. Les élèves sont fatigués, je le sens, les parents le sentent, les élèves aussi le sentent. Il y a les alchimies négatives, aussi : à ce stade de l’année, un rapprochement entre des sensibilités différentes mais potentiellement tournées vers les mêmes conneries n’est pas à exclure… Et puis les histoires personnelles, comme souvent, comme toujours : au moins deux des loulous, enquête menée, vivent à la maison des situations de nature à les perturber quelque peu.


Bien. C’est toujours ça de cerné.

A moi, maintenant. Parce que, faut être honnête, je ne suis pas génial non plus en ce moment. De la fatigue, déjà. Beaucoup de fatigue. Une vie personnelle qui s’accélère comme cela arrive parfois dans une année. Un peu moins de temps et d’énergie pour le travail, du coup. Conséquence en classe : des séances moins achevées proposées aux élèves, des solutions moins bien pensées à opposer à leurs difficultés, un discours moins clair et moins éclairant, moins structuré et moins structurant. Je ne suis pas satisfait de ce qu’on fait, de ce que je fais. Mes progressions me semblent pauvres, peu logiques, les séquences peu inventives, très plan-plan.

Et puis, si j’ai la lucidité de voir que tout part en sucette, je n’ai pas la lucidité pour autre chose : pour parler avec les loulous par exemple, et les retourner par des paroles, un ton, un fond qui vont au cœur des choses, droit dans le mille. Cette confiance en soi, qui fait qu’on surplombe les événements, ce regard panoptique qui fait que tout imprévu, tout écueil est d’emblée embrassé et perçu dans sa globalité : envolés, enfuis !


D’accord la fatigue des élèves, d’accord leurs problèmes perso, d’accord le milieu de l’année, bla bla bla. Mais le principal responsable, c’est moi.


Des solutions ?... Le weekend arrive, repose-toi, dors.

… Alors j’ai dormi.

J’ai fait des siestes.

J’ai pensé à autre chose,

regardé quelques bons films,

passé du temps en famille.

Fait de bonnes bouffes,

bu un verre de bon vin.

Et puis j’ai travaillé.
J’ai mis les bouchées doubles. J’ai pris deux ou trois domaines en particulier, deux ou trois séances de la semaine à venir, et j’ai tenté de leur redonner vie, tout simplement.


Lundi matin, sous ma douche. Je suis inquiet. Je me demande si, dans quelques dizaines de minutes, la semaine va commencer comme a fini la précédente… Je suis toujours fatigué, mais un peu moins. Je repense à ce que j’ai prévu pour la journée. Je sais que j’arrive avec des nouveautés, de quoi secouer le cocotier, casser la routine. Je repense à mes loulous. Je crois voir comment les prendre, si d’aventure ils remettent ça… Les premières minutes, les premiers regards, mes premières paroles décideront de tout… Comme une première journée de septembre…


… Ce fameux lundi a été l’une des meilleures journées de travail de l’année. Le lendemain mardi encore un ton au-dessus.

Mais je sais qu’il y aura d'autres semaines comme celle-ci.