Où se mêlent financement du privé, défiscalisation généreusement accordée par la droite, grands patrons du CAC 40, mouvances politiques très droitières, think tank ultra-libéral et officines catholiques intégristes… Le tout sur le dos du service public en général et de l’éducation en particulier.
Attention, c’est édifiant.
Ce que vous pouvez lire juste en-dessous est développé dans deux articles d’autant plus indispensables qu’ils hurlent dans le désert : commencez par l’article d’Eddy Khaldi sur Mediapart en octobre 2010 ; poursuivez par l’article publié par le Mammouth Déchaîné, le 22 décembre dernier.
A la base, il y a la volonté assez partagée par un certain nombre de personnes de créer une école pour l’élite, laquelle pourrait ainsi se reproduire loin de l’école publique (qui a deux gros défauts : elle est laïque et forme la masse). Le problème c’est que ça coûte cher, cette école hors des clous ! Alors le mieux serait quand même de la faire financer par l’Etat ! Malheureusement ce n’est possible que si l’on est sous contrat… Oui mais, il vaut mieux être hors-contrat si on veut faire vraiment ce qu’on veut. Dilemme.
Comment faire… Et si on faisait appel à de complaisantes bonnes volontés ?!! Voici Xavier Darcos, membre en 1994 du cabinet du ministre de l’Education Nationale François Bayrou. Sous son impulsion, une première tentative de financement par l’Etat est repoussée au Conseil Constitutionnel et sous la pression d’un million de manifestants. C’est pas grave on va faire autrement, l’essentiel est de garder ses atouts dans la manche. François Perret par exemple. Devenu directeur de cabinet de Darcos lui-même devenu ministre de l’Education Nationale, Perret regrette publiquement en 2002 l’échec de 1994 et s’engage à poursuivre l’implantation du privé. François Perret officiera ensuite de 2005 à 2010 au poste de doyen de l’Inspection Générale de l’Education Nationale.
Le principal problème pour des écoles hors contrat, c’est qu’il est difficile d’utiliser les financements publics. Il faudrait passer par une structure intermédiaire. Une Fondation, tiens ! On l’appellerait « Fondation pour l’école » et elle pourrait toucher des sous qu’elle redistribuerait comme elle voudrait, par exemple à des écoles hors contrat… Reste à trouver comment toucher cet argent public. Si seulement la Fondation pouvait bénéficier de la « reconnaissance d’utilité publique »… N’importe qui pourrait alors défiscaliser de l’argent et lui reverser comme on le fait pour les Restos du Cœur ! Bon d’accord, l’intérêt général ne saute pas aux yeux… Bon d’accord, si on fouille un peu on voit bien que la loi ne permet pas cette reconnaissance puisque « l'établissement sollicitant sa reconnaissance d'utilité publique doit poursuivre un but d'intérêt général, non contraire à la loi et n'empiétant pas sur les compétences normalement dévolues à la puissance publique » (loi n° 87-571 du 23 juillet 1987 sur le développement du mécénat - article 18). Et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'on empiète sur les compétences normalement dévolues à la puissance publique ! Tant pis, on essaiera de pas trop fouiller.
La manip’ est trouvée, reste à l’officialiser : en 2008 Xavier Darcos ministre de l’Education Nationale accorde la fameuse « reconnaissance d’utilité publique » à la « Fondation pour l’école », permettant ainsi de défiscaliser les dons à cette Fondation, laquelle finance sans s'en cacher des établissements hors-contrat. Et la défiscalisation, ça marche. Près de la moitié des patrons du CAC 40 ont sorti leur carnet de chèque pour la "Fondation pour l'Ecole" ! Il faut dire que la fondatrice sort de l'ENA et qu'elle a un sacré carnet d'adresse. D'ailleurs, un commissaire du gouvernement siège au conseil d'administration de la Fondation, c'est dire. (La fondatrice de la Fondation pour l'Ecole a aussi des valeurs... très ancrées à droite : sur le fonctionnement étonnant de cette fondation à forte empreinte religieuse, lire ce très bon article de challenges.fr).
Forcément la réussite de la Fondation pour L'Ecole fait des émules : en 2010 est accordée une "Déclaration d'utilité publique" à la "Fondation Saint Matthieu" (présidée par Claude Bébéar, ancien patron d'AXA, souvent cité comme proche de l'Opus Dei), laquelle vise à recueillir 1 milliard d'euros en 10 ans. D'autres fondations cherchent actuellement à obtenir le précieux label qui leur permettra d'utiliser l'argent public par le biais de la défiscalisation.
Ça s'appelle une niche fiscale, on attend donc que le gouvernement si prompt à traquer les niches fiscales sur le dos des honnêtes citoyens (quelle niche fiscale dégueulasse que celle des mariés de l'année !) s'occupe de celle-là. Ah non, Barouin a déjà annoncé que les dons seraient épargnés par le coup de rabot sur les niches fiscales... Le grand public trouve ça normal puisque ça concerne les Restos du Cœur. Mais le grand public ignore qu'il n'y a pas que les Restos du Cœur et autres associations caritatives à bénéficier de cette niche...
Revenons à nos Fondations. Quand on déroule la pelote, on remarque que les têtes pensantes à la barre des Fondations en question appartiennent presque toutes à l'IFP (Institut de Formation Politique, qui se propose entre autre de « former des jeunes pour redresser la France »). Comme le note Eddy Khaldi, « L’IFP compte ainsi parmi ses "intervenants" des membres du MEDEF, des hauts-fonctionnaires, des conseillers ou ex-conseillers de cabinets ministériels (dans le cabinet de l'actuel premier ministre François Fillon, mais aussi dans ceux de Nicolas Sarkozy et Edouard Balladur de 93 à 95), d'anciens hauts responsables des médias, des journalistes, des « progressistes » de tout poil allant des libéraux et ultralibéraux aux frontistes en passant par le Club de l'Horloge, des monarchistes, des membres des mouvements anti-IVG et des catholiques conservateurs et traditionalistes... ».
Wah.
L’IFP est un bel exemple de l’organisation d’une certaine France, celle des grands patrons et des élites de droite, en vue de la convergence de leurs intérêts dans la plus grande collusion. Les Pinçon – Charlot, sociologues, ont parfaitement montré comment fonctionne ce qu’on est bien obligé d’appeler une oligarchie (ici, et encore ici, et encore cette lecture très intéressante de l’affaire Woerth).
Voilà donc comment, dans l’indifférence générale, procède un gouvernement bien plus tourné vers les intérêts de l’école privée (on en parlait encore la semaine dernière) que décidé à tout mettre en œuvre pour trouver des solutions en terme d’éducation de service public. Le gouvernement présidentiel d’un homme qui un jour a dit « l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur » (Latran 2007).