Mme Jacqueline Sauvage est libre.
L'année 2016 aura été rythmée pour elle par les multiples rebondissements qui ont suivi sa condamnation à la peine de dix ans de réclusion criminelle pour le meurtre de son mari violent, prononcée le 28 octobre 2014 par la Cour d'assises du Loiret et confirmée en appel, le 4 décembre 2015, par la Cour d'assises du Loir-et-Cher.
Le 31 janvier 2016, Mme Sauvage a bénéficié d'une grâce présidentielle partielle lui accordant "une remise gracieuse de sa peine d'emprisonnement de deux ans et quatre mois ainsi que de l'ensemble de la période de sûreté" qui lui restait à accomplir, décision qui lui permettait de solliciter immédiatement (et non en juillet 2018) une libération conditionnelle auprès du Tribunal de l'application des peines (TAP) compétent. Cette décision présidentielle faisait suite à un mouvement d'opinion populaire extrêmement favorable à la situation personnelle de Mme Sauvage, victime des décennies durant de violences conjugales, témoin de violences paternelles répétées sur ses enfants, auxquelles elle avait décidé de mettre fin par l'acte criminel qui avait entraîné sa condamnation.
Fort logiquement, Mme Sauvage a présenté une requête en libération conditionnelle auprès du TAP de Melun. De façon surprenante aux yeux de ses avocats, des membres de son comité de soutien et d'une large partie de l'opinion publique, cette juridiction (composée de trois juges de l'application des peines) lui a refusé cet aménagement de peine, considérant notamment que Mme Sauvage ne présentait sur les faits commis qu'une "réflexion très limitée" et qu'une libération conditionnelle risquerait de la maintenir dans une "position victimaire" plutôt que dans celle de coupable reconnue par deux juridictions criminelles. La Procureure de la République de Melun, dont les réquisitions avaient tendu à la libération de la condamnée, a aussitôt annoncé son intention de faire appel de la décision du TAP. L'intéressée a dans un premier temps renoncé à relever appel de cette décision, avant de la contester finalement devant la Cour d'appel de Paris.
Le 24 novembre 2016, malgré des réquisitions marquées par une absence d'opposition du Parquet général à la libération de Mme Sauvage, la Cour d'appel a à son tour rejeté sa demande, confirmant la décision du TAP dont elle a repris les motifs. ses avocats ont alors fait part de leur intention de se pourvoir en cassation, estimant que la Cour n'avait pas tenu compte de l'intégralité des pièces produites à l'appui de leur requête.
Sans attendre toutefois l'issue judiciaire de ce parcours du combattant, le Président de la République a décidé aujourd'hui à Mme Sauvage "une remise gracieuse du reliquat de sa peine" qui a mis "fin immédiatement à sa détention", faisant ainsi usage du droit de grâce qui lui est reconnu par la Constitution.
On peut penser ce qu'on veut de cette décision présidentielle : qu'elle est entièrement justifiée au regard du fond du dossier et des motifs du meurtre commis par Mme Sauvage, qu'elle constitue un piétinement par le pouvoir exécutif de décisions judiciaires successives (dont deux ont été rendues par des juridictions comportant une majorité de jurés et non de magistrats professionnels) au mépris du principe démocratique de séparation des pouvoirs (mais dura lex sed lex, comme d'habitude), qu'elle ne concernera que le cas très marginal de Mme Sauvage en adoucissant sa situation tout en n'enlevant rien à sa condamnation, qu'elle ouvre la porte à une vague de demandes d'aménagement de peine à motif "humain" ou, pire, de propositions de lois farfelues sur le thème de la présomption de légitime défense ou de création de juridictions spécialisées en violences conjugales.
En ce qui me concerne et en vrac, la grâce accordée à Mme Sauvage ne m'empêchera pas de dormir. L'existence de la grâce présidentielle me gêne en son principe, parce qu'elle représente la survivance d'un pouvoir régalien monarcho-napoléonien, mais une disposition légale existante a vocation à être appliquée. La dangerosité de Mme Sauvage, donc le risque de récidive, me paraît inexistante en l'état. La lourdeur de la peine prononcée par deux fois par les Cours d'assises ne me paraît pas disproportionnée au regard de l'acte commis.
Finalement, ce qui me dérange le plus dans cette affaire, c'est la grâce en deux temps : une première décision présidentielle manifestement destinée à ménager la chèvre et le chou, gommant les aspects les plus sévères de la décision pénale mais conservant un vernis de respect de l'indépendance de l'autorité judiciaire. Puis une seconde décision qui répond à l'évidence aux voeux de Mme Sauvage et de ses soutiens mais procède de façon tout aussi évidente d'une logique que l'on pourrait résumer ainsi : "j'ai laissé le champ libre aux juges, ils n'ont pas pris la décision que j'attendais alors que mon dessein était évident, je vais donc finalement devoir la prendre, il faut décidément tout faire soi-même, ici !"
Une grâce totale accordée à Mme Sauvage le 31 janvier 2016 aurait été légalement incontestable et n'aurait pas fait lever beaucoup de sourcils. Au pire, une poignée de juristes aurait râlé sur le thème de la séparation des pouvoirs, Mme Sauvage serait rentrée chez elle et on l'aurait rapidement laissée se faire oublier.
La même décision rendue aujourd'hui renvoie l'image d'un Président incapable d'assumer immédiatement son souhait de passer outre l'arrêt d'une juridiction judiciaire et ainsi sa conception spécifique (mais bien française et "exécutive") de l'indépendance de l'autorité judiciaire, puis soucieux de répondre à un mouvement de mobilisation populaire au point de se dédire lui-même.
En bref, paix et oubli à Mme Sauvage, et que chacun assume ses responsabilités.