Vendredi 29 janvier, M. François Hollande a reçu à l'Elysée les enfants et les avocats de Mme Jacqueline Sauvage, venus appuyer le recours en grâce déposé par cette dernière auprès du Président de la République.
Mme Sauvage a été condamnée, le mois dernier, par la cour d’assises du Loir et Cher à une peine de dix ans d’emprisonnement pour avoir abattu son mari de trois balles dans le dos. Ce meurtre a toutefois été commis dans des circonstances et un contexte familial particuliers dans la mesure où son époux et père de ses enfants avait battu sa femme 47 années durant et violé leurs filles. Les faits examinés par la cour d'assises étaient survenus à la suite d'un nouveau déchaînement de violence du mari envers Mme Sauvage.
La Cour d’assises n’a toutefois pas retenu l'état de légitime défense à l'égard de Mme Sauvage, faute semble-t-il de simultanéité entre les faits de violence subis par celle-ci et sa riposte.
C’est dans ces conditions qu'après le prononcé du verdict de la cour d’assises, les conseils de Mme Sauvage ont très rapidement déposé un recours en grâce, qui permettrait au chef de l’Etat de décider d’une dispense partielle ou totale de la peine, sans remettre en cause la réalité de la condamnation (celle-ci demeurant inscrite sur le casier judiciaire de l'intéressé, contrairement aux condamnations amnistiées).
Le principe de séparation des pouvoirs dans une société démocratique ne constituant pas vraiment une idée neuve, il est permis de s’interroger sur la légitimité de l’intervention du Président de la République, chef de l’exécutif, dans la mise en œuvre d’une décision judiciaire.
La grâce présidentielle est prévue par l’article 17 de la Constitution qui précise que "le Président de la République a le droit de faire grâce à titre individuel", et fait suite au droit de grâce qui appartenait au souverain dans l’Ancien régime et constituait à cette époque un pouvoir régalien d’origine divine, exercé sans limite ni contrôle.
S’il a brièvement disparu en 1791, ce droit a refait son apparition dès 1802 au bénéfice du chef de l’Etat (ce qui en soi n'est pas si étonnant, le titulaire de cette charge à l'époque n'ayant à tout le moins pas été le plus grand démocrate au monde), et n’a jamais été supprimé depuis lors des différentes Constitutions qui se sont succédé.
Jusqu’en 2008, le Président de la République pouvait décider de grâces collectives qui ont été assez nombreuses. Depuis l'adoption d'une réforme constitutionnelle sur ce point, la grâce ne peut plus être qu'individuelle.
Actuellement, le droit de grâce n’est soumis à aucun contrôle de quelque nature qu'il soit, le Président de la République n’étant nullement lié quant au contenu de sa décision, que ce soit dans le sens d’un refus ou d’une acceptation. Il n'a de compte à rendre à cet égard ni au parlement ni au gouvernement. Le décret de grâce doit seulement être contresigné par le ministre de la Justice - ce qui ne fait en pratique jamais difficulté.
Atteinte à la séparation des pouvoirs, fait du prince, la décision de gracier un condamné constitue en son principe une remise en cause d’une décision judiciaire prise par un tribunal ou une cour d’assises comme c’est le cas en l’occurrence, rendue au nom du peuple français.
Pour susceptible de dérives que cette prérogative puisse paraître, on peut néanmoins observer que l’utilisation de la grâce présidentielle individuelle s'est à ce jour avérée relativement restreinte, puisque M. Hollande n'en a usé qu’une fois depuis son élection afin de gracier M. Philippe El Shennawy, gracié après 38 ans de prison, ce qui lui a permis de bénéficier d’une libération conditionnelle et d’un placement sous surveillance électronique.
Le droit de grâce peut par ailleurs participer, dans le cadre d’une utilisation mesurée et réfléchie, à l’apaisement des tensions qui résultent parfois, comme dans le cas de Mme Sauvage au vu du mouvement de sympathie qui s'élève actuellement en sa faveur, d’une situation juridique incomprise par l’opinion publique.
Ainsi l’utilisation du droit de grâce par François Hollande concernant la peine de Mme Sauvage lui permettrait de recouvrer rapidement la liberté dans le cadre d’un aménagement de peine, sans pour autant se prononcer sur la notion de légitime défense que certains voudraient intégrer au débat de façon parfois peu réaliste (voire surréaliste).