L'état d'urgence est mort, vive l'état d'urgence !

Le 18 juillet 2017, le Sénat a adopté en première lecture le projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Ce texte prend la suite de l’état d’urgence mis en œuvre après les attentats du mois de novembre 2015 et qui a depuis lors été prolongé de façon répétée. L’objectif affiché par le nouveau texte législatif est précisément de sortir la France de l’état d’urgence d’ici la fin de l’année, en intégrant dans le droit commun certaines mesures prévues par cette disposition constitutionnelle d’exception.

Un agent patrouille à Paris, le 13 juillet 2017.

Rappelons que l’état d’urgence permettait au préfet de restreindre la liberté de circulation des personnes, au ministre de l’Intérieur d’assigner à résidence certains individus, aux autorités administratives compétentes de décider de la fermeture de certains lieux (en particulier des lieux de culte) et de réaliser des perquisitions domiciliaires, le tout sans contrôle de l’autorité judiciaire.

A l’examen des dispositions contenues dans le projet de loi en discussion, on ne peut que déduire que celui-ci, loin de faire sortir quiconque de l’état d’urgence, pérennise au contraire ce dernier puisqu’il en reprend les principales dispositions. Les « sanctuarise », pourrait-on dire, en reprenant une terminologie en vogue.

Rappelons que l’objectif de cette loi n’est nullement la répression des infractions, mais leur prévention. Le législateur se situe donc en amont de tout acte matériel répréhensible, recherchant de la majeure partie des cas les éléments d’intention permettant d’envisager que la personne va commettre un acte répréhensible.

Ainsi ce texte permet-il aux préfets d’instaurer des zones de sécurité dont l’accès sera réglementé, ouvrant la possibilité de palpations de sécurité et de fouilles de véhicules à la seule initiative des services de police.

L’article 2 permet au représentant de l’Etat « aux seules fins de prévenir des actes de terrorisme » de « prononcer la fermeture des lieux de culte, dans lesquels les propos qui sont tenus, les écrits qui sont diffusés ou les activités qui se déroulent, provoquent à la violence, provoquent à la commission d’actes de terrorisme ou font l’apologie de tels actes ».

Toujours « aux seules fins de prévenir des actes de terrorisme », l’article 3 prévoit des mesures de contrôle de « toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics et qui, soit entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme, soit soutient ou adhère à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme ou faisant l’apologie de tels actes ».

L’article 4 offre la possibilité d’autoriser la visite d’un lieu ainsi que la saisie des documents, objets ou données qui s’y trouvent, aux seules fins de prévenir des actes de terrorisme et lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser qu’un lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics et qui, « soit entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme, soit soutient ou adhère à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme ou faisant l’apologie de tels actes ».

L’ensemble de ces mesures existe déjà pour partie dans notre droit commun, mais avec une différence de taille : elles relèvent de la décision d’une autorité judiciaire, indépendante du pouvoir exécutif, et se fondent sur la commission d’infractions ou la possibilité qu’elles soient commises. Ne croyez pas que je prêche particulièrement pour ma chapelle, mais de manière générale, en tant que citoyenne de base, je trouve assez rassurante l’idée que le respect du principe constitutionnel selon lequel « nul ne peut être arbitrairement détenu » soit contrôlé par une autorité judiciaire certes imparfaite, mais (constitutionnellement là aussi) gardienne de la liberté individuelle et qui n’a pas à intégrer d’objectifs de réélection au nombre des paramètres de ses prises de décision en la matière.

Dans l’optique retenue par les rédacteurs du projet de loi, les décisions concernant les perquisitions de nuit et les assignations à résidence sont prises à l’initiative du seul pouvoir exécutif, et sont dissociées de la commission de toute infraction prévue par le code pénal (les articles 3 et 4 précités concernent « « toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics », ce qui n’est nullement une infraction).

A défaut de définition précises  desdites « raisons sérieuses »,  toute personne sera susceptible de faire l’objet de ces mesures sans garantie particulière.

Seul garde-fou envisagé par les auteurs du projet de loi : l’intervention du juge de la détention et des libertés pour autoriser les perquisitions administratives (comme c’est déjà le cas dans le cadre des enquêtes préliminaires judiciaires), sans aucune garantie similaire en amont concernant les assignations à résidence. On pourra donc, sur la base de raisons jugées sérieuses par l’exécutif, se trouver forcé de rester à son domicile dans les créneaux horaires décidés par l’administration et de pointer x fois par semaine au commissariat ou à la gendarmerie la plus proche, ce qui peut considérablement attenter à la liberté d’aller et venir, d’avoir une vie familiale normale et de travailler, tout simplement. Le tout sans contrôle du juge judiciaire et avec une faculté d’appel devant le juge administratif généralement réputée d’évolution lente.

Oh, et tant qu’on y est, je n’ai pas vu passer la moindre amorce d’évocation de financement des mesures en cause, y compris en termes de moyens humains (greffiers, magistrats) destinés à absorber ce contentieux. Oui, je sais, j’ai l’esprit étriqué, mais il me semble qu’attribuer un surcroît de travail de contrôle à une administration sans lui affecter ne serait-ce qu’une Mornille supplémentaire constitue un excellent moyen de s’assurer qu’elle ne pourra effectuer les tâches en question de manière exhaustive ou chichiteuse. S’agissant d’opérations multiples dont, depuis l’instauration de l’état d’urgence, les défaillances voire les abus ont pu être dénoncés par des organismes aussi facétieux qu’Amnesty international ou la Ligue des droits de l’homme ou par des professeurs de droit aussi fantaisistes que Mmes Delmas-Marty ou Lazerges, cela peut presque sembler bien pratique. Oui, je sais, j’ai l’esprit mal tourné et suspicieux. Forcément, je suis juge.