Le "débat" Ferrand

Il n’aura fallu que quelques jours au gouvernement Philippe I, dont la loi sur la moralisation de la vie publique doit constituer le premier texte majeur, pour connaître sa première « affaire » à la suite de la publication par le Canard Enchaîné d’informations liées à M. Richard Ferrand, fraîchement nommé ministre de la cohésion des territoires. Selon l’hebdomadaire satirique, alors qu’il était en 2011 directeur général des Mutuelles de Bretagne et mandaté par cette société pour trouver un local destiné à créer un centre de santé à Brest, M. Ferrand aurait favorisé sa compagne qui détenait alors une société civile immobilière, créée pour acheter un bien immobilier loué par la suite aux Mutuelles.

Richard Ferrand, ministre de la Cohésion des territoires au Palais de l'Elysée - 24/05/2017 - AFP / © AFP - S. De Sakutin

Cette affaire tombe évidemment mal pour le nouveau gouvernement, quelques jours seulement après sa prise de fonctions à l’issue d’une campagne présidentielle marquée par les soupçons concernant les emplois familiaux reprochés à M. Fillon.

C’est dans ce contexte que des membres du parti Les Républicains ont requis l’ouverture d’une enquête judiciaire soit par le Parquet national financier, soit par le Procureur de la République de Brest, territorialement compétent. Toutefois, après étude des éléments transmis, aucune des deux autorités sollicitées n’a décidé d’ouvrir d’enquête préliminaire, ouvrant la porte à de nombreuses critiques de personnalités politiques considérant, en substance, que M. Ferrand jouissait de « protections » dont n’avait nullement bénéficié M. Fillon.

Le Procureur brestois a pour autant clairement énoncé, dans son communiqué de presse, avoir examiné les éléments soumis à son appréciation et avoir considéré qu’ils ne relevaient d’aucune qualification pénale, analyse qui semble tout à fait pertinente au regard des textes concernés.

Quand bien même il serait établi que M. Ferrand aurait favorisé sa compagne dans le cadre de l’opération immobilière susdécrite, le délit de favoritisme s’en trouverait-il constitué ? Je ne le pense pas.

En effet, l’article 432-14 du code pénal réprime le délit de favoritisme, mais limite cette infraction aux faits commis par des personnes dépositaires de l’autorité publique ou personnes chargées d’une mission de service public dans le cadre de marchés publics.

Or les Mutuelles de Bretagne sont une personne morale de droit privé à but non lucratif, qui à ce titre ne semble a priori pas soumise à la réglementation relative aux marchés publics.

L’infraction de favoritisme ne peut donc pas être retenue.

Il a pu être évoqué que de tels faits relèveraient de la prise illégale d’intérêts, délit prévu par l’article 432-12 du code pénal qui réprime « Le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou par une personne investie d'un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement ».

Là encore, la mise en œuvre de cette infraction est liée à la qualité de son auteur qui doit nécessairement être agent public ou élu, ce qui n’était pas le cas de M. Ferrand lors de la conclusion du contrat en 2011, puisque il n’est devenu député qu’en 2012.

Dans ces conditions, il me semble parfaitement cohérent que tant le parquet national financier que le parquet de Brest n’aient pas envisagé d’ouvrir une enquête préliminaire.

A défaut de qualification et d’enquête pénale, ne reste donc de « l’affaire » qu’un « débat, au mieux », pour reprendre le terme employé par M. Benjamin Griveaux, porte-parole de La République En Marche. Mais un débat autour du sens moral pouvant être accordé à un membre éminent de LREM et du gouvernement qui veut se démarquer de la « politique politicienne », c’est déjà beaucoup, question nuisance.