Nouveau rebondissement annoncé hier dans l’affaire concernant M. François Fillon et son épouse Penelope : après l’ouverture d’une information judiciaire et la saisine de trois juges d’instruction le 24 février dernier, le candidat, son épouse ainsi que leurs enfants ont été convoqués aux fins de mise en examen dans ce dossier de détournements de fonds publics, abus de biens sociaux, recel et trafic d’influence initialement traité par le Parquet national financier.
Très rapidement, M. Fillon et ses soutiens Républicains ont réagi, s’insurgeant contre la procédure judiciaire dont il fait l’objet et organisant une manifestation de soutien au candidat, dimanche prochain. M. Fillon s'est ainsi plaint de n'être "pas traité comme un justiciable comme les autres". Mme Nadine Morano n'a pour sa part pas hésité à évoquer une machination directement initiée par l'Elysée, tandis que M. Bernard Debré, de façon plus mystérieuse, a avancé que "sa convocation lui est envoyée le jour du Salon de l'agriculture, c'est tout sauf un hasard."
[Le lecteur qui saura m'expliquer ce qu'entendait signifier M. Debré par cette étrange déclaration, qui me laisse extrêmement perplexe, gagnera une photo dédicacée de Mme Morano.]
Sans bien évidemment me prononcer sur le fond du dossier auquel je n’ai pas accès, j'avoue ne voir aucun motif d'indignation au sujet de la procédure employée à l'égard des époux Fillon.
Tout d’abord, l’ouverture d’une information judiciaire me paraît parfaitement légitime, et même favorable à la personne mise en cause puisque celle-ci peut avoir accès au dossier par le biais de ses avocats, procéder à des demandes d’actes et demander l’annulation des actes illégaux (contrairement à l’enquête préliminaire où la défense est bien plus passive et ne dispose que de facultés limitées).
La désignation de trois magistrats pour instruire cette affaire me semble là encore normale, compte tenu non pas tant de la complexité des investigations à mener que de l’enjeu de cette information judiciaire - car n'hésitons pas à offrir un scoop aux commentateurs persuadés de l'existence d'un complot des juges rouges (qui pour l'occasion auraient fait une pause dans leur laxisme coutumier) destiné à abattre M. Fillon : oui, les magistrats saisis sont parfaitement conscients de l'impact que pourrait avoir cette instruction sur la vie politique française et non, ils ne reçoivent pas de gaieté de coeur l'opportunité qui leur est donnée de peser sur la désignation du premier membre du pouvoir exécutif. Autant être plusieurs à supporter l'inévitable pression qui va peser sur leurs investigations et se prémunir au maximum contre le risque d'erreur.
S’agissant de la rapidité de la procédure, dénoncée par M. Fillon tant en ce qui concerne l’ouverture de l’enquête préliminaire que sa convocation devant les trois juges d'instruction, elle ne paraît pas à ce point exceptionnelle. L’ouverture de l’enquête préliminaire quelques jours après la dénonciation des faits par le Canard Enchaîné était inévitable. Il est bien évident que si, à la suite des publications du Canard enchaîné au sujet de l'emploi de plusieurs membres de sa famille par M. Fillon puis son suppléant, aucune enquête n'avait été initiée par le Parquet compétent, la magistrature aurait reçu au moins autant d'accusations de complicité avec les puissants et d'organisation d'une justice à deux vitesses qu'elle se voit aujourd'hui imputer de projets d'assassinat politique.
La brièveté de son délai de convocation aux fins de mise en examen a également été évoquée comme exceptionnelle (donc suspecte) par M. Fillon, qui doit rencontrer les magistrats instructeurs le 15 mars prochain alors que l’instruction a été ouverte le 24 février. On se permettra de rappeler ici à l'intéressé qu'une proportion considérable de mis en examen effectuent leur première comparution devant un juge d'instruction 48 à 96 heures après leur interpellation par les services enquêteurs pour des faits de droit commun, à l'issue de leur garde à vue (mesure de contrainte dont M. Fillon ne peut nullement faire l'objet à l'heure actuelle eu égard à son statut de parlementaire). Si l'on veut se cantonner au domaine des infractions à connotation financière commise par des personnalités politiques éminentes, on peut souligner que M. Jérôme Cahuzac, en son temps, avait été convoqué aux fins de première comparution après 14 jours d’information judiciaire. La rapidité de la convocation signifie vraisemblablement que l’enquête préliminaire est relativement complète et que les juges d’instruction souhaitent obtenir les observations des personnes mises en cause avant de poursuivre plus avant les investigations. Pas qu'ils veulent les empêcher (par pure méchanceté) de profiter d'une visite au Salon de l'agriculture.
Quelques mots enfin concernant l'interrogatoire de première comparution : la mise en examen n’est juridiquement nullement automatique à l'issue de cet acte, M. et Mme Fillon de même que leurs enfants pouvant être placés sous le statut de témoin assisté (impliquant l'accès au dossier, la possibilité d'être assisté d'un avocat et la faculté de demander au juge d'instruction de réaliser certains actes) si les conditions de la mise en examen ne sont pas remplies. L’article 80 du code de procédure pénale précise en effet que peuvent être mises en examen « les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont il est saisi », après avoir évidemment entendu leurs explications et observations lors de ce premier interrogatoire.
En attendant de nouveaux développements de cette affaire Fillon, je vous laisse : mes collègues et moi devons éplucher l'agenda des personnalités que nous projetons d'assassiner politiquement, afin de les empêcher avant tout d'assister au prochain Salon du toilettage canin, tout en menant nos investigations rapidement, mais pas trop non plus. Pas facile de juger à deux vitesses, décidément.