Depuis mercredi, la campagne présidentielle de M. François Fillon a pris un tour manifestement inattendu par la mise au jour de ce que beaucoup ont convenu d'appeler le "PenelopeGate" (la plupart des affaires politiques à connotation louche ayant depuis 42 ans été regroupées à l'aide de ce suffixe, par commodité). Loin de moi l'idée de donner un avis sur la réalité des faits pénalement qualifiables qui pourraient être reprochés au candidat LR et à son épouse : nombre d'élus l'ont déjà fait avant moi, et l'avenir nous dira s'ils ont bien fait. Je peux en revanche donner un éclairage sur les qualifications juridiques susceptibles d’être retenues à l’encontre des époux Fillon, sur la base des informations qui ont pu filtrer dans la presse.
Rappelons les faits qui font d'ores et déjà (et avec quelle célérité !) l’objet d’une enquête préliminaire diligentée à l’initiative du Parquet national financier.
Selon ce qui a été révélé, notamment par le Canard enchaîné, Mme Fillon aurait été employée entre 1998 et 2007, puis six mois en 2012 en qualité d'assistante parlementaire par son mari, puis par le suppléant de celui-ci, pour un salaire de 3.900 puis de 7.900 € brut. Elle aurait par ailleurs touché une somme de 100.000 € en tant que conseillère littéraire au sein de la "Revue des deux mondes" de mai 2012 à décembre 2013. En soi, rien d'illégal, mais de mauvaises langues de palmipède soutiennent désormais que Madame Fillon n'aurait exercé aucune activité réelle correspondant à ces rémunérations.
Ces faits, s’ils devaient être établis, seraient constitutifs de différentes infractions.
Concernant les fonctions d’assistante parlementaire, il s’agirait de détournement de fonds publics tels que prévu par l’article 432-15 qui précise que « Le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, un comptable public, un dépositaire public ou l'un de ses subordonnés, de détruire, détourner ou soustraire un acte ou un titre, ou des fonds publics ou privés, ou effets, pièces ou titres en tenant lieu, ou tout autre objet qui lui a été remis en raison de ses fonctions ou de sa mission, est puni de dix ans d'emprisonnement et d'une amende de 1 000 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit de l'infraction ». Cette qualification a déjà été appliquée à des faits de recours à des emplois fictifs, et pourrait être reprochée à M. Fillon et à son suppléant.
Mme Fillon, pour sa part, pourrait alors se voir reprocher un recel de détournement de fonds publics, en application de l’article 321-1 du code pénal, délit puni d’une peine de cinq ans d’emprisonnement, pour avoir profité des sommes qui lui auraient ainsi été remises.
Concernant ses fonctions de conseillère littéraire, s’agissant d’une société anonyme de droit privé, seraient applicables les dispositions réprimant l’abus de biens sociaux, prévu par l’article L. 242-6 3°qui sanctionne d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 375 000 € « Le président, les administrateurs ou les directeurs généraux d'une société anonyme qui ont fait, de mauvaise foi, des biens ou du crédit de la société, un usage qu'ils savent contraire à l'intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement ».
Le président de la société exploitant la Revue des deux mondes serait donc sanctionnable si la preuve devait être rapportée du caractère fictif de l'emploi qu'il aurait procuré à Mme Fillon, caractère fictif qui sera retenu s'il est établi que la rémunération perçue par l'intéressée n’était manifestement pas en proportion avec les fonctions réellement accomplies.
Selon un processus analogue à celui qui a été développé plus haut, il pourrait dès lors être reproché à Mme Fillon un recel d’abus de biens sociaux.
Mais, se dira le lecteur méfiant, ces faits dont le plus récent remonterait à 2012 ne seraient-ils pas prescrits, de toute façon ?
Eh non, grâce à l'interprétation des textes en cause arrêtée par la Cour de cassation (dans son arrêt du 12 décembre 2007, pour les passionnés), selon laquelle "le point de départ de la prescription de l'action publique du délit de détournement de biens doit être fixé au jour où l'infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique" : autrement dit, ce point de départ doit pouvoir être fixé dans le cas qui nous intéresse au mercredi 25 janvier 2017, jour de parution de l'article du Canard enchaîné.
Rappelons-nous en tout cas, face à la vague d'éléments de langage et de réactions plus ou moins gênées aux entournures soulevée par cet article, qu'il ne faut pas s'y tromper : embaucher un proche, époux ou enfant, lorsqu'on est parlementaire n'est en soi pas interdit. Ce qui l'est, c'est de rémunérer ledit proche pour un travail qu'il n'effectue pas. Et il y a fort à parier que les magistrats saisis de ce dossier ne se contentent pas de vagues corrections de discours ou autres participations de Mme Fillon "à la danse des canards" (si, si, je vous laisse chercher cette anecdote croquignolette) au cours d'un événement auquel elle avait remplacé son époux pour caractériser la réalité de cet emploi.