Les trois chefs de mise en examen de M. Sarkozy

Le monde politico-judiciaire a été depuis hier ébranlé par le placement en garde à vue de Nicolas Sarkozy, suivi de sa mise en examen par deux juges d’instruction dans le cadre d’une première comparution qui, quoi qu’ait pu en dire l’intéressé sur TF1 et Europe 1 (« Je me suis assis dans le fauteuil en face à ces deux dames, juges d’instruction… Elles m’ont signifié, sans même me poser une question, trois motifs de mise en examen, avant même d’avoir répondu à quoi que ce soit »), semble s’être déroulée conformément aux textes de loi applicables à tout justiciable, et notamment à l’article 116 du code de procédure pénale.

Nicolas Sarkozy lors de l'inauguration de l'institut Claude-Pompidou, à Nice, le 10 mars 2014.

Au-delà des questions lancées de part et d’autre sur la régularité procédurale de l’enquête effectuée, notamment des écoutes réalisées sur les lignes téléphoniques des différents protagonistes, ou la légitimité du placement en garde à vue d’un avocat et d’un ancien Président de la République, il n’est pas inutile de détailler les infractions qui sont reprochées aux personnes poursuivies.

Selon les éléments parus dans la presse (puisque contrairement au vœu formulé par M. Fenech, député et ancien magistrat, le Procureur de la République n’a pas souhaité « rendre public » le contenu du dossier d’instruction – ce qui excéderait au demeurant les limites posées par la loi en la matière), les chefs de mise en examen retenus à l’égard de M. Sarkozy sont les suivants : corruption active, trafic d’influence et recel de violation du secret professionnel.

Corruption active

Si chacun comprend le concept de corruption (dessous de table dans le cadre de passation de marchés, enveloppe pour obtenir un avantage quelconque), l’article 433-1 du code pénal en donne la définition légale suivante :

« le fait, par quiconque, de proposer sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques à une personne dépositaire de l'autorité publique, chargée d'une mission de service public ou investie d'un mandat électif public, pour elle-même ou pour autrui (…) pour qu'elle accomplisse ou s'abstienne d'accomplir, ou parce qu'elle a accompli ou s'est abstenue d'accomplir, un acte de sa fonction, de sa mission ou de son mandat, ou facilité par sa fonction, sa mission ou son mandat »

L’infraction est également constituée lorsque le particulier, qui n'a pris aucune initiative, est démarché par un agent public et accepte de rémunérer un tel acte ou une telle abstention.

On comprend donc que la loi réprime la simple proposition d’offre ou de dons à une personne, un fonctionnaire par exemple, peu important l’acceptation de celle-ci. Ainsi, une proposition financière faite à un policier pour éviter d’être poursuivi devant un tribunal sera qualifiée de corruption, et non de tentative du même délit.

Dès lors, contrairement à ce qu’a pu indiquer sur Europe 1 Maître Iweins, conseil de Thierry Herzog («Il n’y a pas de corruption active, la corruption, c’est donner une enveloppe à quelqu’un  […] il n’y a pas de transfert d’argent, il n’y a rien»),  l’absence de toute transaction entre les protagonistes de l’affaire en cause n’interdit nullement l’existence d’une proposition propre à caractériser le délit de corruption.

Concernant M. Sarkozy, il lui serait à mon sens reproché, selon les informations apparues dans la presse, d’avoir proposé son intervention aux fins de permettre à un haut magistrat d’obtenir le poste qu’il convoitait, celui-ci devant en contrepartie lui livrer des informations sur un dossier pénal en cours d’instruction.

Cette infraction est sanctionnée par une peine maximum de 10 ans de prison.

Trafic d’influence

Le trafic d’influence est une infraction plus subtile, prévue par les articles 433-1, 2° et 433-2 du code pénal qui sanctionnent « le fait, de solliciter ou d'agréer, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques, pour lui-même ou pour autrui, pour abuser ou avoir abusé de son influence réelle ou supposée en vue de faire obtenir d'une autorité ou d'une administration publique des distinctions, des emplois, des marchés ou toute autre décision favorable » ainsi que le fait de céder aux sollicitations prévues ci-dessus, et de faire des propositions dans ce sens.

Comme en matière de corruption, c’est la sollicitation ou la proposition qui est sanctionnée, peut important l’acceptation ultérieure ou la réalisation de l’avantage.

L’exemple le plus connu de trafic d’influence, qui se trouve à l’origine de la création de ce délit est l’affaire des décorations qui illustre parfaitement la spécificité de cette infraction a priori difficile à appréhender.

En l’état des renseignements dont la presse s’est fait l’écho, il serait sous cette qualification reproché à M. Sarkozy d’avoir proposé d’user de son influence pour que M. Azibert bénéficie d’un poste prestigieux à Monaco.

Cette infraction est punie de 10 ou 5 ans d’emprisonnement, selon que la personne dont l’influence est utilisée est un agent public ou non. En l’occurrence, s’agissant de celle de M. Sarkozy qui n’est pas agent public, la peine encourue est de 5 ans.

Recel de violation du secret professionnel

La dernière infraction reprochée à M. Sarkozy est le recel d’une information couverte par le secret professionnel.

Selon l’article 321-1 du code pénal, « Le recel est le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose, ou de faire office d'intermédiaire afin de la transmettre, en sachant que cette chose provient d'un crime ou d'un délit ».

La chose objet du recel peut être une information issue d’une infraction, notamment obtenue par le biais d’une violation du secret professionnel.

Ainsi un médecin qui transmettrait à un tiers une information sur l’état de santé d’un de ses patients commet une violation du secret professionnel ; le destinataire de l’information pouvant quant à lui être considéré comme receleur.

Il est en l’occurrence reproché à l’ancien Président de la République d’avoir obtenu une information concernant une procédure pénale, soumise au secret de l’instruction (qui est une catégorie de secret professionnel).

Le recel de violation du secret professionnel est sanctionné de 5 ans de prison.

Il est évidemment bien trop tôt pour affirmer que M. Sarkozy se soit rendu coupable de l’une ou plusieurs de ces infractions. Tant au cours de la phase d’instruction que de l’éventuelle audience de jugement qui pourra suivre, l’ancien Président de la République et les autres personnes mises en cause pourront faire valoir leurs moyens de défense (audition de témoins, transmission de documents aux magistrats…) ou  contester la régularité de la procédure.

S’il devait être déclaré coupable, la peine maximale qui pourrait être prononcée serait de 10 ans d’emprisonnement (la peine réprimant le délit le plus sévèrement puni englobant les autres). Ce qui ne signifie bien entendu nullement qu’elle serait effectivement prononcée, les magistrats disposant de toute latitude pour adapter la sanction aux faits commis et à la personnalité de l’intéressé qui, ainsi qu’il l’a rappelé voilà quelques heures, présente un casier judiciaire vierge de toute mention.