La traque du moindre signe extérieur (enfin, extérieur… si l’on peut dire) de prodigalité de l’Etat envers M. Salah Abdeslam est à la mode : après le scandale de l’avocat payé par le contribuable, voici venir la polémique sur son hébergement qui serait trop luxueux aux yeux de certains.
M. Thierry Solère, député Républicain, a eu la possibilité de visiter la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis et a pu ainsi découvrir les conditions d’incarcération de M. Abdeslam. Quatre cellules lui seraient dévolues : deux pour son usage courant (dont l’une ne sera utilisée qu’en cas de dégradation de l’autre), une troisième pour la surveillance vidéo du détenu (un fonctionnaire s’y trouvant posté 24h sur 24) et une quatrième utilisée comme « salle de sport ».
M. Solère s'est dit très étonné de l’utilisation de cette dernière cellule à des fins récréatives par un seul détenu alors même que Fleury-Mérogis, comme la quasi-totalité des prisons françaises, est sujette à la surpopulation carcérale, certains détenus dormant sur de simples matelas posés par terre. Confrontée à cette situation de misère, la création d'une "salle de sport",terme qui n'est pas sans évoquer à la fois une superficie conséquente et des équipements divers, peut facilement apparaître comme une décision somptuaire. De là à sous-entendre que M. Abdeslam bénéficie d’un régime de faveur, il n’y a qu’un pas. Le député a sans désemparer sommé M. Urvoas, Garde des Sceaux, de lui communiquer les motifs de cette décision.
Je ne suis certes pas ministre, mais au débotté, j'aurais deux ou trois idées de réponse à suggérer en la matière, dès lors qu'auront été rappelées les conditions d'incarcération de M. Abdeslam. Nul n'ignore que celui-ci est mis en examen pour des faits d’assassinat en lien avec une entreprise terroriste, suite aux attentats qui se sont déroulés le 13 novembre 2015. Placé en détention provisoire, il se trouve totalement isolé des autres détenus et fait l’objet, par surcroît, d’une surveillance vidéo permanente.
Pourquoi permettre au détenu le plus surveillé de France de bénéficier, ô scandale, d'un espace distinct de sa cellule dans lequel on a placé (attention, amateurs de fitness, vous risquez d'en prendre plein les yeux) un rameur - neuf, d'occasion, l'histoire ne le dit pas ? On pourrait répondre, oh, bien des choses en somme.
Déjà, sur le principe même du sport en prison, que lui offrir la possibilité d'un minimum d'exercice physique semble opportun sur le plan de son équilibre psychique. Si s'exercer au rameur peut lui éviter de se supprimer lui-même à force de tourner en rond dans sa cage vidéosurveillée, tant mieux. Si ces séances d'exercice peuvent avoir lieu sans nécessiter d'organisation complexe au sein de l'établissement pénitentiaire en termes de planning et de circulation, c'est encore mieux. A titre plus accessoire, il n'y a à ma connaissance dans la cellule même de M. Abdeslam (où il passe l'essentiel de son temps, sous l'oeil des caméras) que des éléments scellés ou protégés de façon à les rendre intransformables en arme ou en outil d'évasion. Il semblerait difficile de transformer un rameur en ce sens.
Sur la raison de l'exclusivité octroyée à M. Abdeslam sur SON rameur (et sur le futur "autre équipement sportif" actuellement en commande), on peut avancer quelques hypothèses :
- éviter que M. Abdeslam ne soit amené à croiser d'autres détenus en se rendant à la salle de sport ou à la promenade commune aux autres pensionnaires de Fleury, ce qui aurait pour inconvénient de l'exposer à des menaces éventuelles ou lui permettrait, via ces contacts, de se voir transmettre des messages ou objets prohibés ;
- éviter, dans le même ordre d'idée, qu'on ne l'agresse, voire qu'on le tue, soit par esprit de vengeance, soit sur commande de l'extérieur (il paraît en effet raisonnable de supposer que divers individus ne souhaitent pas que M. Abdeslam livre trop d'éléments d'information aux juges d'instruction) ;
- lui interdire, soyons fous, de se transformer en imam de milieu carcéral en bénéficiant de son aura de plus grand terroriste de France pour dévoyer les esprits.
La notion de luxe, d'exclusivité, de traitement de faveur ou que sais-je me paraît donc difficilement compatible avec ce que l'on sait de la situation de M. Abdeslam. Rappelons que le régime dont il fait l'objet n'a jamais pour but que de le préserver tout au long de l'instruction criminelle sur les attentats de Paris. Ce qu'il subit, ce qu'on lui accorde, c'est dans notre intérêt à tous bien plus que dans le sien.