Les attentats terroristes du 13 novembre dernier ont légitimement suscité une vague d’émotion générale en France et dans le monde. Enfin, générale... à l'exception de quelques personnes manifestement épargnées. L'exemple parfait de vénalité à l'épreuve de toute conscience nous est cette semaine obligeamment fourni par la personne (dont l'identité reste incertaine) qui a vendu les images de vidéosurveillance de l'attaque du restaurant Casa Nostra, restaurant où cinq personnes ont été tuées. Cette personne a cédé, moyennant la somme de 50 000 euros, la vidéo issue des caméras de son établissement, et donc des images d'assassinats et de violences avec arme, à un journal britannique, le Daily Mail. Notons que le propriétaire du restaurant, au départ pointé du doigt, nie avoir vendu ces images.
Au-delà du caractère totalement abject de cette transaction se pose la question de son éventuelle illégalité. Une recherche rapide dans le corpus législatif permet d'avancer que la personnes qui a vendu les images aurait mieux fait de réfléchir (voire de consulter un avocat) avant de conclure ce marché douteux.
Plusieurs textes légaux me paraissent en l’occurrence applicables.
L’article L. 251-4 du code de la sécurité intérieure sanctionne ainsi le « fait de faire accéder des personnes non habilitées aux images de vidéoprotection ou d'utiliser ces images à d'autres fins que celles pour lesquelles elles sont autorisées » par une peine de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.
Par surcroît, l’article 35 de la loi de 1881 relative à la presse sanctionne d’une amende de 15 000 euros « la diffusion, par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support, de la reproduction des circonstances d'un crime ou d'un délit, lorsque cette reproduction porte gravement atteinte à la dignité d'une victime et qu'elle est réalisée sans l'accord de cette dernière ». La personne qui a fourni les images en cause pourra être poursuivi en qualité de complice de l'organe de presse en application des articles 43 de la loi de 1881 relative à la liberté de la presse et 121-7 du code pénal.
Sur le plan civil, les personnes blessées concernées ainsi que les proches et héritiers de celles qui sont décédées peuvent engager une procédure tant contre le journal qui diffuse des images issues de la vidéoprotection que contre la personne qui a vendu les images, s’agissant d’une atteinte au respect dû aux morts. La Cour de cassation retient en effet que “l'image du cadavre d'une personne assassinée, au cours de la période de deuil des proches parents constitue, dès lors qu'elle n'a pas reçu l'assentiment de ceux-ci, une profonde atteinte à leur sentiment d'affliction, partant, à l'intimité de la vie privée”.
Le Daily Mail et la personne qui a cédé les images pourraient, en défense, arguer de leur liberté d’expression et de leur souhait de livrer aux lecteurs une information complète. Mais au vu des images en cause, cette ligne de défense se heurterait au principe de dignité de la personne humaine, la Cour de cassation ayant admis que « les restes des personnes décédées doivent être traités avec respect, dignité et décence ; que l'exposition de cadavres à des fins commerciales méconnaît cette exigence ».
D’importants dommages et intérêts peuvent donc être mis à la charge de la personne qui a vendu les images de vidéosurveillance du restaurant Casa nostra en cas d'action en justice, et s'élever plus haut que cette fameuse somme de 50 000 € -qui ne constituerait pas nécessairement pour elle un bénéfice net, en définitive.