Où l'on va reparler de la créativité des élus...
M. Robert Ménard, maire de Béziers, a le souci du bien-être de ses administrés et manifeste dans ce cadre des phobies qui lui appartiennent. Ainsi M. Ménard a-t-il déjà annoncé, dans un passé récent, ses croisades contre le linge étendu aux fenêtres ou les tapis battus en milieu de journée.
Son esprit ne trouvant que rarement le repos quant aux améliorations susceptibles d'être apportées à la vie quotidienne biterroise, l'édile vient de dévoiler son nouveau projet : la création d’un fichier destiné à réprimer plus efficacement le dépôt sur la voie publique de déjections canines.
A cette fin, M. Ménard a pris attache avec une société privée spécialisée dans l’analyse d'ADN d’animaux, qui serait concrètement chargée, pour la modique somme annuelle de 50000 euros, de la création d’un fichier génétique ayant à terme pour but de répertorier l’intégralité des chiens « domiciliés » dans la commune de Béziers. Chaque propriétaire de chien aurait l’obligation de se rendre chez son vétérinaire aux fins d’alimentation de ce fichier et d'obtention d'une carte dont la non-présentation sur demande des policiers municipaux serait réprimée d’une amende de 38 euros.
Une fois le fameux fichier créé, il appartiendrait aux policiers municipaux de prélever les déjections trouvées sur la voie publique, les adresser au laboratoire, ce qui permettrait d'identifier le chien auteur du coupable dépôt et de sanctionner son propriétaire d’une amende d’un maximum de 450 euros, en application de l’article R. 633-6 du code pénal.
A ce stade de notre réflexion, nous pouvons d'ores et déjà nous dire, d'une part, que policier municipal à Béziers est une carrière qui vend de moins en moins de rêve et d'autre part, que le projet "trottoirs propres" de M. Ménard risque de se heurter à quelques menus obstacles juridico-pratiques.
La première difficulté concerne l’obligation pour tout propriétaire de chien de se rendre chez un vétérinaire pour alimenter le fichier et récupérer sa carte de fichage, prête à être exhibée sur réquisition afin d'échapper à l'amende de 38 euros.
La création du "fichier déjections" de M. Ménard me semble soumise aux dispositions de la loi de 1978 relative à la protection des données personnelles puisque, au-delà des informations génétiques concernant l'animal, ce fichier comprendra des données relatives au propriétaire.
Or cette loi prévoit un certain nombre de principes de fonctionnement de tels fichiers, et impose notamment au créateur d'un fichier d’obtenir le consentement préalable de la personne concernée avant de le mettre en œuvre.
Les autorités biterroises pourraient certes objecter que la loi de 1978 prévoit également un certain nombre de dérogations à ce principe, notamment lorsque le fichier concerne les traitements nécessaires à “l'exécution d'une mission de service public dont est investi le responsable ou le destinataire du traitement” (article 7, 3° de la loi du 6 janvier 1978). Or, selon le législateur, cette disposition est relative aux fichiers de police ou de justice. La création d’un fichier destiné à répertorier les chiens susceptibles de s'oublier, bien que concernant la préservation de la salubrité publique locale, me semble donc assez éloignée de cet objectif.
Il y a donc matière à considérer que la création d’une sanction pénale pour défaut d'alimentation du "fichier déjections" soit irrégulière. Peut-être les juridictions administratives seront-elles saisies de recours à ce sujet.
Il a par ailleurs été annoncé que ce fameux fichier ne concernerait que les chiens résidant à Béziers et non les animaux de passage. Se prévaloir de sa qualité de visiteur ou de touriste (rappelons qu'il n'est légalement pas obligatoire en France, pour les humains, de ne sortir que muni de ses papiers d'identité) suffirait donc à échapper à l'obligation de présenter sa carte de fichage canin ? Ne pourrait-on voir là une rupture d'égalité des propriétaires de chiens devant la loi ?
Au-delà de ces difficultés juridiques, on notera que les agents de police municipale procéderont, en matière d'identification des chiens déféqueurs, à des actes d’enquête qui s’inscriront dans le cadre d’une enquête préliminaire, seul applicable en matière de contravention.
Dans ces conditions, les principes qui gouvernent ce type d'enquête devront être respectés, tels que loyauté dans la collecte des preuves, établissement de procès-verbaux datés, comportant le nom, la qualité et la résidence de l’agent, le lieu et la date du prélèvement, les modalités de préservation des déjections prélevées sur le trottoir, textes applicables… Toutes dispositions destinées à s'assurer que la réglementation en vigueur a bien été appliquée à la lettre et à permettre, le cas échéant, toute contestation utile.
Les agents ne devraient donc pas se limiter à ramasser les crottes de chien qu’ils auraient trouvées dans la rue, mais pour chacune d’entre elles établir au moins un procès-verbal de saisie précis, daté et signé, et les transmettre individuellement au laboratoire compétent en sus du prélèvement. Tout cela représente, on s'en doute, un temps considérable pour les effectifs de la police municipale biterroise.
On imagine donc le temps qui sera consacré par les agents municipaux à relater les conditions d’appréhension des crottes de chien en cause. Et on ne doute pas qu'ils y soient pour autant fortement incités, ne serait-ce que pour rentabiliser le coût financier du fichier facturé à la commune qui supposerait, pour être absorbé, la verbalisation annuelle de dizaines de milliers de crottes/chiens/propriétaires.
Enfin, sur le plan pratique, il y a fort à parier que les propriétaires de chiens locaux trouvent de leur côté plus rentable, tout bien pesé, de s'exposer à une amende de 38 euros, quitte à prendre en compte la fréquence des patrouilles de la police municipale selon les heures et le quartier, plutôt que d'encourir sereinement l'amende de 450 euros prévue pour les chiens fichés mais indélicats.
Bref, une bien novatrice idée qui risque de finir dans le caniveau...