Le cardinal Barbarin, archevêque de Lyon et primat des Gaules, fait actuellement l’objet de suspicions dans le cadre d’une procédure d’agressions sexuelles concernant un prêtre du diocèse de Lyon. Il n'est nullement reproché au cardinal d'avoir lui-même commis de tels actes, mais de s'être abstenu d'en faire part aux autorités compétentes après avoir été informé de leur commission, ce qui correspondrait à la qualification pénale de non-dénonciation de crime.
Reprenons brièvement les faits.
Courant 2015, plusieurs personnes déposent plainte à l'encontre d'un prêtre du diocèse de Lyon, lui imputant des faits d’agressions sexuelles commis alors qu’ils faisaient partie d’un groupe de scouts dont il avait assuré l'encadrement, entre 1970 et 1991. Une information judiciaire semble actuellement être en cours, mais les poursuites se heurteront vraisemblablement pour certains faits à la prescription de l’action publique (qui est à ce jour de 20 ans à compter de la majorité de la victime, mais a été modifiée par plusieurs lois successives durant cette période, ce qui ne simplifiera nullement la situation sur le plan judiciaire).
M. Barbarin est pour sa part visé par une seconde plainte, de même que deux personnalités relevant du diocèse et le cardinal Müller, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, qui aurait été consulté par le primat des Gaules au sujet des faits en cause. Cette plainte a été déposée du chef de non dénonciation de crime, dans la mesure où M. Barbarin aurait été informé de ces faits dès 2007 sans en tirer de conséquence, laissant le prêtre concerné au contact des mineurs.
L’infraction de non-dénonciation de crime est prévue par l’article 434-1 du code pénal qui sanctionne « Le fait, pour quiconque ayant connaissance d'un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives ». La peine fixée est de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.
La difficulté posée en l'espèce par cette infraction tient à ce qu’elle ne concerne que les crimes. Or selon ce qui est paru dans la presse, il ne serait reproché au prêtre en cause "que" des faits d'agressions sexuelles, délits relevant du tribunal correctionnel. L’infraction imputée à M. Barbarin ne pourrait être constituée que s’il s’était agi de viols, crimes jugés en Cour d’assises.
Par surcroît, s’agissant d’une infraction instantanée, ce délit particulier se commet au moment où la dénonciation des faits criminels est requise de celui qui en a eu connaissance. La prescription de l’action publique, qui a pour effet d'interdire toute poursuite pénale, intervient donc trois ans après ce moment-là.
En l’occurrence, dans la mesure où l’archevêque de Lyon aurait dû dénoncer les faits en 2007, la prescription semble acquise depuis 2010, à moins qu’une plainte, un acte d’enquête ou d’instruction ne soit venu interrompre ce délai (ce qui ne paraît pas être le cas).
Je doute donc que ce délit puisse à terme donner lieu à des poursuites judiciaires à l'encontre des religieux mis en cause, sauf élément de procédure que j’ignorerais.
On peut également rappeler que l’’article 434-3 du code pénal sanctionne quant à lui de la même peine « Le fait, pour quiconque ayant eu connaissance de privations, de mauvais traitements ou d'atteintes sexuelles infligés à un mineur de quinze ans ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d'une maladie, d'une infirmité, d'une déficience physique ou psychique ou d'un état de grossesse, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives ».
Si cette infraction est d'un certain point de vue de spectre plus étendu que celle de non-dénonciation de crime en ce qu’elle vise également les délits d’agressions sexuelles commis sur mineurs de moins de 15 ans, on ne peut qu'en revenir à la même observation concernant la prescription de l’action publique : on se trouve là encore confronté à une infraction instantanée dont le délai de prescription court à compter du jour où la dénonciation aurait dû être réalisée (en l’espèce en 2007).
Sur le plan juridique, aucune infraction ne paraît en conséquence pouvoir entraîner la comparution devant une juridiction correctionnelle des membres de l’Eglise qui auraient eu connaissance depuis 2007 des faits dénoncés par leurs anciennes ouailles. On n'en dira pas autant sur le plan moral, domaine où l'activité professionnelle de M. Barbarin et de ses confrères devrait pourtant les inciter à l'exemplarité.