Sortie de route, mais pas des clous

Hier, 23 janvier, lors du Rallye de Monte Carlo, le pilote finlandais Jari-Matti Latvala a effectué une sortie de route involontaire, renversant un spectateur. Si ce dernier n’a heureusement pas été blessé lors du choc, le véhicule roulant alors à faible vitesse, les images tournées par un spectateur (et largement diffusées sur Internet) montrent que le pilote ne s’est pas arrêté et a continué sa route, abandonnant la course un peu plus tard. Une sanction disciplinaire a été très rapidement prise au sein de la fédération dont il relève.

Le Français Sébastien Ogier (VW Polo-R) sur le Rallye Monte-Carlo ce vendredi matin. © JEAN-PIERRE CLATOT / AFP

On peut par ailleurs s’interroger sur l’éventuelle qualification pénale de cette fuite de M. Latvala.

Première infraction susceptible d’être mise en œuvre, le délit de fuite prévu par l’article 434-10 du code pénal qui sanctionne de deux années d’emprisonnement et de 30.000 € d’amende « Le fait, pour tout conducteur d'un véhicule ou engin terrestre, fluvial ou maritime, sachant qu'il vient de causer ou d'occasionner un accident, de ne pas s'arrêter et de tenter ainsi d'échapper à la responsabilité pénale ou civile qu'il peut avoir encourue »

A priori ce texte peut paraître parfaitement applicable au comportement de M. Latvala durant ce rallye. Toutefois, deux objections peuvent être faites. La première concerne la connaissance de l’accident par celui qui l’a causé : le pilote, rapidement entendu par les organismes de la fédération sportive, a précisé que compte tenu de la boue et de la fumée qui sortait de son moteur, il n’avait pas vu le piéton et avait pour cette raison poursuivi sa route.

Si tel est réellement le cas, l’infraction ne saurait être retenue à son encontre du fait du défaut d’élément intentionnel : M. Latvala ne pourrait alors avoir eu l’intention de fuir une responsabilité qu’il ignorait lui incomber.

Par ailleurs, la jurisprudence de la Cour de cassation écarte tout délit de fuite lorsque la personne auteur de l’accident est identifiée, l'obligation de s'arrêter étant destinée à permettre la détermination des causes de l'accident ou tout au moins l'identification du conducteur auquel il pourrait être imputé. En l’occurrence, compte tenu du nombre de témoins et du caractère officiel et public de la course en cause, le pilote du véhicule était nécessairement identifié, ce qui écarterait l’infraction selon l’interprétation de la Cour.

Deuxième infraction envisageable :  l’omission de porter secours. Ce délit est prévu par l’article 223-6 du code pénal qui sanctionne de cinq années d’emprisonnement et 75000 € d’amende « quiconque s'abstient volontairement de porter à une personne en péril l'assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours ».

Là encore, la question se posera de la connaissance du péril dans la mesure où le pilote a précisé ignorer avoir renversé cette personne et que la preuve contraire me semble difficile à rapporter. Par surcroît, on pourra s’interroger sur la réalité du péril compte tenu du nombre de personnes présentes sur les lieux, susceptibles de venir à l’aide du spectateur renversé.

Troisième infraction envisageable, la mise en danger de la vie d’autrui. Cette infraction concerne l’attitude du pilote durant les secondes ayant suivi cet accident qui n’a finalement pas eu de conséquences dommageables. On peut en effet supposer qu’un pilote qui fait une sortie de route sur un rallye en présence d’un public nombreux prendrait la décision d’arrêter son véhicule afin d’éviter de blesser quiconque se trouverait à proximité, particulièrement dans le cas où, comme M. Latvala l’affirme, il n’aurait plus eu de visibilité en raison de la boue et de la fumée sortant de son capot.

Ce délit est prévu par l’article 223-1 du code de la route qui punit d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 15.000 € « le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ».

Ce texte impose toutefois l’existence d’un texte particulier (loi ou règlement) imposant une obligation de prudence et de sécurité. En l’espèce, j’avoue ne pas avoir trouvé de texte qui imposerait aux pilotes de course de s’arrêter après une sortie de route (mais si vous en trouvez, n’hésitez pas à me le signaler, je ferai amende honorable). Autrement dit, en dépit de la dangerosité de la conduite du pilote, cette infraction spécifique ne pourrait être constituée.

Il est donc tout à fait possible que l’acte de M. Latvala lui vaille en définitive sa seule sanction disciplinaire (suspension et amende), outre la réprobation morale du public et de l’ensemble des (télé)spectateurs, bien entendu.