En mars 2015, un instituteur de Villefontaine (Isère) a été mis en examen des chefs de viols et agressions sexuelles commis à l’encontre de plusieurs de ses élèves. Le retentissement de l’affaire avait été d’autant plus fort que l’enseignant avait déjà été condamné, en 2008, à une peine d’emprisonnement avec sursis pour des faits de téléchargement d’images pédo-pornographiques. L’Education nationale n’avait toutefois pas été informée de cette condamnation antérieure, ce qui avait permis à l’enseignant de conserver son poste.
En réponse à ce dysfonctionnement, un projet de loi tendant à préciser les modalités de transmission d’information entre la justice et l’Education Nationale a été débattu devant l’Assemblée nationale, le 8 décembre dernier.
Ce projet de loi prévoit principalement la création de deux nouveaux articles au sein du code de procédure pénale.
Tout d’abord, un article 706-47-4 prévoyant que les autorités judiciaires devront ou pourront, selon les cas, informer l’administration compétente de procédures mettant en cause une personne exerçant des activités placées directement ou indirectement sous son contrôle et impliquant un contact habituel avec des mineurs, lorsqu’il s’agira d’infractions graves (meurtres, viols, agressions sexuelles), commises contre des mineurs ou de nature sexuelle.
La transmission d’informations sera ainsi obligatoire lorsque la personne aura été condamnée ou qu’elle sera astreinte à un contrôle judiciaire (antérieur par conséquent à tout jugement au fond) lui interdisant d’exercer une activité impliquant un contact avec les mineurs.
La transmission d’informations sera facultative lorsqu’une procédure sera engagée contre une personne, même en cas d’audition libre ou de garde à vue, s’il existe des indices graves ou concordants à son encontre laissant supposer qu’elle aurait commis de telles infractions.
Ensuite, un article 11-2 prévoyant de façon plus générale une possibilité pour le ministère public d’informer l’administration ou les autorités compétentes des condamnations ou procédures en cours (mise en examen, saisine d’une juridiction) mettant en cause une personne dont l’activité professionnelle ou sociale est placée sous leur contrôle ou leur autorité. Cette information ne sera envisageable que dans l’hypothèse d’un crime ou d’un délit puni d’une peine d’emprisonnement (ce qui concernera donc l’écrasante majorité des infractions en la matière), et si cette information est nécessaire pour permettre à l’administration de prendre les mesures utiles au maintien de l’ordre public, à la sécurité des personnes ou des biens ou au bon fonctionnement du service public.
Dans ce cas de figure, il s’agira d’une simple faculté de transmission de l’information offerte au procureur compétent.
Dans la mesure où cette hypothèse concernera notamment des personnes présumées innocentes, qui pourraient bénéficier en fin de procédure d’une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement, le projet de loi prévoit un certain nombre de garanties telles que le caractère confidentiel de l’information ou l’information de l’administration de l’achèvement de la procédure.
Une difficulté se présentera certainement en pratique concernant les transmissions éventuelles d’informations à la suite d’une simple garde à vue ou encore d’une audition libre.
Rappelons que ces mesures peuvent aboutir à des poursuites pénales et à une décision judiciaire ou, au contraire, à un classement sans suite. Elles peuvent aussi intervenir dans le cadre d’enquêtes qui verront les investigations se poursuivre pendant un temps plus ou moins long après la fin de la garde à vue ou de l’audition.
On peut souligner par surcroît que l’audition libre concerne une personne à l'égard de laquelle il existe des « raisons plausibles » de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction (une simple dénonciation suffisant à ce qu’une audition libre soit envisagée). N'importe qui, ou presque, donc. Du moins, une proportion conséquente de la population (et quasiment 100 % des voisins difficiles).
Dans l’hypothèse notamment d’une audition libre ayant donné lieu à transfert d’information, il arrivera nécessairement que l’enquête aboutisse à un classement sans suite. Toutefois, la formalisation et la notification de cette décision de classement pourrait intervenir de nombreux mois après la transmission à l’administration de l’information initiale.
Dans ces conditions, on peut redouter qu’une personne ne fasse l’objet pendant un certain temps (*) de mesures contraignantes prises par son administration de tutelle, alors même qu’aucune charge n’aurait rapidement paru susceptible d’être retenue à son encontre aux yeux du Parquet.
(*) Au moins équivalent à celui mis par le fût du canon à refroidir après le tir, disons. Merci à Fernand Raynaud pour cette mesure scientifique de l’écoulement du temps.