Claude Guéant : un ex-ministre sans instruction

Mardi dernier, les avocats de M. Claude Guéant ont été informés par le parquet national financier du renvoi devant le tribunal correctionnel de leur client, ainsi que d’un ex préfet de police, M. Michel Gaudin et de trois autres préfets, naguère membres de l’ancien cabinet de M. Nicolas Sarkozy. Cette citation devant le tribunal correctionnel fait suite à l’enquête préliminaire dont était chargé depuis juin 2013 l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales, relative à l’utilisation d’importantes sommes d’argent liquide censément destinées, au sein du ministère de l'Intérieur, aux frais d’enquête, et qui auraient été utilisées à des fins personnelles par certains mis en cause dont M. Guéant, poursuivi pour recel et complicité de détournement de fonds publics.

L'ancien ministre de l'Intérieur Claude Guéant, au siège de l'UMP, le 8 juillet 2013, à Paris.

Si le renvoi d'un membre de la classe politique devant une juridiction pénale ne constitue malheureusement plus un événement exceptionnel en soi, les propos de l’ancien ministre de l’Intérieur quant à son renvoi devant le tribunal interpellent.

M. Guéant a en effet déclaré dans la presse : « Je suis renvoyé sans débat contradictoire, je n'ai jamais vu un magistrat. C'est un élément intéressant. [...] Ce renvoi s'est accompagné de la publication d'éléments du dossier de l'enquête qui compte tenu de la nature de la procédure ne doivent être connus que par la police ou le parquet. C'est extrêmement troublant ».

Ces déclarations relèvent d'un usage hardi des termes "intéressant" et "troublant", dans la bouche d'un ancien chef de la police, susceptible à ce titre de connaître a minima les mécanismes d’une enquête pénale et de la procédure judiciaire pouvant en découler.

M. Guéant récrimine contre son absence de comparution devant un juge d’instruction préalablement à son renvoi devant le tribunal correctionnel : il convient donc de lui rappeler que l’écrasante majorité des procédures pénales jugées en France le sont sans que les prévenus n'aient jamais vu à quoi ressemblait un juge d’instruction, mais simplement à la suite d'une enquête menée par la police ou la gendarmerie, y compris dans le cas des dossiers concernant ce que l’on appelle communément le droit pénal des affaires. Il est ainsi fréquent de voir examiner par le tribunal correctionnel des affaires de banqueroute, d’abus de biens sociaux, de fraude fiscale n'ayant fait l’objet "que" d’une enquête préliminaire, par définition secrète et réalisée de façon non contradictoire, interdisant généralement au prévenu comme à ses avocats d’en connaître le contenu avant la saisine du tribunal.

La saisine d’un juge d’instruction n’intervient que dans le cas d’affaires criminelles ou complexes, ou lorsque des investigations nécessitant légalement son intervention doivent être effectuées. La plupart du temps, les pouvoirs accordés par le législateur aux services d’enquête agissant sous la direction du Procureur de la République avec intervention, le cas échéant, du juge des libertés et de la détention pour autoriser certains actes, suffisent pour constituer le dossier sur la base duquel les faits seront jugés.

Une perquisition, par exemple, peut ainsi être effectuée à son domicile sans l'accord de la personne mise en cause dans le cadre d’une enquête préliminaire pour faits de recel sur autorisation écrite et motivée du juge des libertés et de la détention (article 76 alinéa 4 du code de procédure pénale).

Autrement dit, M. Guéant se plaint d’être traité comme de nombreux justiciables, alors même qu'à en croire divers organes de presse, ses avocats semblent avoir eu accès au dossier en cours d’enquête, ce qui est assez exceptionnel en matière d’enquête préliminaire pour être souligné et suppose qu'ils aient eu affaire à des enquêteurs particulièrement sensibles à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme en matière de respect du principe du contradictoire, ou à la qualité du mis en cause.

 

[Edit : Après publication, @simoneduchmole m'a indiqué que le service enquêteur n'avait pas été la Brigade financière, comme je l'avais initialement indiqué, et que le parquet national financier avait pour principe de donner accès au dossier à tous "ses" mis en cause. Grâce en soit donc rendue à Simone - et au PNF, mais pas pour la même chose.]