Le choix du prénom de son enfant est un acte éminemment personnel, la loi accordant aux parents une grande liberté en la matière. Cette liberté n’est toutefois pas absolue, ainsi que l'illustrent deux cas récents de prénoms qui ont été jugés contraires à l’intérêt des enfants concernés.
Ainsi, à Valenciennes, un couple (probablement gastronome) a décidé d’appeler son bébé « Nutella ». L’officier d’Etat civil, considérant que « le prénom de l’enfant [n'était] pas conforme à son intérêt », en a informé le procureur de la République de Valenciennes qui a saisi le juge aux affaires familiales « pour qu’il en soit ordonné la suppression sur les registres de l’état civil ». A l'issue d'une audience à laquelle les parents n’ont apparemment pas comparu, le magistrat a relevé que « le prénom « Nutella » donné à l’enfant correspond[ait] au nom commercial d’une pâte à tartiner. Et il est contraire à l’intérêt de l’enfant d’être affublé d’un tel prénom qui ne peut qu’entraîner des moqueries ou des réflexions désobligeantes » , décidant en conséquence de rebaptiser l’enfant Ella.
De même, le prénom « Fraise », choisi par deux parents qui expliquaient souhaiter donner à leur fille « un prénom original non usité », a été écarté car ce prénom « sera nécessairement à l’origine de moqueries, notamment l’utilisation de l’expression "ramène ta fraise", ce qui ne peut qu’avoir des répercussions néfastes sur l’enfant ». Les parents semblent avoir ultérieurement donné leur accord pour prénommer leur fille Fraisine, un ancien prénom qui n’apparaît pas « quant à lui, contraire à l’intérêt de l’enfant » selon le tribunal.
Il convient de rappeler que l’article 57 du code civil prévoit en ses deux derniers alinéas que « Lorsque ces prénoms ou l'un d'eux, seul ou associé aux autres prénoms ou au nom, lui paraissent contraires à l'intérêt de l'enfant ou au droit des tiers à voir protéger leur nom de famille, l'officier de l'état civil en avise sans délai le procureur de la République. Celui-ci peut saisir le juge aux affaires familiales.
Si le juge estime que le prénom n'est pas conforme à l'intérêt de l'enfant ou méconnaît le droit des tiers à voir protéger leur nom de famille, il en ordonne la suppression sur les registres de l'état civil. Il attribue, le cas échéant, à l'enfant un autre prénom qu'il détermine lui-même à défaut par les parents d'un nouveau choix qui soit conforme aux intérêts susvisés. Mention de la décision est portée en marge des actes de l'état civil de l'enfant. »
Ce texte affirme donc le principe de liberté des parents dans le choix du prénom de leur enfant puisque, depuis 1993, l'officier de l'état civil n'a plus le pouvoir de refuser l'indication dans l'acte de naissance des prénoms qui ne lui paraîtraient pas réguliers. Celui-ci dispose simplement de la faculté de saisir le procureur de la République à toutes fins opportunes.
Les parents ont donc le droit de choisir le prénom de leur rejeton à partir d’une liste existante, d'utiliser d’autres noms du vocabulaire (Cristal), d’autres noms propres (Kléber, Vallès...), d'attribuer des prénoms créés par la littérature ou le cinéma (Leeloo, Khaleesi, Anakin...) ou de créer des prénoms totalement inédits, comme avait pu le faire le couturier Courrèges en prénommant sa fille Clafoutis, la créativité en la matière des amateurs de sucreries étant manifestement illimitée.
Les deux seules limites à la liberté des parents tiennent à la non-conformité du prénom à l'intérêt de l'enfant et à l'atteinte portée au droit des tiers à voir protéger leur nom de famille.
La non-conformité du prénom à l’intérêt de l’enfant revêt de multiples facettes : inadéquation du prénom au sexe de l'enfant, identité avec d’autres personnes de la famille (prénom unique que les parents souhaiteraient décerner à tous leurs enfants, par exemple), identité du prénom et du nom de famille.
Mais c’est principalement concernant la consonance, la forme et le contenu du prénom que l’atteinte à l’intérêt de l’enfant est le plus souvent relevée, comme cela a été le cas en l'occurrence pour les petites Nutella et Fraise.
Ont été écartés par les juridictions françaises les jeux de mots dans l’association entre le prénom et le nom ou les simplifications extrêmes du prénom : un prénom composé de simples initiales (MJ, hommage à Michael Jackson de parents mélomanes) a été considéré comme préjudiciable pour l’enfant et a été en conséquence écarté par une juridiction au profit de Emjy, à l'esthétique plus classique mais à la sonorité identique.
De même, si l’utilisation du nom d’un personnage historique est possible (Vercingétorix, Jules César), certains sont à écarter compte tenu du rôle qu'ils ont pu tenir dans l'Histoire (Hitler, Staline ou Mussolini sont ainsi à proscrire).
Les prénoms caricaturaux peuvent également être écartés : si Zébulon a déjà été accepté, ce n’est pas le cas du prénom Titeuf, les juges considérant que « le personnage de Titeuf est présenté comme un garnement pas très malin dont les principales préoccupations concernent les relations avec les filles et le sexe ; l’ouvrage intitulé « guide du zizi sexuel » est directement associé à ce personnage dont la naïveté et l’ignorance concernant le sexe sont tournées en dérision. C’est un personnage caricatural, bien que plutôt sympathique, destiné à faire rire le public en raison de sa naïveté et des situations ridicules dans lesquelles il se retrouve ».
L’atteinte à l'intérêt de l’enfant présente ainsi une certaine subjectivité. Si le prénom Nutella paraît devoir nécessairement être écarté, l'éviction de Fraise peut être plus discutée, puisque, à l’exception de la formule « ramène ta fraise », le préjudice que l’enfant est susceptible de subir est des plus limités. Les demi-jeunes de ma génération se souviendront peut-être d'une présentatrice d'émissions enfantines qui ne semblait pas trop mal se porter de se prénommer Cerise, malgré l'existence de l'expression "avoir la cerise", notamment, et dont une collègue de plateaux avait par ailleurs été baptisée Orly. Subjectivité, donc.