La société Kanavape a publiquement annoncé, en début de semaine, le lancement d’une cigarette électronique qui, selon les titres de presse, permettrait de vapoter du cannabis. La promotion de ce produit, présenté comme totalement légal, a immédiatement entraîné une réaction de la part de la ministre de la santé, Mme Marisol Touraine, qui a annoncé qu’elle entendait saisir la justice pour la faire interdire.
Peut-on légalement distribuer une cigarette électronique dont l’ingrédient principal n’est pas la nicotine ou un quelconque arôme parfumé mais le cannabidiol ?
On peut rappeler que la loi française interdit et sanctionne l’usage, la détention, l’achat de stupéfiants, et sanctionne les infractions constitutives de trafic de stupéfiants de peines conséquentes allant jusqu’à la réclusion criminelle à perpétuité, s’agissant des faits les plus graves tels que la direction ou l’organisation « d’un groupement ayant pour objet la production, la fabrication, l'importation, l'exportation, le transport, la détention, l'offre, la cession, l'acquisition ou l'emploi illicites de stupéfiants ».
La liste des produits stupéfiants n’est pas déterminée par la loi pénale elle-même mais par un arrêté du ministre de la santé qui précise que « Sont classées comme stupéfiants les substances et préparations mentionnées dans les annexes au présent arrêté ». Les annexes en question visent de très nombreux produits, connus pour certains (cocaïne, héroïne, codéine, opium…), plus exotiques pour d’autres (métopon, niconicodine, PEPAP…). Cette liste vise en outre le cannabis et la résine de cannabis, sans autre précision.
L’utilisation de produits stupéfiants dans le cadre médical, elle, se trouve réglementée par de nombreux textes insérés notamment dans le code de la santé publique, dont la caractéristique principale n'est pas nécessairement leur grande clarté.
Si la Cour de cassation a d’abord considéré que le cannabis était classé parmi les stupéfiants et a rappelé qu'il n'y avait pas lieu de distinguer la culture en vue du trafic de la culture aux fins de consommation personnelle. De même, elle retenait que le cannabis n'était pas défini en fonction de sa teneur en tétrahydrocannabinol (THC), principe actif assurant l'effet psychotique ou euphorisant du stupéfiant, concluant qu'une personne arrêtée en possession de cannabis aux fins de consommation personnelle ne saurait se prévaloir de dispositions qui permettent notamment l'exportation et l'utilisation, à des fins industrielles et commerciales, de certaines variétés de cannabis ayant une teneur n'excédant pas 0,3 % de THC.
Elle a toutefois par la suite précisé que selon les textes applicables « ne sont autorisés que la production, la mise sur le marché, l'emploi et l'usage de delta 9-tétrahydrocannabinol de synthèse et la culture, l'importation, l'exportation et l'utilisation industrielle et commerciale de variétés de cannabis sativa L. dépourvues de propriétés stupéfiantes lorsque le poids de THC par rapport au poids d'un échantillon est inférieur ou égal à 0,30 pour cent”, admettant qu’il convenait de rechercher si le produit était « d'origine végétale et dépourvu de propriétés stupéfiantes, et s’ il était utilisé à des fins industrielles ou commerciales, conditions nécessaires à une utilisation licite”.
A la lecture de ces éléments, le cannabis paraît pouvoir être utilisé si le produit est dépourvu de propriétés stupéfiantes et s’il est utilisé à des fins industrielles et commerciales.
La cigarette électronique au cannabis semble répondre à ces deux conditions, puisque le produit utilisé est une variété de chanvre à faible teneur en THC, a priori inférieur à celui de 0,30 pour cent.
Ainsi, malgré l'opinion exprimée par Mme Touraine, la cigarette électronique me paraît parfaitement légale.
On peut par ailleurs s’interroger le caractère incitatif de la dénomination de cigarette électronique au cannabis, qui favoriserait à terme selon certains la consommation du cannabis illicite.
Il est vrai que l’article L. 3421-4 du Code de la santé publique incrimine et sanctionne de 5 années d’emprisonnement la provocation au délit d'usage de stupéfiants, délit dont la mise en œuvre par la jurisprudence est subtile.
Il a été retenu à cet égard que constituait le délit de provocation à l'usage de stupéfiants la commercialisation d'articles comportant une feuille de cannabis en logo ou représentant des personnages fumant du cannabis. De même un prévenu a été déclaré coupable de cette infraction pour avoir possédé et utilisé un scooter peint aux couleurs de la Jamaïque, vert-jaune rouge, portant sur le devant l'inscription "marijuana" et deux dessins de feuille de cannabis.
A contrario, cette infraction n’est pas constituée s’agissant de la présentation d'un parfum, d'un cosmétique ou de produits similaires comportant le terme "opium".
Mme Touraine pourrait (voire semble) estimer que la communication faite par la société Kanavape tendant à promouvoir une vapoteuse au chanvre serait constitutive de cette infraction et solliciter notamment la ministre de la Justice afin que celle-ci impulse des poursuites tant à l'encontre des dirigeants de la société que de la société elle-même pour cette infraction (sans aucune garantie de succès compte tenu des incertitudes de la jurisprudence).
Néanmoins, à l’examen du site internet créé par cette société aux fins de commercialisation de son « vaporisateur de chanvre », on ne peut que constater que les termes et images employées semblent sélectionnés avec suffisamment de soin pour éviter de tomber dans le champ de cette incrimination. Le terme de "e-cigarette au cannabis", par exemple, n'y est nullement employé bien qu'il se soit largement répandu dans la presse. On peut donc légitimement soupçonner qu'un ou deux juristes aient été (judicieusement) consultés par ce commerçant manifestement prudent.