Cloud à l'égout

Si vous êtes parvenu jusqu’ici, vous ne vivez pas suffisamment retiré du monde pour avoir échappé à l’émoi planétaire qui fait suite, depuis hier, à la diffusion sur la toile de photos dénudées de plusieurs stars hollywoodiennes, au nombre desquelles figure Jennifer Lawrence, actrice oscarisée en 2011. Selon les informations publiées, les photographies en question auraient été prises grâce à leur téléphone portable, puis stockées dans un « cloud » où un hacker aurait réussi à les récupérer.

L'actrice Jennifer Lawrence arrive à la cérémonie des Oscars, le 2 mars 2014 à Hollywood (Californie, Etats-Unis).

L’individu en possession de ces photos compromettantes aurait dans un premier temps informé les victimes de son forfait, réclamant en contrepartie de leur non-diffusion le versement d’une certaine somme d’argent. Du fait de l’absence de réponse, le hacker a manifestement entrepris de diffuser certaines photographies (toutes ?) des actrices en cause.

De nombreuses infractions pourraient être relevées dans cette affaire à l’égard tant du hacker que des diffuseurs de ces images (cette catégorie pouvant comprendre les chaînes de télévision désireuses de ne rien laisser ignorer du concept de « photos d’actrice dénudée » à leurs téléspectateurs - oui, I-Télé, c'est à vous que je fais allusion), voire tout aussi bien des internautes qui, par simple curiosité, ont recherché ces photographies et les ont téléchargées sur leur ordinateur.

Il apparaît d’emblée que l'auteur principal du piratage pourrait être poursuivi pour les infractions suivantes existant en droit français :

-          Accès frauduleux à un système de traitement automatisé de données prévue par l’article 323-1 du code pénal et sanctionné d’une peine de deux ans d’emprisonnement et 30.000 € d’amende, concernant la récupération des photographies dans le « cloud » ;

-          Atteinte à la vie privée, figurant à l’article 226-1 du code pénal, qui réprime d’une peine d’une année d’emprisonnement et de 45.000 € d’amende la fixation, l’enregistrement ou la transmission, sans le consentement de celle-ci, de l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé ;

-          Le vol prévu par l’article 311-1 du code pénal qui sanctionne la « soustraction frauduleuse de la chose d’autrui », la chose en question pouvant parfaitement être un bien incorporel tel qu’une photographie sur support numérique. Il est sanctionné d’une peine de 3 ans d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende).

On peut toutefois imaginer que l’auteur principal de ces infractions ne soit pas français et ne réside pas sur notre sol, ce qui rendrait hypothétiques de telles poursuites sur le territoire français. Il appartiendra en tout état de cause à Mlle Lawrence et à ses collègues d’engager des poursuites selon les lois en vigueur dans le pays compétent.

Ces infractions françaises pourraient en revanche servir de base à l'exercice de poursuites à l’encontre de diffuseurs français, voire des internautes indélicats qui auraient consulté ou téléchargé sur leur ordinateur les photographies en cause (j’emploie ici le conditionnel, mais quelque chose me dit qu’un certain nombre de mes compatriotes se trouvent dans ce cas).

En effet, au-delà de l’infraction d’atteinte à la vie privée qui peut être reprochée à toute personne qui aurait affiché les photos litigieuses sur son écran (l’affichage entraînant un enregistrement dans la mémoire de l’ordinateur), l’infraction de recel pourrait également, à mon sens, être poursuivie à leur égard.

Selon l’article 321-1 du code pénal, « le recel est le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose, ou de faire office d'intermédiaire afin de la transmettre, en sachant que cette chose provient d'un crime ou d'un délit. » Ce délit suppose une infraction préalable qui se trouve parfaitement constituée en l’occurrence, à savoir le vol et/ou l’atteinte à l’intimité de la vie privée. On peut d’ailleurs se souvenir que le recel d’atteinte à la vie privée avait été envisagé en cours d’instruction dans l’une des affaires concernant Mme Bettencourt, s’agissant de la diffusion des enregistrements effectués par son majordome de ses conversations avec divers interlocuteurs.

Autrement dit, chers internautes, si l’envie vous prenait de consulter ou d’enregistrer les photographies intimes de Jennifer Lawrence sur vos ordinateurs, tablettes et téléphones portables, ayez conscience du fait que vous commettriez alors des infractions vous faisant encourir jusqu’à cinq ans d’emprisonnement (le plus grave des délits étant, en droit français, puni de dix ans d’emprisonnement).

Cela étant, le réalisme m’oblige à reconnaître que compte tenu du nombre prévisible d’internautes ayant souhaité prendre connaissance de ces photographies, l’intégralité des magistrats français ne suffirait probablement pas à donner une suite pénale à l’intérêt mal placé de chaque amateur de la plastique de la belle Jennifer.