Rappeler que l’on nous rebat les oreilles, depuis quelques jours, de critiques concernant les écoutes téléphoniques dont a fait l’objet Nicolas Sarkozy, alors qu’il était notamment en relation avec son avocat Maître Thierry Herzog, serait un aimable euphémisme. D’aucuns (et pas seulement l’ancien Président) n’ont pas hésité à faire l’analogie avec la Stasi, estimant que les écoutes pratiquées se rapportaient plus à un système dictatorial qu’à une démocratie.
L’autorité judiciaire et les prérogatives qui lui sont légalement dévolues comparées au service de police politique et de renseignement dont la mission essentielle consistait à traquer et débusquer les opposants au régime de l’ancienne RDA. Rien que ça.
Une telle affirmation ne manque pas d’interroger, s’agissant d’écoutes judiciaires, effectuées sur ordre et sous le contrôle de magistrats indépendants en application des articles 100 et suivants du code de procédure pénale. Certes, des difficultés sont susceptibles d’apparaître concernant les écoutes de conversations entre une personne et son avocat, qui sont par nature confidentielles, et qui à mon sens ne doivent ni être retranscrites, ni même écoutées. Mais l’étendue du secret professionnel de l’avocat ne semble même pas (ou plus) constituer le cœur du débat.
Il faut cependant bien admettre que les écoutes téléphoniques réalisées de façon occulte et en roue quasi-libre se pratiquent effectivement en France, et de façon quotidienne, si, si. Votre ligne téléphonique (comme la mienne, comme celle de la boucherie Sanzot) est peut-être en ce moment même sur écoute. Et si tel est le cas, vous ne le saurez probablement jamais.
Fort curieusement, les hommes politiques et autres intervenants qui s’expriment abondamment à propos des écoutes judiciaires ne semblent nullement s’inquiéter de l’existence des « interceptions de sécurité », écoutes téléphoniques administratives décidées par le gouvernement en dehors de tout réel contrôle.
Ce type d’interceptions a été créé par une loi de 1991, actuellement intégrée au code de la sécurité intérieure.
Il résulte de ces textes que ces écoutes téléphoniques sont ordonnées « à titre exceptionnel » par le Premier ministre, sur proposition des ministres de l'intérieur et de la défense et du ministre chargé des douanes, pour rechercher « des renseignements intéressant la sécurité nationale, la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France, ou la prévention du terrorisme, de la criminalité et de la délinquance organisées et de la reconstitution ou du maintien de groupements dissous ».
Si les objectifs prévus par la loi peuvent apparaître louables, encore faudrait-il que des garanties adéquates soient mises en place.
Pourtant, tandis que la mise en place par un magistrat d’écoutes judiciaires concernant la relation entre un avocat et son client est soumise à la réunion de certaines conditions (peine minimale encourue de deux ans, établissement de procès-verbaux qui seront intégrés à la procédure, conservation des enregistrements sous scellés, interdiction ou encadrement de certaines conversations selon leurs auteurs ou leur contenu…), rien de tel n’est prévu dans le cadre des interceptions de sécurité.
Par surcroît, le seul contrôle mis en place par le législateur est effectué par la Commission Nationale de Contrôle des Interceptions de Sécurité, autorité administrative présidée par une personne désignée par le Président de la République et composée d’un député et d’un sénateur, désignés par les présidents de chacune des assemblées.
On peut légitimement s’interroger sur la réelle indépendance et l’impartialité des membres de cette commission, compte tenu notamment de leur positionnement politique qui peut être proche de celui du Premier Ministre et plus généralement du pouvoir en place, comme c’est le cas actuellement.
Force est par ailleurs de constater que les contrôles effectués par la CNCIS sont insuffisants, qu’ils aient lieu a priori ou a posteriori.
En amont, la CNCIS vérifie que les demandes présentées répondent aux objectifs posées par la loi et prévoient des éléments circonstanciés afin que la commission puisse vérifier l’articulation du fait au droit ; toutefois, la loi n’impose la production d’aucune pièce complémentaire particulière (compte-rendu de filature, courriers reçus, documents incriminant la cible, contrats…).
La décision de la CNCIS est donc soumise à la sincérité de la demande motivée rédigée par les membres du gouvernement, sans pouvoir en vérifier la pertinence au moyen d’éléments complémentaires.
En 2012, sur les 6145 demandes d’interceptions sollicitées, 50 seulement ont fait l’objet d’un avis défavorable.
A posteriori, la CNCIS procède à un contrôle destiné à s’assurer non seulement de la bonne adéquation de la demande au motif légal invoqué, mais aussi de l’intérêt réel présenté par l’interception, au regard des critères de proportionnalité et de subsidiarité. Elle peut procéder notamment par le biais de recommandations d’interruption d’écoutes que le Premier ministre n’est absolument pas obligé de suivre.
En 2012, seules 561 écoutes ont été fait l’objet d’un tel contrôle par la Commission, soit moins de 10 % du total.
Il peut par ailleurs être observé que les missions de cette commission ne cessent d'être étendues alors même que son budget demeure en quasi stagnation (augmentation de 15000 euros pour l’année 2014).
On peut donc considérer que ces écoutes décidées par le gouvernement, sans garantie, sans réel contrôle d’une quelconque autorité indépendante, sont nettement plus attentatoires aux libertés publiques que celles ordonnées par un juge.
Si l’on doit s’insurger contre une atteinte intolérable à notre vie privée se rapprochant d’un système dictatorial, mieux vaut bien choisir sa cible.