Le salaire de la peur

Le 23 avril 2014, une jeune fille a été victime d’agressions sexuelles dans le métro de Lille, en présence d’un certain nombre de personnes installées dans la rame où les faits se sont déroulés, sans qu’aucune de celles-ci ne réagisse aux appels à l’aide de la victime.

L'agresseur a poursuivi sa victime jusque dans une rame de métro.

Après avoir quitté le métro, la jeune femme a enfin pu être secourue par un jeune automobiliste.

L’auteur de l’agression a été poursuivi dans le cadre d’une procédure de comparution immédiate, et condamné à une peine d’emprisonnement de 18 mois.

Le procureur de la République de Lille a parallèlement ordonné l’ouverture d’une enquête préliminaire du chef de non assistance à personne en danger, délit susceptible d’être reproché aux voyageurs présents dans la rame.

Le texte légal applicable en l’occurrence est l’article 223-6 du code pénal.

Le premier alinéa de cet article réprime le fait de ne pas mettre obstacle à la commission d’une infraction prévue : « Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l'intégrité corporelle de la personne s'abstient volontairement de le faire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. ».

Le second alinéa prévoit la non assistance à personne en péril qui concerne le fait pour quiconque de s'abstenir volontairement de porter à une personne placée en situation de danger l'assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours. Cette infraction concerne un péril, quelle que soit son origine (crime ou délit, accident, tempête…) portant sur la vie, la santé ou l’intégrité physique d’une personne.

Si ces textes couvrent tous deux certains comportements identiques (une personne qui n’intervient pas dans le cas d’une scène de violence qu’il peut empêcher est susceptible d’être poursuivie pour l’une ou l’autre des infractions), certaines situations ne correspondent qu’à l’un ou l’autre de ces deux délits.

Concernant plus précisément la situation qui nous intéresse (témoins d’une agression sexuelle s’abstenant d’intervenir), si la première infraction peut a priori être envisagée sans difficulté particulière selon une jurisprudence constante l’appliquant à ce type de faits, la seconde a pu être discutée (s’agissant de faits de viols, la question de l’atteinte à l’intégrité physique avait été soulevée devant la Cour de Cassation, celle-ci retenant la non assistance à personne en péril, compte tenu du handicap de la victime, et de lésions subies suite au viol).

L’infraction de non-opposition à un crime ou à un délit exige une intervention susceptible d’empêcher la commission d'une infraction, et doit donc avoir lieu avant le début de la réalisation de cette dernière, ou avant sa consommation complète. Ainsi, une femme à qui son amant avait révélé son intention de tuer sa propre épouse une nuit avant le crime a-t-elle pu être condamnée de ce chef.

 

Peu importe donc la forme de cette intervention, celle-ci pouvant être personnelle ou impliquer le recours à un tiers (témoins, forces de l’ordre…). Une intervention simplement verbale a toutefois été jugée insuffisante : des spéléologues ont ainsi été condamnés pour ne s’être opposés que verbalement à l'un d'entre eux qui avait décidé de couper les cordes pouvant permettre le retour à la surface de leurs homologues demeurés à un niveau inférieur, alors qu'une intervention plus énergique et efficace aurait permis d'éviter la commission de l'infraction.

La personne qui peut agir est tenue de faire tout son possible pour éviter la réalisation de l'infraction concernée, mais la survenance de celle-ci malgré son intervention effective ne rend pas le « tiers agissant » coupable du délit de non-opposition à la commission d'une infraction.

Celui-ci n'est par ailleurs caractérisé que si son auteur pouvait agir sans risque pour lui ou pour les tiers, le risque devant être actuel et sérieux, et concerner  sa propre intégrité physique.

 

Le texte légal sanctionne une abstention volontaire ce qui impose d’une part la connaissance de l'infraction projetée, et d’autre part la conscience qu'une intervention efficace est possible.

 

En l’occurrence, il n’apparaît pas discutable que les personnes présentes sur le quai et dans la rame de métro savaient qu’une infraction était en train de se commettre, la victime ayant précisé avoir tenté de repousser son agresseur à plusieurs reprises après s’être fait caresser de force les parties intimes par le mis en cause.

La question centrale repose sur les risques qu’aurait pu courir un éventuel intervenant, puisque l’auteur était très fortement alcoolisé et tenait une bouteille d’alcool, laquelle était susceptible d’être utilisée en tant qu’arme.

Si l’on peut comprendre que dans ces conditions, les témoins des faits aient pu éprouver une certaine appréhension à venir physiquement en aide à la jeune femme agressée, le fait d’appeler les secours (policiers ou fonctionnaires du métro) ou de tirer la sonnette d’alarme ne les exposait manifestement à aucun risque particulier et aurait pu prévenir ou mettre rapidement fin aux agissements du délinquant.

Dès lors, l’infraction est à mon sens constituée en tous ses éléments à l’encontre de ces témoins restés passifs alors que la loi leur imposait, en pareilles circonstances, d’agir avec un minimum de civisme. Et d'humanité.