Faux tracts de Mélenchon : manœuvres électorales, responsabilité pénale

Jeudi 3 avril, le tribunal correctionnel de Béthune (Pas-de-Calais) a rendu sa décision dans l’affaire des faux tracts appelant à voter Mélenchon, et a condamné Marine Le Pen à 10 000 euros d'amende. Pendant la campagne des élections législatives opposant notamment la présidente du Front national et Jean-Luc Mélenchon dans la 11e circonscription du Pas-de-Calais, des membres du FN avaient imprimé un faux tract (reproduit ci-dessous) laissant apparaître l’image du coprésident du Parti de gauche, une citation de celui-ci et une invitation à voter pour lui, dont l'ironie n'était pas manifeste sur le document.

Affirmant dans une interview "assumer" le contenu de ce tract, Marine Le Pen a toutefois contesté "violemment" sa responsabilité pénale pour les deux infractions qui lui étaient reprochées, ce qui me paraît compréhensible au regard des règles juridiques applicables. Elle a logiquement relevé appel de cette condamnation.

Une manœuvre de nature à modifier le vote des électeurs

La première de ces infractions, rarement poursuivie, est prévue par l’article L. 97 du Code électoral qui dispose que "ceux qui, à l'aide de fausses nouvelles, bruits calomnieux ou autres manœuvres frauduleuses, auront surpris ou détourné des suffrages, déterminé un ou plusieurs électeurs à s'abstenir de voter, seront punis d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 15 000 euros".

Cette infraction réprime donc de façon particulièrement large toute information trompeuse ayant eu des conséquences sur le vote. La difficulté consiste dans l’impossibilité de déterminer l’impact de l’information sur le vote et de démontrer que l’acte de l’auteur a bien eu une conséquence sur le résultat du scrutin.

Par conséquent, les tribunaux rechercheront la démonstration que l’information ait eu pour effet éventuel de détourner les suffrages. Un préfet de police a ainsi été reconnu coupable de l’infraction en question. Après un attentat survenu entre les deux tours d’une élection municipale, il avait déclaré suivre "une piste politique et raciste". "Les gens qui ont monté cette affaire étaient en relation relativement étroite avec des politiciens de droite dans le Vaucluse et à Marseille. (…) Il est faux de dire qu'il n'y a pas un arrière-fond politique dans toute cette affaire, plusieurs éléments nouveaux que nous avons recueillis confirment bien que c'était la synagogue qui était visée (…). Les gens interpellés et recherchés évoluent dans les milieux d'extrême droite", avait-il affirmé, en précisant : "Ce ne serait pas tant le RPR mais plutôt l'UDF."

Ne commet pas en revanche, selon la Cour de cassation, le délit de l'article L. 97 celui qui a "prédit des ennuis" aux électeurs qui voteraient en faveur d'un candidat.

La question qui se posait donc au tribunal dans l’affaire concernant Marine Le Pen était de savoir si le tract en cause constituait une manœuvre de nature à modifier les votes, ce à quoi la juridiction a répondu par l’affirmative.

Marine Le Pen argue qu'elle n'est pas à l'origine du tract

La seconde infraction reprochée à Marine Le Pen est prévue à l’article 226-8 du Code pénal qui sanctionne "le fait de publier, par quelque voie que ce soit, le montage réalisé avec les paroles ou l'image d'une personne sans son consentement, s'il n'apparaît pas à l'évidence qu'il s'agit d'un montage ou s'il n'en est pas expressément fait mention".

Cette infraction ne soulève en l’occurrence aucune difficulté particulière et est parfaitement applicable au tract en cause, Jean-Luc Mélenchon n’ayant à aucun moment donné son accord à la réalisation de ce tract.

Mais Marine Le Pen, au-delà de la matérialité des infractions, a contesté que sa responsabilité pénale puisse être engagée, arguant qu’elle n’était pas à l’origine de la rédaction et de la diffusion de ce tract, élaboré et distribué à l’initiative de militants, ayant pour sa part simplement précisé devant les médias qu’elle "assumait" ce tract.

Le tribunal devait donc s’interroger sur la responsabilité de Marine Le Pen, alors qu’elle n’a (a priori) commis aucun fait matériel concernant la réalisation de ce tract.

La responsabilité pour autrui peut-elle être aussi étendue ?

Le droit français comprend en effet le principe de la responsabilité du fait personnel prévu par l’article 212-1 du Code pénal, impliquant que chacun soit pénalement responsable de son propre fait.

Toutefois, ce principe connaît des exceptions prévues par de nombreux textes : il s’agit principalement de la responsabilité de l’employeur aux lieu et place de son salarié (non-conformité des prescriptions en matière de sécurité sociale, droit de la consommation, droit pénal des affaires…).

Au-delà de ces textes spécifiques, la jurisprudence a étendu ce principe de responsabilité pénale du fait d’autrui aux cas où certaines obligations légales imposent le devoir d'exercer une action directe sur les faits d'un auxiliaire ou d'un subordonné. Aucun texte ni aucune décision n’a cependant retenu à ce jour la responsabilité pénale d’un candidat à une élection pour les faits délictueux commis par un militant.

Le tribunal a néanmoins reconnu Marine Le Pen coupable des deux infractions qui lui étaient reprochées, soit la manœuvre frauduleuse dans le cadre d’une élection et la publication d'un montage laissant apparaître l’image d’une personne sans son consentement, et l’a condamnée de ces chefs à une peine de 10 000 euros d'amende, relaxant les deux militants poursuivis en sa compagnie pour avoir distribué les tracts incriminés.

L’appel qu’elle a formé se justifie donc pleinement, l’extension du principe de responsabilité pour autrui opérée par la décision du tribunal correctionnel méritant d’être débattue en appel. Il ne fait d’ailleurs aucun doute qu’en cas de condamnation de Marine Le Pen par la cour d’appel, elle ne forme un pourvoi en cassation qui permettrait que soit clairement tranchée cette question purement juridique.