Il y a deux ans, du 6 au 7 janvier 2014, le directeur de la production et le directeur des ressources humaines de l’usine GoodYear ont été retenus par des salariés au sein de l’usine de pneumatiques. A l'issue de poursuites engagées par le Procureur de la République, le Tribunal correctionnel d’Amiens a aujourd'hui condamné certains de ces salariés à des peines de 24 mois d’emprisonnement dont 15 avec sursis.
A l'annonce de cette décision, les réactions politiques ont été nombreuses, M. Yann Galut, député du Cher, se disant « Très choqué », appelant « la même sévérité à l’égard des patrons voyous ». M. Jean-Luc Mélenchon a quant à lui déclaré sur Twitter : « 8 ouvriers #Goodyear condamnés à 24 mois de prison dont 9 fermes. Pourtant pas de plainte. Merci Taubira. »
On peut ici apporter quelques précisions juridiques pour apprécier cette décision.
Les salariés concernés étaient poursuivis des chefs de violences en réunion, délit prévu par les articles 222-11 et suivants du code pénal, selon les circonstances de l’infraction (réunion, préméditation, usage d’une arme…) et le préjudice subi par la victime, et de séquestration.
L’infraction de séquestration est prévue par les articles 224-1 et suivants du code pénal. A l'examen des articles 224-1 et 224-3 de ce même code, on constate que, s’agissant de la séquestration de plusieurs personnes qui ont été volontairement libérées avant le septième jour accompli, les salariés encouraient une peine de dix années d’emprisonnement et relevaient du tribunal correctionnel (les séquestrations criminelles étant celles qui s'accompagnent de violences graves et/ou ayant duré plus de sept jours).
Il était donc reproché aux salariés des délits d'une gravité certaine, la peine de dix ans d'emprisonnement étant la peine maximale susceptible d'être prononcée en matière délictuelle, hors cas de récidive.
Procéduralement, selon ce qui est paru dans la presse (et semble conforté par l'affirmation de M. Mélenchon), aucune plainte des victimes de ces actes ne se trouve à l'origine de l'enquête, qui a donc été diligentée à la seule initiative du procureur de la République. Cela signifie que si les victimes n’ont à aucun moment demandé à ce que les salariés comparaissent devant le Tribunal correctionnel pour les infractions qui leur étaient reprochées, c’est le Procureur de la République, en vertu de sa prérogative d'appréciation de l’opportunité des poursuites, qui a décidé à l’issue de l’enquête de renvoyer les salariés devant la juridiction pénale compétente.
A ceux qui s'indignent que le Parquet ait poursuivi alors que les victimes elles-mêmes n'avaient pas déposé plainte à l'encontre des salariés, on peut rappeler que très souvent, la victime n’intervient que tardivement à la procédure, voire à aucun moment, sans pour autant qu'il soit inopportun de poursuivre l'auteur des faits. L'exemple "bateau" typique en la matière est celui des violences conjugales, dans le cadre desquelles il est évidemment légitime que le Ministère public puisse exercer des poursuites y compris en l’absence de plainte de la victime.
Par surcroît, s’agissant d’un dossier aussi sensible que celui-ci, il est évident que le Procureur de la République d’Amiens a a minima fait état de ses intentions auprès de sa hiérarchie, à savoir le Procureur général, quant à l’opportunité de poursuivre les salariés devant la juridiction correctionnelle - Procureur général qui a au demeurant été tenu informé du déroulement des investigations à chaque étape, car il en va ainsi des "dossiers signalés". La Garde des sceaux aurait même pu enjoindre au Procureur de la République d'exercer les poursuites initiales (mais non de ne pas les exercer, s'il en avait eu l'intention), bien que le gouvernement actuel s'attache à souligner qu'il se refuse aux instructions aux Parquets dans les dossiers individuels. Là se situerait la seule action qu'il serait imaginable d'imputer à Mme Taubira, qui n'a quant au reste aucune influence sur la décision du Tribunal, faut-il le rappeler.
Il est vrai que la peine prononcée à l'égard des salariés de Goodyear, en particulier les neuf mois d’emprisonnement ferme, peut sembler excessive au regard de ce qui se qui a été prononcé dans des cas similaires, où des peines d'amende (éventuellement assorties du sursis) ou de l’emprisonnement avec sursis ont généralement sanctionné les faits commis notamment dans le cadre de conflits sociaux. A tout le moins, la décision du Tribunal correctionnel d'Amiens caractérise une application très rigoureuse de la loi pénale.
Cette sévérité judiciaire pourra se trouver relativement tempérée au stade de l'application des peines, dans la mesure où toute peine inférieure à deux ans d’emprisonnement (un an si la personne est en état de récidive légale) peut bénéficier d’un aménagement de peine (placement sous surveillance électronique notamment). A la condition, bien évidemment, que la Cour d'appel confirme ces peines d'emprisonnement ferme prononcées en première instance, les condamnés ayant d'ores et déjà indiqué interjeter appel du jugement concerné.