Mercredi 5 juillet. Des trombes d’eau s’abattent depuis ce matin sur nos tranchées. Rarement vu un temps plus exécrable depuis qu’on est en Normandie ! C’est pourtant une bonne nouvelle. Au moins on ne sera pas envahis par les moustiques toujours aussi vifs dans ce secteur. Petite révolution pour moi ce matin : on m’annonce que je ne suis plus le chargeur d’Andriot, mais je deviens tireur sur l’autre K Gun, une sorte de promotion en fait.
Avec Andriot on ne s’est pas quittés depuis qu’on a embarqué en Angleterre le 5 juin. Maintenant c’est un peu comme une séparation dans un vieux couple. On avait pris nos habitudes à la longue.
François Andriot c’est un solide gaillard de la Haute-Marne, qui s’est engagé comme moi en 1943. Il est un peu plus vieux que moi, il aura bientôt 23 ans. Il m’a raconté sa vie avant la guerre, son métier de typographe, puis son évasion de France pour fuir le STO en 1942. Mais surtout il m’a raconté ses 5 mois passés dans les prisons franquistes et le terrible camp de Miranda quand il s’est fait arrêté en Espagne alors qu’il tentait de franchir les Pyrénées.
Il a fini par arriver en Ecosse en juin 1943. Et un an après le voilà avec nous, l’air de rien, un vrai dur à cuire! Des gars comme ça on en a plein au Commando Kieffer, mais peu parlent de leur passé. Ce qui compte maintenant pour nous c’est le présent, on vit au jour le jour. Et aujourd’hui je quitte mon meilleur copain. Et ça il va falloir s’y faire…