Depuis ce matin, les articles pleuvent sur la présidence de Valéry Giscard d’Estaing. Tous reviennent sur les grandes réformes réalisées durant son septennat, à commencer par la majorité civile à 18 ans ou bien encore la généralisation de la protection sociale ainsi que le divorce par consentement mutuel et la légalisation de l'avortement, portée par Simone Veil. Profondément européen, il a participé au renforcement du couple franco-allemand et a oeuvré à la création du G7 lorsqu'il fut confronté aux crises pétrolières. Un coup de semonce qui marquera à jamais la fin du plein emploi des années 70. Ce que l'on sait peut-être moins, c'est que la communication politique actuelle lui doit beaucoup. Pour le meilleur et parfois le pire. Ou le moins bon. C'est selon.
Le primat de l'image
Alors que la télévision commence à se généraliser dans tous les foyers, Valéry Giscard d’Estaing a très vite compris l'importance de l'image et donc la nécessité absolue de comprendre et savoir utiliser ce média pour délivrer des messages aux Français directement dans leurs salons. "Avant même son élection comme président, il s’est construit une image favorable dans l’opinion en utilisant abondamment la télévision dont il a un sens inné. Ministre de l’économie et des Finances, il s’illustre par des interventions pédagogiques sur l’état de l’économie française (à l’époque florissante) appréciée des téléspectateurs" explique sur le site de la Revue Politique Pierre-Emmanuel Guigo, Maître de conférences en histoire contemporaine et auteur de "Com et politique, les liaisons dangereuses ?" (Arkhê, 2017). C'est fort de cette expérience qu'il pourra notamment s'imposer face à François Mitterrand lors du débat devenu mythique de 1974. Devenu président, il a également compris l'importance de maîtriser cette image pour marquer symboliquement un changement et afficher sa modernité : ainsi, pour son portrait présidentiel, "il opte pour une photo officielle le montrant en plan serré et devant un drapeau français en simple costume de ville, là où ses prédécesseurs avaient choisi la redingote et la bibliothèque de l’Elysée".
La mise en scène du corps
Valéry Giscard d’Estaing est l'un des premiers à avoir mis en scène son corps à des fins de communication politique. On le verra ainsi en maillot de bain sur un rocher, piloter un avion, faire du ski à Courchevel en compagnie de journalistes ou bien encore torse nu depuis les vestiaires après un match de football entre l’équipe de la mairie de Chamalières et les commerçants de la ville. L'objectif ? Donner à voir l'image d'un homme sportif et donc apte à exercer le pouvoir. Autrement dit associer le corps, l'effort sportif, à un homme pour lui en attribuer les qualités symboliques de force. Une stratégie reprise par d'autres dans la même lignée. En premier lieu Nicolas Sarkozy en vélo ou maillot. Autant d'images aujourd'hui associées à notre panthéon collectif du roman-photo estival des politiques. Soit le dédoublement des corps dont parlait Kantorowicz qui nous subjugue tant ("Les Deux Corps du Roi") : au corps biologique et commun (mortel et naturel), se télescope le corps sacré et divin (immortel et politique). L’un ne peut exister sans l’autre et les politiques, depuis lors, n'ont eu de cesse de mettre les deux en scène.
La peopolisation de la politique
Conscient d'être perçu comme un grand bourgeois, amateur de partie de chasse, Valéry Giscard d’Estaing a cherché tout au long de son mandat à fissurer son image de haut-fonctionnaire. Il est ainsi adonné l'exercice périlleux de l'interview dans la presse grand public, n'hésitant pas à mettre en scène sa femme, Anne-Aymone. Il a en effet compris qu'une couverture de Paris-Match, c'est l'assurance d'une campagne d'affichage nationale à peu de frais sur tous les kiosques de France et de Navarre. "Son but est de se rendre sympathique et proche des Français en se montrant un élu et un dirigeant politique similaire à eux. Il s’affiche ainsi avec son épouse, ses filles et choisit comme affiche de campagne en 1974 une photographie le représentant dialoguant avec sa fille Jacinthe" relève Pierre-Emmanuel Guigo. Dans le même élan, une fois à l'Élysée, "il invite les éboueurs parisiens au petit-déjeuner et s’invite chez les Français qui le sollicitent". Une tentative qui montrera ses limites car suite aux chocs pétroliers entraînant une dégradation de la situation économique, sur fond d'affaire des diamants, il réapparaîtra sous les traits d'un monarque hautain perçu comme arrogant.
La fascination pour les spin doctors américains
Fasciné par la modernité des États-Unis, l'ancien président n'hésitera pas à faire appel à des stratèges venus d'outre-atlantique. "Durant la campagne de 1974 il suit les conseils du publicitaire Jacques Hintzy et fait même venir l’ancien conseiller de Kennedy, Joseph Napolitan. Il en résulte une campagne présidentielle qui détone avec les précédentes et dont le merveilleux film 1974, une partie de campagne de Raymond Depardon donne une bonne idée" affirme Pierre-Emmanuel Guigo. Des décennies avant la naissance de Twitter, il a également le sens des petites phrases que nous appellerions aujourd'hui les "punchlines". Il dit ainsi "vouloir regarder la France au fond des yeux" ou bien encore à l'adresse d'un Mitterrand alors interdit "vous n'avez pas le monopole du coeur" lors de lors débat de 1974. Il sera partout, tout le temps, pour maintenir à flux tendu la communication avec les Français au point de saturer l'espace médiatique, relativement restreint à l'époque : Valéry Giscard d’Estaing à l'accordéon, dans les prisons. Valéry Giscard d’Estaing...omniprésent. Laissant peu de terrain à son premier ministre Jacques Chirac, qui démissionnera avec fracas.
Au-delà de cet héritage commun en matière de communication politique, un héritier peut se prévaloir d'une forme de filiation : Emmanuel Macron. De leurs nombreux points commun, on peut citer la jeunesse, mais aussi le passé de Ministre des Finances avant d'accéder à la fonction de chef de l'État, sans soutien réel d'un parti. Le mouvement des "Jeunes Giscardiens" qui peut faire penser sous certains aspects à celui d'En Marche. La posture européenne et le positionnement libéral. Le même attrait pour la tech d'un côté et la start up nation de l'autre. Le style présidentiel "volontaire" mais aussi les mêmes critiques quant à l'arrogance perçue et cet "au revoir" théâtral aux Français. Auront-ils le même destin ?