Lors du conseil des ministres exceptionnel de ce non moins exceptionnel 29 février, les mesures prises pour gérer la crise sanitaire due au coronavirus devait être au coeur de toutes les discussions et permettre un consensus politique nécessaire. Enfin, c'est ce qui était annoncé. Visiblement, le premier ministre et le président de la République ont décidé de miser sur l'efficacité de cette réunion, organisée en dehors de leurs horaires de bureau, pour ajouter subrepticement à l'agenda la validation du recours à l'article 49-3 de la Constitution. De quoi raviver la flamme de la contestation politique et mettre le feu au poudre en déclarant la guerre à l'opposition. Objectif : faire adopter à la hussarde le projet de loi sur la réforme des retraites, actuellement débattu à l'Assemblée nationale. Sans même faire l'objet d'un vote, celui-ci sera donc considéré comme adopté, à moins qu'une motion de censure, déposée dans les 24 heures, soit votée par l'Assemblée nationale. Déjà les oppositions ont abrégé leur week-end pour monter au créneau et faire entendre leur voix, face caméra. Ils ne sont pas les seuls : de manière spontanée, une manifestation s'est improvisée. La crise sociale est déjà amorcée.
Rassemblement devant l'assemblée nationale contre l'annonce du premier ministre que le gouvernement ferait recours au 49.3 pour faire passer la réforme des retraites. #GreveGenerale #AssembleeNationale #ReformeRetraite pic.twitter.com/jXdpzMNvSd
— Anton Stolper (@AntonStolper) February 29, 2020
Ce rassemblement est une première qui présage de la bataille féroce qui va faire rage. Voici les arguments que ne manqueront pas d'émerger pour contrer cette opération éclair lancée par l'Élysée.
Un usage du 49-3 dévoyé au service d'un président autoritaire et arrogant
Initialement, cet instrument devait permettre à un gouvernement de mettre en jeu sa légitimité face aux députés quand sa majorité s'oppose à lui. Or, depuis De Villepin et le CPE en 2006 ou bien encore la loi... Macron de 2015, cet outil a été dévoyé de son sens initial. Le 49-3 se borne désormais à une simple accélération du vote d’une loi, sans concertation. Certes, la pluie d'amendements déposées en une seule semaine sont des prétextes pour ralentir la course au vote. Certes, les amendements pertinents auraient dû être plus nombreux. Mais la majorité LaREM a-t-elle une seule fois examiné un amendement issu des oppositions ? Jamais. Pire, la majorité est capable de voter une mesure faisant passer le congé des salariés et des salariées de 5 à 12 jours en cas de décès d'un enfant, sans l'ombre d'un recul, sans la moindre humanité. Peu de place au débat démocratique avec le gouvernement d'Emmanuel Macron. Cette posture déjà perçue comme arrogante va marquer durablement les débats. Les citoyens risquent bientôt de se demander à quoi peut bien servir ce Parlement si le travail d’élaboration des lois par des élus du peuple est replacé par celui d'énarques confinés dans leurs cabinets ministériels. La démocratie participative à l'agonie en sort une nouvelle fois meurtrie.
L'absence de cohérence des soutiens du président pour le 49-3 en 2020, contre en 2015
Rappelez-vous l'usage par Manuel Valls du 49-3 pour faire passer la loi... Macron. Elle avait suscité un tollé de la part des opposants devenus par magie soutiens du ministre de l'Économie d'alors. Il faut croire que depuis cinq ans, leur avis à profondément changé. Parce qu'aujourd'hui, bien évidemment, ce n'est pas pareil...C'est différent... Ce n'est pas la même chose... Déjà, Mehdi Mebarki, responsable adjoint service veille et communication numérique à l'Élysée sous François Hollande à partir de septembre 2014, puis conseiller en charge du numérique au SIG de décembre 2016 à décembre 2019, sort sa boîte à archive sur Twitter.
Le 49.3 ? C'est les membres du @gouvernementFR et de la majorité #LREM qui en parlent le mieux ! #Retraites pic.twitter.com/AbfviKfi3v
— Mehdi Mebarki (@MehdiYanis) February 29, 2020
Alors que le Conseil d'État pointe ses failles béantes, la plus grande réforme sociale depuis l'après guerre ne semble pas mériter de discussions
Cette réforme, censée être une réforme du système de retraite inédite depuis 1945, est "destinée à transformer pour les décennies à venir un système social qui constitue l’une des composantes majeures du contrat social", rappelle le Conseil d'État. Or, la plus haute juridiction administrative n'a pas manqué d'étriller le gouvernement dans son avis rendu public il y a quelques semaines. Elle estimait notamment ne pas avoir eu "les délais de réflexion nécessaires pour garantir au mieux la sécurité juridique". En cause ? L'étude d'impact jugée, excusez du peu, "insuffisante", pour "certaines dispositions", ne répondant pas "aux exigences générales d’objectivité et de sincérité" et manquant de "précision", pour notamment "vérifier que cette réforme est financièrement soutenable". Déjà les juristes pointaient sans ambages une éventuelle inconstitutionnalité du projet. Car in fine cette réforme peut tout aussi bien être rejetée non par la rue, non par le parlement aujourd'hui empêché, mais bien par le conseil constitutionnel lui-même.
Des questions basiques restent sans réponses pour les futurs retraités concernés
Dans ce contexte explosif alors que les manifestants battent le pavé depuis le 5 décembre 2019 et qu'ils se sont réunis spontanément pour dénoncer l'usage de ce 49-3, un minimum de discussions à l'Assemblée semblait le minimum syndical -si l'on peut utiliser l'expression- pour cette ligne budgétaire à plusieurs milliards d'euros. Une somme tout sauf anecdotique. D'autant plus lorsque les questions, pourtant simples, demeurent sans réponse. Quel sera le montant de ma retraite avec cette réforme ? Impossible de savoir, le simulateur censé nous éclairer sera mis en ligne dans six mois. Devrais-je travailler plus en 2022 ? Pas de réponse avant la conférence de financement. Comment décemment présenter une réforme aussi fondamentale, sans en maîtriser les paramètres exacts ? Comment décemment affirmer qu'elle simplifie lorsque les zones d'ombre sont légion ? Aucun élément. Rien, le néant.
Un usage du 49-3 qui ne pourra être effectué qu'une seule fois sur un texte
Comme le rappelle les socialistes réunis autour d'Olivier Faure, Édouard Philippe ne peut utiliser le 49-3 qu’une seule fois sur un texte et par session ordinaire. Sur la loi organique où la question de la valeur du point émergera, ce sera donc impossible. La bataille aura lieu non seulement sur le terrain émotionnel, mais aussi sur le terrain technique pour faire obstruction à ce passage en force. Déjà les spécialistes planchent sur la question.
Vers la nationalisation des élections municipales ou la stratégie du vote sanction
En représailles, les oppositions vont tout faire pour nationaliser les élections municipales alors même que la majorité présidentielle n'est pas bien implantée localement. La revanche des vieux partis est en marche -un comble- et l'usage du 49-3 est un argument de plus en faveur du vote sanction. Mais de cela, seuls les électeurs décideront.
Venez débattre sur Facebook