Pauline Rocafull, scénariste, au sujet du retrait de la candidature de Benjamin Griveaux : 'Ici la réalité rattrape la science-fiction'

Benjamin Griveaux, à Paris, le 14 février 2020, annonçant qu'il se retire de la course à la mairie de capitale française. (LIONEL BONAVENTURE / AFP)

Lundi 10 février, les fans de la série Baron Noir, découvraient avec joie les nouveaux épisodes de la troisième saison de la série politique. Ce vendredi 14 février, les derniers rebondissements de la campagne des élections municipales à Paris y ressemblent à s'y méprendre.

Et pourtant, il s'agit bien de la réalité. Benjamin Griveaux, tête de liste LREM aux municipales 2020 à Paris, a retiré sa candidature, le 14 février 2020, après la diffusion sur internet de vidéos et de messages privés à caractère sexuel, attribués à l’ancien porte-parole du gouvernement, et qui n'ont pas été identifiés. 

Cet événement n'est pas sans conséquence sur l'enjeu des municipales de 2020 à Paris et plus largement sur l'ensemble des listes LREM. À ce titre, il ne manquera pas d'être analysé et commenté sous l'angle politique. Déjà, en coulisses, les équipes s'affairent pour anticiper les prochaines séquences de communication de cette campagne devenue folle.

Prenons le temps. Arrêtons nous un instant sur le sujet pour tenter de l'observer d'un autre point de vue que celui attendu, les yeux rivés sur le contrechamp avec Pauline Rocafull. L'ancienne présidente de la Guilde française des scénaristes, aujourd'hui présidente de l'association pour la création de la Cité européenne des scénaristes, a débuté sa carrière professionnelle en tant que communicante, avant d'écrire pour la télévision. Quand la réalité nous échappe, mieux vaut parfois interroger les professionnels de la fiction pour tenter d'élucider la situation.

Selon vous, la réalité dépasse-t-elle souvent la fiction ? 

Pauline Rocafull : On dit souvent que la réalité dépasse la fiction, ici la réalité rattrape la science-fiction. On est dans Black-Mirror. Et la question de la crédibilité de cette histoire ne se pose pas quant à la possibilité pour quelqu’un de dévoiler des informations qui relèvent de l’intime. Elle se pose quant à l’incapacité des politiques français et de chacun d’entre nous à prendre la mesure de l’évolution du monde dans lequel on vit : la vie privée n’existe plus. Le monde de liberté, assez français finalement, dans lequel on croit vivre, n’existe plus. Et ce qui est violent aujourd’hui c’est la puissance de la désillusion.

Absence de désistement de Cédric Villani, retour en force de Rachida Dati, maintien d’Anne Hidalgo et maintenant départ de Benjamin Griveaux... Pour être communicant ou politique, faut-il désormais être un bon scénariste et anticiper les rebondissements à venir ?

Pauline Rocafull : Un bon communicant est un bon scénariste. Tous les deux doivent maîtriser l’art du storytelling et la psychologie humaine, pour anticiper les rebonds de chaque action, image et parole. Cependant, aujourd’hui, il est de plus en plus difficile de prévoir les coups d’avance. Les réseaux sociaux rendent extrêmement imprévisibles et volatiles les réactions des gens. Le mode de réception est de l’ordre de la pulsion : j’aime, j’aime pas, faisant fi de l’histoire qui a été racontée auparavant. Cette amnésie conduit à des séquences de communication de plus en plus brèves, autorise le recours au mensonge. Peu importe la vérité, ce qui compte c’est l’émotion qui sera imprimée dans la tête de l’électeur. En ce sens, ce monde qui apparaît soudain totalitaire est une fiction permanente où plus rien ne compte, où l'on croirait presque que c'est pour de faux.

Diriez-vous qu'une campagne électorale est un scénario où les politiques, parfois aidés de leurs communicants, testent des fils de campagne et les arches narratives (ndlr : la progression narrative d'une saison de série, le parcours des personnages récurrents et l'évolution de leurs relations) ?

Pauline Rocafull : Chaque campagne électorale est différente et en même temps il y a des codes narratifs, des évènements incontournables. Et depuis quelques années, il y a une figure récurrente : celui qui tombe pour une affaire. Alors comment éviter que son candidat n’emprunte les traits de ce personnage maudit ? Prier. L’humain étant faillible, le monde politique déconnecté et les scandales médiatiques très aiguisés par les réseaux sociaux, cette épée de Damoclès plane au-dessus de tout un chacun. Aujourd’hui, toute la classe politique sent le point rouge du sniper sur son front. Et le langage informatique étant de plus en plus démocratisé et aux mains de puissances étrangères et/ou privées, le tir peut venir de n’importe où. C’est la roulette russe... Et quand cela vous tombe dessus, c’est le pire cauchemar pour un communicant. C’est l’équivalent de la mort d’un personnage pour un scénariste. Il n’y a pas d’après. End of the game avec des conséquences sur le plan humain qui sont de l’ordre du choc traumatique. Surtout quand, comme c'est le cas semble-t-il, il n'y a pas d'affaire.

Ce retournement est-il une fois de plus l’illustration de l’impuissance du politique, dont la seule marge de manoeuvre semble résider dans la construction, parfois périlleuse voire impossible, d'un récit ?

Pauline Rocafull : Beaucoup d’hommes et de femmes politiques ont recours aux réseaux sociaux pour faire de la politique. Cette communication désintermédiée débouche inévitablement sur une grande violence qui les expose énormément. Il n’y a plus de frontière possible entre la vie personnelle et la vie politique, plus de distance. Certains diront que la politique spectacle voulue par certains hommes et femmes politiques se retournent contre eux, et en même temps, est-il possible d’échapper aujourd’hui à la traque des réseaux sociaux ?

Anne-Claire Ruel

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Publié par Anne-Claire Ruel / Catégories : Actu