Mobilisation des streamers en faveur des grévistes : "On quitte le terrain émotionnel de la réaction épidermique sur Internet pour transformer cela en action positive"

Une personne joue sur la plateforme de jeux vidéo Twitch, à Mulhouse (Haut-Rhin), le 15 mars 2019. (MAXPPP)

Partie de jeux vidéos en direct, dessin et musique, ou bien encore chat et sculpting 3D… C'est une première mondiale et elle est française : sur  la plateforme Twitch, propriété d'Amazon, une trentaine de streamers, aidés de 60 volontaires, se relaient depuis le 5 décembre, date de début du mouvement social. Devant leur webcam, 24 heures sur 24, du jeudi au samedi et les jours de manifestations, ces gamers soutiennent les grévistes mobilisés contre la réforme des retraites. Les membres de ce collectif autonome baptisé "Le Stream Reconductible" ont déjà collecté plus de 152 000 euros, soit la 4ème plus importante cagnotte de grève. De l'argent reversé à la caisse de grève principale lancée par l’intersyndicale de CGT Info'Com."On s'arrêtera quand ils s'arrêteront" préviennent-ils leur compte Twitter. Pas de doute, la mobilisation est là pour durer. Qui a dit que les jeunes n'avaient pas d'opinion sur les lois et les réformes qui régissent la vie de la Cité ?

Pour en apprendre plus sur le sujet et son impact en matière de communication, la parole est à Jean Massiet, membre du collectif et fondateur d'Accropolis, la chaîne de streaming qui commente la politique en direct pour dépoussiérer le genre. 

Cette mobilisation en ligne définit-elle un nouveau territoire de contestation, identique à celui des ronds-points et des piquets de grève ?

Jean Massiet : Territoire, je ne saurais pas dire, parce qu'on est quand même sur Internet. La notion d'espace et de territoire est un peu plus vague. En tout cas, c'est une modalité de mobilisation qui est complètement nouvelle. Et qui s'appuie sur une forme de renouveau de la caisse de grève qui n'est pas due à notre mobilisation. C'est historique. On le doit à la CGT et la CFDT qui ont réhabilité les caisses de grève il y a environ dix ans. Avec une idée simple : si tu ne fais pas grève, mais que tu veux soutenir le mouvement, tu peux donner de l'argent pour aider les grévistes à faire grève. C'est un moyen d'action du mouvement ouvrier qui est en train de revenir. Et il se trouve que beaucoup d'amateurs de jeux vidéos ne sont pas grévistes pour tout un tas de raisons. Soit parce qu'ils sont à leur compte, soit parce qu'ils sont étudiants. Il existe toujours plein de raisons de ne pas pouvoir être gréviste. Pour autant, ils soutiennent quand même à mort le mouvement de grève et cherchent des modalités pour aider. Auparavant, d'autres formes de mobilisations politiques existaient. Par exemple, autour de la candidature de Jean-Luc Mélenchon en 2017, de nombreux jeunes sympathisants de la France Insoumise ont commencé à donner de leur temps, à créer des jeux vidéos, à faire des montages vidéos. Seul chez toi, même si tu habites au fin fond de la Bretagne, tu peux être actif en ligne pour aider un mouvement.

En quoi cette mobilisation digitale rappelle-t-elle l'expérience vécue lors des manifestations ?

Jean Massiet : Quand tu mènes une action en politique, tu as toujours besoin de sentir que tu n'es pas le seul à penser ce tu penses. Tu as besoin de sentir que tu es entouré d'autres personnes. C'est le principe même d'une manifestation. On vient tous se rasséréner en se disant "putain, je ne suis pas le seul à ne pas être d'accord avec cette loi". On est nombreux et c'est le nombre qui nous rend solidaires et fiers de mener une action collective. Là sur Internet, on peut se sentir très isolés les uns des autres, parce qu'on est éloignés géographiquement. Mais quand tu te retrouves sur le compte du stream, que tu te retrouves avec des gens comme toi. Quand tu constates que tu as des gens qui partagent tes idées, tu te sens un peu comme en manif. T'es content d'être là et tu te dis "c'est cool, je ne suis pas tout seul à penser ce que je pense".

Sur Facebook et Twitter, on s'indigne de tout, tout le temps, mais cela se transforme rarement en action collective. Votre action n'est peut-être pas "collective" au sens premier du terme, mais il s'agit d'une action "de collecte". Participe-t-elle à une forme de mobilisation plus positive ?

Jean Massiet : Oui, complètement ! Effectivement, on quitte le terrain émotionnel de la réaction épidermique sur Internet pour transformer cela en action positive. Sur Twitter il y a une tension permanente. Les gens s'invectivent tout le temps. Sur le stream, il y des sourires en permanence. Les gens rigolent et l'on passe de super bons moments. On remet un peu de sourire dans la mobilisation.

Comme sur les ronds-points, de nouvelles formes de solidarités voient-elles le jour ? Des gens qui ne se connaissent pas se rencontrent ?

Jean Massiet : Oui, sur le stream la dimension festive de la grève est très présente. Dans les usines d'antan, en 1936, les ouvriers grévistes organisaient des bals musette dans les usines. Cela donnait une image très sympathique de la grève. Aujourd'hui, la grève elle a une image très négative dans l'opinion publique. À cause notamment de la notion de prise d'otage. "Les méchants grévistes qui nous empêchent de fêter Noël". C'est un vieux classique qui n'est pas propre à notre époque. Mais cela donne du gréviste l'image d'un renfrogné, méchant, qui tire la tronche. Ensemble, nous avons la volonté d'utiliser le meilleur d'Internet. C'est à dire, ce côté communautaire, convivial, sympa, fun.

Cette mobilisation en ligne est-elle permise par la réunion d'heureux facteurs tels que l'essor de la plateforme ?

Jean Massiet : Effectivement. Il y a un peu un alignement de planètes, parce que nous avons un mouvement de grève, une caisse de grève réhabilitée depuis assez peu de temps et Twitch qui est quand même une plateforme sur laquelle on a l'habitude de collecter des fonds. C'est assez fréquent sur Twitch les mouvements caritatifs. Les planètes sont donc bien alignées pour lancer cette mobilisation.

Jouer, est-ce politique ? Finalement, les modes de vie et de consommation sont en train de s'imposer comme des nouveaux terrains de luttes culturelles et politiques...

Jean Massiet : Oui, effectivement. Là ce qui est rigolo, c'est qu'avec le recours du stream, on a une nouvelle interprétation du jeu vidéo. On politise les jeux vidéos. Cela n'a pas été fait par le passé. Bien sûr, il y a déjà eu des jeux politiques qui ont déjà été développés par des partis politiques pour détendre l'atmosphère. La France Insoumise l'a fait. Nathalie Loiseau l'a fait pendant les européennes. Mais là, on prend des jeux politiques existants et on les politise. On les détourne de manière rigolote. Il y a une très bonne vidéo YouTube qui explique comment le détournement des jeux sur fond de lutte politique par le Recondustream est au coeur de la démarche de notre collectif. Tu prends un jeu vidéo existant et tu en fais une lecture politique sur le ton de la blague. Et ça devient un nouveau jeu très, très drôle. Par exemple, ce sont des jeux dans lesquels tu peux donner le nom d'un homme politique à un des personnages du jeu vidéo. Tu l'appelles Philippe Poutou, tu l'appelles Emmanuel Macron et tu fais une nouvelle lecture du jeu.

Anne-Claire Ruel

Venez débattre sur Facebook

Publié par Anne-Claire Ruel / Catégories : Actu