Ouverture du festival de Cannes. Déjà le gang des tabourets s'affaire et les photographes jouent des coudes, rivalisant d'ingéniosité pour obtenir le meilleur angle. La valse des invités apprêtés sur le tapis rouge peu commencer. Enfin, Jim Jarmusch apparaît entouré de ses acteurs. Le réalisateur vient présenter son film "The Dead don't die". Un film de zombies sur la croisette. Osé. La crise climatique, nationalisme et consommation jusqu'à l'overdose... Cela ne vous rappelle rien ? Un parfait résumé de notre époque plongée en pleine dystopie, alternant sans transition humour teinté d'autodérision et débats sur la fin du monde en pleine campagne des élections européennes.
Ce mercredi 22 mai, comme 1,45 millions d'entre vous sur France 2, j'avais rendez-vous avec un rituel cathodique quasi sacré en temps de campagne : le débat des candidats à l'élection européenne. Alors que les invités commençaient à débattre, entre deux interventions de ces politiques auditionnés en mode télé-crochet, le choc. Le lien avec les zombies est devenu subrepticement évident. Car à y regarder de plus près, toutes ces émissions sur les élections qui passionnent peu les foules sonnent comme une longue veillée funèbre du politique. Des partis zombies débattent entre morts vivants, devant une audience de plus de 60 ans.
Et en matière de morts-vivants, le parti socialiste peut faire figure de précurseur. Aussi incroyable que cela puisse paraître, les sujets sociaux et écologiques n'ont jamais été autant au coeur des débats de fond et pourtant, la gauche réussit l'ultime exploit d'être divisée et inexistante médiatiquement. Un comble, car comme l'a rappelé Raphaël Glucksmann en fin d'intervention, à l'échelle européenne le choix se fera entre les sociaux-démocrates et la droite populaire et non pas entre le Rassemblement national et La République en Marche. À la décharge des socialistes, les médias, eux-mêmes moribonds, les ont bien aidés à disparaître des radars, les enterrant avant l'organisation de cérémonie.
Et que dire du mélange têtes de liste et chefs de parti sur le plateau de France 2 qui traduit parfaitement l'état actuel de la politique française en pleine décomposition : la personnalisation de la politique, la nationalisation des enjeux européens, le renouvellement factice des candidats. Emmanuel Macron est bel et bien le dernier dirigeant d'une longue lignée.
Parfois, ce sont les partis qui convoquent eux-mêmes l'allégorie des zombies. Il en va ainsi de la stratégie du chef de l'État qui dramatise à outrance les nationalistes-zombies sortis d'outre tombe. Pas d'alternative clame le président, retranché dans sa citadelle du camp de l'ordre avec son armada de parlementaires obéissants : c'est moi ou le chaos. Comme s'il n'existait aucune option, comme si l'offre politique n'était pas assez pléthorique. Ce qui arrange grandement les affaires de Marine Le Pen la présidente du Rassemblement National, pour qui les zombies envahisseurs sont bien évidemment les migrants, alors même que les flux se sont taris. Fermeture des esprits et des frontières, paranoïa identitaire, comme pour les films de ce genre, à l'image de son fondateur, le RN aime faire peur.
Le zombie romerien, venait pulvériser le mythe de l'État-Nation, homogène politiquement et culturellement pour révéler la fragilité des identités collectives mettant à jour -ou plutôt à tombeau ouvert- les multiples fractures politiques, économiques et sociales de notre société morcelée et plongée en pleine folie consumériste. Des décennies plus tard, l'oeuvre de Romero s'impose à nous, criante de vérité. Que disent la plupart des politiques aux Français ? Absolument rien. Leur langue s'est tue, incompréhensible. Incapables de construire un récit, réagissant aux stimuli des réseaux sociaux, ils deviennent plus agressifs. Irrationnels, ils irritent, agacent, radicalisent, quand ils ne révulsent pas jusqu'au dégoût certains Français qui ont décidé les ignorer passablement au vu de l'abstention. Ces derniers, s'organisent désormais sans eux, conscients de devoir prendre leurs responsabilités dans les années à venir s'ils veulent voir l'aube d'un jour politique nouveau advenir.
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