La vidéo circule en boucle sur les réseaux et pour cause : elle a été publiée le 28 mars par le principal intéressé, Xavier Bertrand. Présidant le conseil régional des Hauts de France, l'élu dément les propos de Marine Le Pen prononcés sur BFM TV lors du débat entre chefs de partis ce 20 mars, pointant non sans pugnacité, la démagogie de son adversaire au sujet des travailleurs détachés sur le chantier du Canal Nord Seine Europe.
C'est impressionnant la mue de @xavierbertrand (on ne l'a jamais vu s'énerver comme cela au ministère !) https://t.co/SoRkecBHex
— Florence Mehrez (@florencemehrez) 30 mars 2019
Connu pour sa bonhomie de façade, l'homme à quelque peu changé depuis. Du moins ce sont les signaux qu'il veut envoyer. Son discours, le soir des élections régionales en 2015 avait frappé les esprits, se démarquant ostensiblement de ses adversaires. Face au ballet convenu des vaincus et des vainqueurs d'un soir d'élections à la télévision, l'homme avait le visage fermé empreint d'une gravité qu'on ne lui connaissait pas. En effet, lors du premier tour, le Front National était arrivé en tête dans sa région des Hauts de France. La gauche s'était alors alliée à l'ennemi juré pour faire rempart au FN qui venait de les déborder : "Je ne pourrai jamais oublier ce que j'ai vécu pendant cette campagne. Cela changera à jamais ma façon de faire de la politique. Mais je n'oublie pas les résultats du 1er tour. Ils ont claqué comme un coup de tonnerre. Sans doute comme le dernier coup de tonnerre avant qu'un jour le Front National n'accède au pouvoir. Ce soir, nul ne peut dire qu'il a gagné ; nul ne peut se prévaloir de ce résultat. Car cela fait 30 ans -30 ans !- que l'ensemble de la classe politique, dont je fais partie, explique qu'elle a reçu le message, qu'elle a tout compris, que plus rien ne sera comme avant. Et pourtant, qu'a-t-elle fait ?" Depuis sa stratégie repose sur quelques points saillants : acter la défaite des politiques, se poser en rassembleur, se désolidariser de la ligne Wauquiez pour préempter la droite sociale tout en critiquant l'action du chef de l'État.
Délaissant en apparence le national au profit du local, il a en effet acté de manière explicite le désamour des Français pour les élus médiatiques et leur détestation de la haute administration. Cela tombe bien, il n'a pas fait l'ENA. Les éléments de langage sont rodés, comme des armes patiemment affûtées sur le "territoire" selon l'expression consacrée. Faire le choix du local, c'est symboliquement renoncer à la course nationale pour se demander quotidiennement comme agir concrètement pour les Français de ses terres. Plaider pour la décentralisation, c'est aussi, bien évidemment, se montrer proche des habitants de la France périphérique. Ceux-là même qui semaine après semaine battent le pavé parisien, tout de gilets jaunes vêtus.
Dans un pays plus que jamais divisé, il se pose opportunément en garant de l'unité lors de chacune de ses interventions. Une posture qu'il ne manque pas d'illustrer : ne dirige-t-il pas actuellement la région, notamment grâce à une alliance inédite avec la gauche locale ? CQFD. Ce 28 mars il a ainsi rendu un vibrant hommage à Pierre de Saintignon, aujourd'hui décédé. L'adversaire socialiste était devenu son partenaire en région. La preuve par l'exemple : si l'alliance est possible localement, des passerelles peuvent être également dressées nationalement. Tout du moins, c'est ce qu'il entend démontrer.
Et puis vint février 2018 et une nouvelle offensive communicationnelle. Xavier Bertrand est alors intervenu sur le devant de la scène nationale cette fois, mais auréolé de son action locale. Sa rondeur affichée tranche avec le très clivant patron des Républicains, peu apprécié en ses rangs. Avenant de premier abord, il n'est néanmoins pas connu pour être le plus tendre. Micros fermés, il tance sa famille politique comme le reste de l'échiquier. C'est qu'il a pris du champ lors de la primaire et ses distances avec les (très à droite) Républicains de Laurent Wauquiez.
#le79inter Xavier Bertrand au sujet de l'affaire Laurent Wauquiez : " Les gens en ont marre de la façon dont on fait de la politique, je me suis pris une claque avec les Régionales et je ne veux pas me rendormir " pic.twitter.com/pK9zUHPgg7
— France Inter (@franceinter) 21 février 2018
En ce début 2018, la popularité du chef de l'État était en train de dévisser. Il s'agissait alors de préempter un vide laissé béant par les adversaires de son camp : la droite sociale, soucieuse des plus démunis."Les premières mesures prises ont avant tout fait du bien à ceux qui ont vraiment des moyens dans notre pays. Aujourd'hui, ceux qui travaillent sont les grands oubliés" assènera-t-il le 23 avril 2018 sur RTL. Et à cette fin, il déconstruit l'image des premiers de cordées, notamment sur France Inter : si vous êtes le cinquième de la cordée, quoi qu'il arrive, vous resterez le cinquième. Exit la notion d'ascenseur social portée en oriflamme par le chef de l'État. L'argument est imparable et pointe les limites avérées de cette sortie du château non contrôlée. L'image du premier de cordée est terrible. Si deux personnes de la cordée dévissent, que fait le premier ? Il coupe la corde. #BFMPolitique pic.twitter.com/OTyBQ02o64
— Xavier Bertrand (@xavierbertrand) 18 février 2018
Ses interventions cachent aussi un autre versant. Plus abrupt et assurément moins social celui-là. De la droite à la papa avec ses marottes beaucoup moins altruistes.
Dans un entretien corrosif publié par l'Opinion le 23 janvier 2018, Xavier Bertrand ne décolère pas face aux retards et à l'exaspération des usagers confrontés aux mouvements de grève ou encore les fermetures de lignes de sa région. Il veut accélérer l'ouverture à la concurrence de la SNCF. Un sujet qu'il porte encore aujourd'hui au local en le médiatisant.
Emmanuel Macron l'a reçu à l'Élysée ce vendredi 29 mars. Que se sont dit les deux hommes ? Mystère. Le patron de région semble en tout cas vouloir garder toutes les opportunités ouvertes à l'approche de 2022. Certes, sa surface politique n'est pas encore très élevée, mais iI se révèle au fil du temps sous les traits d'un François Hollande de droite, lorsque ce dernier était affublé du surnom peu flatteur de "Monsieur 3%". Il peut s'attirer les sympathies des électeurs de centre droit d'Emmanuel Macron avec son discours d'ouverture à la concurrence. Il plaît à la gauche lorsqu'il ferraille avec le Rassemblement national et qu'il prend une posture plus sociale, évoquant le sort des plus démunis et les sujets du quotidien des Français. Alors bien sûr, il reste la question des primaires pour être adoubé par les siens... Mais qui a dit que les électeurs de droite, échaudés par l'exercice malmenant leur culture politique et leur représentation du chef, n'en n'ont pas fini avec ce procédé ?
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