Communication politique : les hommes et les thèmes à suivre en 2019

"Ils se croyaient seuls dans leurs stratégies de survie et ils découvrent qu'ils sont nombreux à partager ces difficultés", note Nathalie Sarthous-Lajus, philosophe (BENJAMIN ILLY / FRANCE-INFO)

Noël passé, l'heure du bilan politique a sonné pour Emmanuel Macron. Les gilets jaunes, qui n'en finissent plus de susciter des réactions et interprétations, ont à tout jamais marqué l'opinion. Les thèmes qu'ils ont porté sur le devant de la scène médiatique ne sont pas prêts d'être enterrés. À seulement quelques heures des voeux présidentiels, devenu un véritable rituel sous la Vème République depuis l'intervention du grand Charles, quels seront les hommes et les thèmes à suivre en 2019 ? Voici une première liste, non exhaustive, de ce que pourra être l'année 2019 en matière de communication politique.

Le retour en force de la valeur travail

Il est fort à parier que les voeux du président de la République mettront en exergue la thématique au coeur de son programme de candidat, rappelée lors de son allocution du 31 décembre 2017 et quelque peu oubliée depuis : la valeur travail. C'était la promesse centrale de Nicolas Sarkozy en son temps, reprise par le jeune candidat dans ses discours de campagne et dans les conclusions de la Grande Marche de 2016 qui avait dressé un bilan des attentes des Français à partir des témoignages de 25 000 d'entre eux : libérer la France entravée pour que chacun puisse vivre dignement de son travail. Les gilets jaunes, très attachés à cette valeur, sont extrêmement sensibles à cette thématique, eux qui vivent au quotidien la peur du déclassement. D'un point de vue tactique, elle devrait être abordée et portée par Emmanuel Macron en 2019 sous l'angle de la mobilité sociale, de la juste rémunération du travail et du conflit de classement, si toutefois ce dernier parvient in fine à reprendre ce que Goethe appelle "le fil rouge" dans son livre intitulé "Les affinités électives", soit le récit du candidat au président pour parvenir à renouer avec cette promesse originelle.

La succession ouverte de Jean-Luc Mélenchon

Alors qu'Adrien Quatennens s'imposait comme le successeur naturel et préféré de Jean-Luc Mélenchon à la tête des Insoumis (leur chef actuel aura 70 ans 2022), le mouvement des gilets jaunes a remis sur le devant de la scène l'électron libre qu'est François Ruffin. Pas toujours sous son meilleur jour si l'on s'arrête sur les propos d'un gilet jaune qu'il a choisi de relayer (le chef de l'État "va terminer comme Kennedy"). La violence de ces mots a refroidi les ardeurs d'une partie de la gauche qu'il avait pourtant réussi à fédérer autour de sa personnalité. Mais pas sûre qu'il n'ait véritablement envie du poste. Le plus probable est que Jean-Luc Mélenchon se décide à mener son dernier combat en 2022, reprenant à son compte la figure de vieux sage à la manière d'un Corbyn ou d'un Sanders. C'est l'option la plus plausible à l'heure actuelle. Quoi qu'il en soit, le test des européennes de 2019 puis des municipales de 2020 sera décisif. Nous verrons alors si la méthode Alinski diffusée par les Insoumis a porté ses fruits. En d'autres termes, faire du porte-à-porte dans les quartiers populaires pour interroger les habitants sur leurs difficultés au quotidien. Les mettre en valeur. Les partager. Et enfin, agir collectivement pour les résoudre. L'objectif ? Arracher des petites victoires qui donneront envie aux habitants de s'investir pour en décrocher de plus grandes. Pas dénué de sens dans un contexte où le combat politique se mue en enjeux de proximité. Dans un monde où les corps intermédiaires tentent à disparaître sous l'effet du jacobinisme ambiant, le Président et les élus locaux, à commencer par les maires, sont finalement les seuls visages connus des citoyens. Or, la ruralité, l'organisation des territoires et la répartition des richesses seront très certainement les enjeux fondamentaux des années à venir. Les Insoumis l'ont bien compris et entendent s'y préparer activement. 

La progression prudente de Xavier Bertrand

Xavier Bertrand n'est pas non plus en reste lorsqu'il est question de proximité, lui qui a délaissé le national au profit du local, actant le désamour des Français pour les élus médiatiques. Son discours, le soir des élections régionales en 2015 avait marqué les esprits :

"Ce soir, ce n’'est pas la victoire des partis politiques. Ce soir, ce n’'est même pas ma victoire. Ce soir, c’'est la victoire des gens du Nord, la victoire des hommes et des femmes du Nord-Pas-de-Calais-Picardie. Je remercie les électeurs d’'avoir protégé notre belle Région. Je remercie ceux qui m’'ont fait confiance dès le premier tour, je remercie aussi les électeurs de gauche qui ont voté pour faire rempart ainsi que ceux qui s’'étaient abstenus au premier tour et ceux qui ont préféré l'attachement à la région à la colère du premier tour. Je les remercie tous d’'avoir affirmé, dans un grand Rassemblement si conforme à l’'esprit et au cœoeur des gens d’'ici, leur attachement à une certaine idée de notre Région, de la France et de la République. Ici, les Français ont donné une leçon de rassemblement, de courage et d’'honneur aux dirigeants politiques. L’'Histoire retiendra que c’est ici que nous avons stoppé la progression du Front National. Mais le résultat de ce soir nous oblige à rester humble. Je ne pourrai jamais oublier ce que j’ai vécu pendant cette campagne. Cela changera à jamais ma façon de faire de la politique. Mais je n’'oublie pas les résultats du 1er tour. Ils ont claqué comme un coup de tonnerre. Sans doute comme le dernier coup de tonnerre avant qu’'un jour le Front National n’'accède au pouvoir. Ce soir, nul ne peut dire qu’'il a gagné ; nul ne peut se prévaloir de ce résultat. Car cela fait 30 ans -30 ans !- que l’'ensemble de la classe politique, dont je fais partie, explique qu’'elle a reçu le message, qu’'elle a tout compris, que plus rien ne sera comme avant. Et pourtant, qu’'a-t-elle fait ? Alors ce soir, je lance un appel à l’'ensemble des dirigeants politiques, au Président de la République, au Gouvernement : mettez en œoeuvre tout de suite, sans perdre une minute, les véritables réformes qui redresseront notre pays, qui permettront aux Français de vivre mieux, de reprendre confiance et espoir en l’'avenir. C’'est notre dernière chance."

Face au Front National, il avait réussi à l'emporter grâce à une coalition avec la gauche. Depuis, ses différents interventions sont remarquées : il a pris du champ lors de la primaire et ses distances avec les très à droite Républicains de Laurent Wauquiez. Certes, sa surface politique n'est pas encore très élevée, mais iI se révèle être une sorte de François Hollande de droite, lorsque ce dernier était affublé du surnom peu flatteur de "Monsieur 3%". Sa bonhommie tranche avec le très clivant patron des Républicains, peu apprécié en ses rangs. Ce patron de région peut être assez fédérateur et s'attirer les sympathies des électeurs de centre droit d'Emmanuel Macron. Reste la question des primaires. Mais qui a dit que les électeurs de droite, échaudés par l'exercice qui se heurte à leur culture politique et leur représentation du chef, n'en n'ont pas fini avec ce procédé ?

L'ouverture nécessaire du système de décision

"Le chef c'est ton peuple" écrivent les gilets jaunes sur les pancartes adressées au chef de l'État. L'émergence des gilets jaunes c'est aussi la résurgence des non-dits et des questions non résolues de 2017. À commencer par la fermeture du système de décision vilipendé par ces farouches adeptes de l'horizontalité. Comme le met très bien en exergue sur son blog Samuel Hayat, chercheur en sciences politiques au CNRS, deux conceptions diamétralement opposées s'affrontent :

"L’une, la politique partisane, est centrée sur la compétition électorale entre professionnel.le.s du champ politique pour accéder au pouvoir. Elle fonctionne par la production de visions du monde antagonistes (des idéologies), objectivées dans des programmes entre lesquels les citoyens sont sommé.e.s de choisir, sous peine de se condamner à l’invisibilité politique. Cette conception partisane de la politique est en apparence hégémonique, ceux qui la refusent se trouvant rejetés aux marges de l’espace public. Elle est le sens commun, la manière naturalisée de penser la politique, de ceux et celles qui vivent de la politique partisane, les politicien.ne.s d’abord, mais aussi les salarié.e.s des partis, les journalistes politiques, les sondeurs,  les chercheur.e.s en science politique dont l’auteur de ces lignes, tout un milieu social sinon homogène, en tout cas très peu représentatif, au sens statistique, de la population. Toutes ces personnes savent comment les institutions fonctionnent, qui est de quel parti et où ces partis se situent sur l’axe gauche-droite, bref ils maîtrisent les codes de la politique professionnelle. Et c’est à travers ces codes qu’ils interprètent toute la réalité politique, d’où leur obsession, depuis le début du mouvement, à le situer politiquement, c’est-à-dire à le faire entrer dans leurs schémas d’analyse issus de la politique professionnelle. Mais le mouvement des Gilets jaunes, en particulier depuis que le RIC est devenu son cheval de bataille, a mis sur le devant de la scène une autre conception de la politique, que l’on peut qualifier de citoyenniste[5]. Elle repose sur la revendication d’une déprofessionnalisation de la politique, au profit d’une participation directe des citoyens, visant à faire régner l’opinion authentique du peuple, sans médiation. Le peuple, ici, est un peuple considéré comme uni, sans divisions partisanes, sans idéologies, une addition d’individus libres dont on va pouvoir recueillir la volonté par un dispositif simple, en leur posant une question, ou en tirant au sort parmi eux un certain nombre d’individus libres qui vont pouvoir délibérer en conscience. Il s’agit d’une politique du consensus, appuyée sur une conception essentiellement morale de la situation actuelle, avec d’un côté les citoyens et leur bon sens, et de l’autre les élites déconnectées, souvent corrompues, surpayées et privilégiées."

À la fluidité de la société économique prônée par Emmanuel Macron doit répondre la fluidité la société politique. L'armada de députés LREM arrivés au pouvoir sont le symbole même de cette fermeture sociale. Certes, le nombre de femmes y est bien plus important qu'auparavant, mais sociologiquement, l'assemblée n'a jamais été aussi homogène et notabiliaire. Comment le grand débat national promis va-t-il s'articuler au niveau local ? L'épineuse question reste entière et le risque de décevoir une fois de plus est grand. Quoi qu'il en soit, les questions de justice sociale, de réformes institutionnelles et de mobilité sociale sont bien l'héritage des gilets jaunes et promettent d'être au coeur de l'actualité médiatique des prochains mois.

La critique des 'technos' et la réponse de l'administration centrale

Autre point majeur de ces derniers jours, la critique ouverte des "technocrates", avec en ligne de mire ceux de Bercy, accusés sans ambages d'entraver l'action présidentielle. Une condamnation de l'administration française, pourtant reconnue internationalement, largement relayée par certains membres de la majorité et l'exécutif. Ironique lorsque l'on sait qu'Emmanuel Macron et son secrétaire général, ainsi qu'Edouard Philippe et son chef de cabinet sont tous les quatre issus de ce corps, qui peuple les cabinets ministériels. Il est somme toute un peu facile de se défausser ainsi de ses responsabilités politiques, même s'il y a beaucoup à dire sur la fossilisation de l'ENA dont l'absence de diversité a progressivement appauvri génétiquement l'administration. La réponse des énarques n'a pas tardé : "Disons-le tout net : cette fable n’est qu’une tentative grossière d’un Président en perdition pour retrouver une contenance contre toute vraisemblance" affirme les Arvernes, le groupe de professeurs, d’essayistes, hauts fonctionnaires et d’entrepreneurs. Le pouvoir exécutif "dispose de l’administration" dit le constituant de 1958. À lui d'insuffler une vision de long terme pour développer une politique cohérente. Néanmoins, la question est posée. Quelle sera la réponse de l'administration à la montée de ces mouvements populaires ? Ces dernières semaines, l'exécutif a menacé à plusieurs reprises les directeurs d'administration centrale : "Si un directeur d’administration centrale ne se sent pas à l’aise avec la politique qui est menée par le ministre qui le dirige, il peut faire autre chose de sa vie." Les cent euros pour les bénéficiaires du SMIC et la suppression de CSG pour certains retraités, mesures promises par le chef de l'État le 10 décembre, sont devenues une source d'angoisse pour les hauts fonctionnaires de Bercy. Dans les dédales de couloirs du paquebot, ils s'arrachent les cheveux pour appliquer ces mesures dans les temps impartis : faudra-t-il faire payer la CSG dans un premier temps puis rembourser les retraités dans un second ? Kafkaïen. Le candidat Emmanuel Macron souhaitait renouveler les directeurs des hautes administrations centrales pour asseoir son pouvoir. Seul problème, pas l'ombre d'un candidat ne s'est bousculé aux portes de l'Élysée pour prendre ces postes : ils ont fui dans le privé. Là encore, pas de hussards aux côtés du chef de l'État. Il fait seul face à la grogne des Français, sans appuis et soutiens administratifs et politiques.  

Vers un populisme municipal ?

Sur tous les ronds points de France, de nouvelles solidarités ont vu le jour ; l'isolement a été rompu, des liens se sont tissés au fil des semaines. Les gilets jaunes ont semble-t-il renoué avec une pratique intime de la politique au niveau local : il se sont ainsi formés à la politique et aux prises de parole publique non sans un certain succès. L'ensemble du mouvement émergeant, traversé par la dialectique de l'un et du multiple, est au croisement des chemins à l'aube de cette nouvelle année : se structurer ou se diluer ? À la multiplicité des revendications et des coalitions et intérêts disparates répond la nécessité de faire "un" pour s'ancrer dans le temps. Toute la question étant de savoir si ce soulèvement populaire, au fonctionnement horizontal, peut s'organiser dans un contexte délétère où la moitié des maires en poste ont décidé de ne pas se représenter en 2020. Car la question n'est pas de spéculer sur de possibles listes européennes de gilets jaunes, l'enjeu se situe fondamentalement au niveau local. Le mouvement en restera-t-il là ou les gilets jaunes présenteront-ils des listes populaires aux élections municipales de 2020 ? Verrons-nous émerger une forme de populisme municipal ou assisterons-nous à sa dilution au sein des listes à venir ? La question se pose tant la macronie ne dispose d'aucun relais au niveau local, ce qui explique pour partie sa déconnexion totale ainsi que sa grande difficulté à expliquer sur le terrain la politique à l'œuvre. Bientôt, ils devront défendre la reforme de l'assurance chômage et des retraites... Et le moins que l'on puisse dire c'est que le sujet promet d'être explosif. 

Anne-Claire Ruel

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