Voeux 2019 : quelles évolutions par rapport à ceux de l'an passé ?

Emmanuel Macron lors de l'une de ses dernières apparitions publiques, le 22 décembre 2018 à N'Djamena, au Tchad. (LUDOVIC MARIN / AFP)

Dans quelques heures seulement, Emmanuel Macron prendra la parole devant l'ensemble des Français pour les désormais rituels voeux de fin d'année. L'an passé, avec un discours aussi long que celui du Général de Gaulle en 1962, le plus jeune président de la Vème République, n'avait pas bouleversé ce rituel immuable. Tout en reprenant ses éléments de langage parfois distillés dès son entrée en fonction le 14 mai, ("renaissance française"), il avait esquissé les contours de l'action de sa présidence des mois passés avant de dresser les ponts vers l'année à venir. Classique. Mais qu'en sera-t-il dans le contexte actuel de crise et de défiance totale ? Quelles seront les permanences et les nouveautés de ce discours des voeux de fin d'année ? 

Sur la forme, la prédominance du style parlé 

Par petites touches, au fil de ses interventions, le style d'Emmanuel Macron s'est dessiné depuis le début de son quinquennat. Aux discours empreints de lyrisme ont répondu les moments d'échanges spontanés avec ses administrés. Et le moins que l'on puisse dire c'est que ces dialogues improvisés ont parfois causé beaucoup de tort à la présidence. Car une chose est sûre, les Français ont bien entendu et pris pour eux les petites phrases blessantes distillées au cours de ces deux dernières années. Loin d'être anecdotiques, elles ont miné le style présidentiel du chef d'État perçu comme méprisant. Pour réussir cette figure imposée que sont les voeux de fin d'année, face caméra dans un bureau élyséen, Emmanuel Macron devrait une nouvelle fois bannir les figures de style ou les références littéraires, pour manier des mots simples, compris de tous. Comme ce fut le cas l'an passé, le texte lu devra être pensé pour l'oral. Plus facile à dire qu'à faire pour le locataire de l'Élysée car ce n'est définitivement pas un exercice où il excelle. Récidivera-t-il cette année en diffusant également sur les réseaux sociaux une petite vidéo résumant son propos ? Assurément.

Sur le fond, une forte dimension sociale

L'an passé, les mots choisis par le président s'adressaient tout particulièrement aux sympathisants de gauche, de ses électeurs à ses détracteurs, soit toute une partie de la population pour qui la politique menée par le chef de l'Etat était -déjà en cette fin 2017- socialement injuste. École, formation, protection, égalité, éducation, culture, humanisme, solidarité, fraternité, collectif... via son intervention, le président avait tenté de corriger une image dégradée auprès d'une fraction de cet électorat qui l'a porté au pouvoir. "L'année 2018 sera l'année de la cohésion de la nation" affirmait-t-il convoquant le lancement d'un "grand projet social" sans pour autant définir ses contours. Ironique lorsque l'on connaît la nature du soulèvement qui s'en est suivi ces dernières semaines. Il avait tenté l'année dernière d'apporter la preuve qu'il ne s'intéressait pas uniquement aux gagnants de la mondialisation. Il va devoir redoubler d'efforts cette année en prenant acte des souhaits d'une partie de la population... Même si pour lui la situation semble être totalement figée. L'opinion est cristallisée depuis des mois déjà et un revirement semble très peu probable les jours prochains.

La résurgence de la valeur travail

Il est fort à parier que les voeux du président de la République mettront en exergue la thématique au coeur de son programme de candidat, rappelée lors de son allocution du 31 décembre 2017 et quelque peu oubliée depuis : la valeur travail. C'était la promesse centrale de Nicolas Sarkozy en son temps, reprise par le jeune candidat dans ses discours de campagne et dans les conclusions de la Grande Marche de 2016 qui avait dressé un bilan des attentes des Français à partir des témoignages de 25 000 d'entre eux : libérer la France entravée pour que chacun puisse vivre dignement de son travail. Les gilets jaunes, très attachés à cette valeur, sont extrêmement sensibles à cette thématique, eux qui vivent au quotidien l'angoisse du déclassement. D'un point de vue tactique, elle devrait être abordée et portée par Emmanuel Macron sous l'angle de la mobilité sociale, de la juste rémunération du travail et du conflit de classement.

L'Europe, encore et toujours

Lors de ces voeux fin 2017, fait remarquable, Emmanuel Macron en avait appelé au dépassement de la citoyenneté française via l'adresse du président à tous les européens. En d'autres termes, il s'était adressé au coeur de l'électorat macronien. Par cette convocation, Emmanuel Macron réaffirmait l'absence de divergences entre les dimensions nationale et européenne, le tout à la veille d'élections décisives. "Nous avons besoin de retrouver une Europe plus souveraine, plus unie, plus démocratique, parce-que c'est bon pour nos peuples" avait soutenu le président. Pour le chef de l'Etat, l'Europe pouvait devenir "cette puissance qui fait face à la Chine et aux États-Unis". Une habile manière de flatter notre ego hexagonal : Emmanuel Macron profitait de la place laissée libre par Angela Merkel, alors empêtrée dans ses tentatives de coalition gouvernementale, pour incarner le leadership européen au fil de ses interventions internationales. Quelle sera la teneur de son message sur l'Europe cette année ? Usera et abusera-t-il de sa présentation classique et quelque peu manichéenne entre le front des progressistes faisant obstacle à celui des populistes ? Quoi qu'il en soit, les élections européennes de juin 2019 promettent d'être extrêmement âpres pour le chef de l'État qui va devoir trouver les mots justes pour ne pas envenimer son cas.

Moins de méthode, plus de concertation

Cadrer son action et annoncer les réformes à venir : tel était l'enjeu pour le chef de l'État en cette fin 2017, lui qui n'a eu de cesse d'employer les verbes d'action "faire" et "agir" tout au long de son discours. Objectif ? Paraître une nouvelle fois sous les traits d'un "faiseur" ou d'un "maker" selon le terme anglo-saxon consacré. « Je continuerai à faire ce pour quoi vous m’avez élu » clamait-il sans oublier d'insister sur son commandement : "toujours, à la fin je ferai". Pas sûr que cette année, l'accent soit mis sur cette détermination à agir contre vents et marées, y compris toute une partie de la population qui s'est révélée lui être extrêmement hostile. Via son intervention, il souhaitait clore le chapitre de 2017 en défendant son premier bilan gouvernemental (loi travail et mesures prises en matière d'éducation nationale) et se projeter rapidement en 2018 via l'annonce du calendrier des grandes réformes beaucoup moins consensuelles (assurance chômage, formation professionnelle, loi sur l’immigration, réforme de la Constitution). Autrement dit, se présenter sous les traits plébiscités par les Français : celui d'un président volontaire, qui applique à la lettre le programme établi pendant la campagne électorale tout en n'omettant pas de passer par la case "concertation" ("tous les débats seront conduits" et toutes "les voix discordantes (seront) entendues").  Avec le recul, en cette fin 2018, on mesure le fossé entre cette méthode affichée et les revendications extrêmement puissantes et fortes des gilets jaunes pour une ouverture du système de décision. Emmanuel Macron reviendra très certainement sur le Grand débat qu'il appelle de ces voeux. Mais problème, il n'a pas la main sur le sujet qui semble être une véritable usine à gaz à organiser au niveau local dans le temps et les moyens impartis... Le risque de décevoir une fois de plus est grand. Quoi qu'il en soit, les questions de justice sociale, de réformes institutionnelles et de mobilité sociale sont bien l'héritage des gilets jaunes et promettent d'être au coeur de l'actualité médiatique des prochains mois. Explosif pour le président qui doit, dans le même temps, défendre en ce début d'année 2019 la reforme de l'assurance chômage et des retraites... Elles seront peut-être également au coeur de ces voeux adressés aux Français.

L'abandon du président "manager"

"Demandez-vous chaque matin ce que vous pouvez faire pour le pays ». Si beaucoup de journalistes avait identifié dans le discours d'Emmanuel Macron, fin 2017, la référence au discours d’investiture à la Maison Blanche de John Fitzgerald Kennedy de 1961 ("Ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, mais bien ce que vous pouvez faire pour votre pays"), peu se sont attachés à la symbolique managériale de ces mots : le discours d'Emmanuel Macron rappellait en tout point celui des CEO. Une nouvelle fois, il se présentait sous les traits du "Chief executive officer" de la "start-up nation" France. Les tweets mis en valeur sur le compte Twitter d'Emmanuel Macron étaient là pour l'appuyer sans détour. 

Et une chose est sûre, cette année l'accent ne sera assurément pas mis sur cette dimension... 

Anne-Claire Ruel

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