Les 5 techniques de communication qu'il ne fallait pas manquer pendant le débat

Plus qu'un débat, une course de fond. Alignés sur la ligne de départ, les candidats ont pris grand soin de ne pas déborder de leurs couloirs respectifs, avant - enfin - de croiser le fer. Si vous avez suivi avec attention la campagne depuis son commencement, rien de nouveau sur le fond. Quid de la forme me demanderez-vous alors ? Elle a tenu ses (fausses) promesses : les candidats ont usé et abusé de techniques de communication vieilles comme le monde. De celles qu'on aimerait voir disparaître pour certaines.

Emmanuel Macron, la communication non verbale tu utiliseras

Pour ne pas connaître le destin d'une météorite découvrant la stratosphère, Emmanuel Macron avait un objectif de communication bien défini : feindre la colère pour se donner plus d'aspérité et surtout utiliser les plans de coupe pour montrer qu'il était éminemment d'accord avec les programmes de... (presque) tous les candidats. Sa méthode : hocher la tête en signe d'approbation lorsqu'un rival s'exprimait. Quitte à verbaliser -à outrance- ses points d'accord. "Je partage cette idée" l'a-t-on entendu affirmer à tout bout de champ. Une posture compliquée à tenir dans un débat qui nécessite, par définition, un minimum de confrontation. Etonnante aussi sa communication non verbale, quelque peu non maîtrisée. Elle avait tout de celle d'un Nicolas Sarkozy en campagne. Quant à ses tentatives de victimisation face à Marine Le Pen, elles avaient surtout pour but de tenter de cliver afin de révéler sa personnalité et rompre avec sa (fausse) bienveillance affichée. En d'autres termes "exister" sans prendre de risque via le choix de sa cible : la présidente du Front National. A l'issue du débat, difficile de comprendre la posture du candidat, tant il est resté flou sur ses intentions.

Jean-Luc Mélenchon, de l'humour tu abuseras

Tribun hors pair, c'est assurément le grand vainqueur de ce débat sur la forme. Et si l'on considère, comme Victor Hugo que "la forme, c'est le fond qui remonte à la surface", alors il a été brillant. Les respirations, c'est lui. Les tacles bien sentis aussi. Personnage cartoonesque et direct, ô combien expressif, les internautes s'en sont donnés à coeur joie pour le transformer en "mème" toute la soirée. Quand à sa stratégie, elle a surtout consisté à interpeler successivement Marine Le Pen et François Fillon pour les contrer, sans doute pour s'attirer les faveurs des indécis de gauche. L'humour est par définition ce qui nous humanise, tout en dressant des passerelles. A l'heure de l'aseptisation de la langue des politiques à force d'éléments de langage, la dérision est une catharsis collective. Un trait d'intelligence dans la lignée des grands esprits français. A ce jeu, Jean-Luc Mélenchon excelle, au point de même faire rire Marine Le Pen elle-même... Lui donnant aussi l'opportunité d'apparaître plus humaine. Si le rire est une arme de séduction massive, attention parfois à ce qu'elle ne se retourne pas contre vous.

Benoît Hamon, à "l'art d'avoir toujours raison" tu t'emploieras

"Que vous soyez une droguée aux pages faits divers, c'est une chose, mais vous êtes candidate à la présidentielle". C'est pas ces quelques mots implacables que le boxeur Benoît Hamon, interrogé sur la justice et la sécurité, a mis K.O. Marine Le Pen. A l'oeuvre ? Quelques grands principes de "l'Art d'avoir toujours raison" de Schopenhauer. Pour déstabiliser son adversaire, le philosophe explique ainsi qu'il convient de le mettre en colère ou bien encore retourner ses arguments contre lui-même. Sans compter la ruse qui consiste à faire glisser le débat sur le terrain personnel. Ce fut le cas lors de l'altercation de Benoît Hamon avec François Fillon : "Vous êtes beaucoup plus fort en soustraction qu'en addition, sauf quand il s'agit de votre propre argent." Outre ces quelques saillies, durant tout le débat, le candidat issu de la primaire de la gauche- qui avait visiblement travaillé ses dossiers - s'est employé à illustrer son programme de manière concrète. Parfois trop, ce qui a pu nuire à sa stature d'homme présidentiable, se devant de fixer un cap, une vision.

François Fillon, pour conclure tu interviendras

Calme, précis, carré... François Fillon a tenté de se donner les atours d'un homme d'Etat inébranlable. A ceci près que les affaires politico-financières qui le concernent actuellement ont fortement entaché sa réputation. Les communicants vous diront d'un seul homme qu'il s'en est très bien sorti compte-tenu de son contexte personnel, mais qu'à moins de 35 jours de l'élection, il ne disposera pas d'assez de temps pour reconstruire son image. Pourtant, le candidat des Républicains a pu compter sur la clémence de ses adversaires : ils l'ont épargné sur le sujet. Relativement discret durant le débat, il s'est néanmoins employé à tenter de conclure chacun des échanges de manière à apparaître au-dessus de la mêlée, partant du principe que le dernier qui parle a raison. Ce fut notamment le cas sur la laïcité : "il a laissé Marine Le Pen croiser le fer avec ses trois autres concurrents, avant de tenter de mettre tout le monde d'accord avec un exposé professoral. De quoi renforcer l'image de sérieux que le candidat endosse depuis plusieurs mois" expliquent Ilan Caro et Julie Raspus, journalistes à Franceinfo. Un bémol, les plans de coupe lui ont été fatals en matière de communication non verbale : ses sourires condescendants lors des interventions de Jean-Luc Mélenchon dévoilaient sans peine les sentiments du candidat envers son concurrent.

Marine Le Pen, s'adresser directement à tes cibles tu n'oublieras pas

"Je vous propose de vous rendre compte que la plupart des promesses prononcées ce soir ne pourront pas être mises en place, à cause de l'Europe, qui empêche de mettre en place des mesures de bon sens. Vous, Français, vous avez le droit de décider pour vous-mêmes." C'est par ces mots que Marine Le Pen entame la séquence que des malicieux pourrait renommer la séquence "récitation". Alors, certes, ses adversaires ont également utilisé l'adresse directe aux Français, mais ce "Vous, Français" accentué par la répétition du pronom, semblait toucher directement sa cible lorsqu'il a été prononcé avec force un peu brutale qu'on lui connaît. Là où la conclusion d'un Emmanuel Macron a semblé beaucoup plus désincarnée, voire même mécanique, la présidente du Front National a interpellé frontalement les Français, sans intermédiaire ni ambages. Cela fait mouche et donne le sentiment de casser les codes cathodiques pour réveiller les Français assoupis derrière leurs écrans passé minuit. Redoutable.

Au terme de ce qui s'apparentait à un débat historique de part son caractère inédit, difficile de savoir qui l'a emporté tant aucun axe programmatique ne s'est imposé. Etrange, car nous nous souvenons tous lors des campagnes précédentes de "la fracture sociale" de Jacques Chirac ou bien encore de la formule de Nicolas Sarkozy, "travailler plus pour gagner plus". Aujourd'hui, rien de tout cela. Il faudra encore attendre un certain temps pour voir émerger la devise qui tétanise et polarise le débat. Mais finalement, à 35 jours de l'élection, la campagne ne fait que commencer.

Anne-Claire Ruel

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